Par Christian Morin et Riccardo Petrella

Les grandes banques et les dirigeants d’entreprises pesant 130 trillions de $ ont annoncé cette semaine à la Cop26 qu’une avalanche de milliards sera redirigée vers les énergies propres. Le but : atteindre une économie mondiale carbo-neutre en 2050. Les puissants de l’hémisphère nord ont applaudi à tout rompre, le reste de la planète est beaucoup plus sceptique. Les militants du climat, Greta Thunberg en tête, dénoncent ces promesses dont on est tenté de penser « des montants pareils, on ne plaisante plus, ça doit être vrai ». Puis on considère la promesse du Brésil de devenir carbo-neutre en 2049 et de stopper la déforestation d’ici 10 ans, alors que Bolsanaro continue d’encourager les éleveurs à étendre leurs ranchs… et on comprend qu’en effet, la Cop26 est une pièce de théâtre avec Boris Johnson en Grand Guignol.

C’est pourquoi les activistes ont décidé de se réunir au sein du Sommet du Peuple pour la Justice Climatique, à Glasgow en marge de la Cop26. On y abordera les sujets absents de la Cop : le plan vert mondial, la responsabilité des pollueurs, la contribution des autochtones aux écosystèmes, la différence entre bilan carbone net-zéro et la réelle absence d’émissions de GES (gaz à effet de serre).

Les organisateurs veulent créer un mouvement assez puissant pour fléchir les gouvernements, en partageant les expertises sur le durable et en trouvant des solutions en marge des lois du marché. Ce contre-sommet arrive après que les dirigeants mondiaux n’aient pu se résoudre à promettre de limiter le réchauffement global à 1,5°C en abandonnant les énergies fossiles. En réponse, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Glasgow et dans plus de 200 villes partout dans le monde

Le sommet de quatre jours réunit des participants de groupes d’action communautaire, de syndicats, de groupes autochtones, d’organismes de lutte pour les droits, d’ONG, de mouvements féministes et des élues progressistes comme Rashida Tlaib, qui cautionne le Green New Deal.

Le sommet commence par un Tribunal du Peuple. Des militants ainsi que d’ex-négociateurs de la COP évalueront la preuve soumise dans le cadre des accusations contre la Convention Cadre des Nations-Unies sur les Changements climatiques (CNUCC), pour avoir manqué à son devoir de fournir un plan mondial de financement climatique, et échoué à réglementer le secteur privé.

On y discutera également du concept Net Zéro, ce système qui consiste à compenser les émissions de GES par des bourses du carbone ou des technologies encore expérimentales, plutôt que les éliminer. La promesse de Net Zéro en 2050 a été claironnée par les dirigeants mondiaux, même si les chiffres ne collent pas. Et de toute façon, c’est trop peu, trop tard.

Le groupe de discussion Real Zero, Real Solutions abordera la question de la responsabilité des pollueurs face aux communautés affectées directement par les catastrophes climatiques comme les inondations et les sécheresses.

En tout, on compte plus de 200 événements lors de ce Sommet : groupes de discussion, tribunaux, ateliers et performances artistiques, qui couvriront des sujets aussi variés qu’inter-reliés comme la santé, les connaissances traditionnelles autochtones, le genre, le nucléaire, les droits territoriaux, la sécurité alimentaire et les emplois verts.    C.M.

Riccardo Petrella renchérit sur les constats de cet article en lançant une alarme dont on trouvera la version complète dans Pressenza.com : « La nouvelle conquête coloniale de la vie a commencé » 

Le 7 décembre 2020, la société privée qui gère la Bourse de Chicago ouvrait un produit financier spéculatif, un « futures », à l’eau en Californie. L’eau bonne pour usages humains étant désormais considérée comme un élément naturel vital qui se raréfie, la finance est intervenue dans le but, disent-ils, de « gouverner » la pénurie d’eau en faisant en sorte que les grandes entreprises utilisatrices d’eau (exploitations agricoles, viticulteurs, boissons sucrées et gazeuses, etc.) disposent d’eau grâce à la sélection des usages opérée par le prix de l’eau fixé par la spéculation (comme c’est le cas pour le pétrole, l’or, le blé, etc.).

A la mi-octobre 2021, avant la tenue de la COP15 sur la biodiversité et la conservation de la nature et quelques jours avant le début de la COP26 sur le climat et l’environnement, les gestionnaires de la bourse de Wall Street à New York ont lancé une nouvelle catégorie d’actifs financiers sur tous les éléments de la nature. Même objectif, même revendication : face à la dégradation de la nature, à la réduction drastique de la biodiversité, aux risques d’une nouvelle raréfaction massive des « ressources » naturelles, la finance privée mondiale joue le rôle de « sauveur » en assumant la responsabilité de réguler la gestion du monde naturel de manière efficace et durable, disent-ils, par son appropriation/monétisation.

Comme dans le cas de la mise en bourse de l’eau, derrière la décision de promouvoir/imposer la monétisation totale de la nature se trouve le fonds d’investissement privé le plus puissant du monde, Black Rock, dirigé par son président Larry Fink. Aujourd’hui, Black Rock gère 9,5 billions de dollars et est devenu la troisième puissance financière mondiale après les États-Unis et la Chine. Ensemble, Black Rock, Vanguard (dont Black Rock est le principal actionnaire) et State Street, les trois fonds d’investissement les plus puissants du monde, pourraient, s’ils étaient laissés à eux-mêmes, devenir les principaux propriétaires du monde ou renforcer leur position actuelle de « seigneurs » de la Terre.

La monétisation de la nature, concrètement

Black Rock a proposé de transformer 30 % du monde naturel en « zones naturelles protégées » d’ici 2030, c’est-à-dire achetées et gérées par le capital financier. Une campagne légalisée colossale pour s’approprier les terres de la planète. En quelques décennies, les grands seigneurs de la finance pourraient transformer l’ensemble du monde naturel en capital financier. Les sociétés qui géreront les « zones naturelles protégées » seront appelées NAC (Natural Asset Companies). Leur objectif est d’extraire des profits illimités des processus naturels qu’ils vont monétiser. Les premières et principales victimes seraient les peuples autochtones dont les terres sont considérées comme leur patrimoine ancestral non transmissible. Les droits individuels et collectifs à la vie seraient partout piétinés sans limite.

La monétisation de la nature est un scandale parce qu’elle permettra à Big Money (les grandes banques et, surtout, les fonds d’investissement mentionnés plus haut) de :
a) transformer l’ensemble du monde naturel en une gigantesque mine d’extraction destructrice de la « richesse » de la vie de la Terre, et
b) étendre leur pouvoir de domination et de violence sur l’économie des humains (une économie de plus en plus artificielle dominée par la logique de l’enrichissement inégal et de l’exclusion) à celle de l’ensemble de l’économie du monde naturel.

Les experts de Black Rock ont estimé que le monde naturel vaut quatre quadrillions de dollars, soit quatre mille trillions de dollars. Considérez que le produit mondial annuel est évalué à environ 125 trillions de dollars, soit 125 000 milliards. Le produit national de l’Italie en 2020 était de 2,4 trillions (à comparer à la valeur monétisée du monde naturel de 4 mille trillions).

La complicité des autorités publiques

Les autorités publiques sont complices. La grande majorité des parlements démocratiquement élus et des gouvernements oligarchiques des groupes sociaux dominants croient aux maîtres de la finance. Ils n’ont pas réagi, ni dans le cas spécifique mais décisif de l’eau, ni dans celui de la bancarisation spéculative de la nature. En fait, ils ont confirmé leur approbation.

L’acceptation de la monétisation de la nature – approuvée par les États lors du Troisième Sommet Mondial de la Terre de l’ONU en 2012 – a été jusqu’à présent l’un des principaux facteurs empêchant les COP sur le climat et l’environnement (y compris l’actuelle COP26) de trouver une solution dans l’intérêt de tous les habitants de la Terre (toutes espèces vivantes). C’est une position politiquement et éthiquement inacceptable, indécente de la part des représentants élus des peuples.

L’autre agenda

Nous savions que le discours des dominants sur le « développement durable » était une imposture éhontée depuis 1987 (date du compromis sur le rapport de la Commission Brundtland de l’ONU). Nous en avons maintenant la confirmation indiscutable.
Le défi posé par les financiers prédateurs à la communauté de vie globale de la Terre est total, immense. Les dominants ne plaisantent pas et ne promettent pas de bla bla bla. Ils agissent, ils colonisent, ils subjuguent, ils détruisent. Le « big money » est criminel. Les expériences des vingt dernières années montrent que les peuples ne peuvent pas se limiter à continuer à pétitionner. Ils doivent se battre pour inverser l’histoire en faveur d’un « autre agenda » pour le monde, au nom de l’Humanité et de la Vie sur Terre.
Les ouvriers ont inventé la grève générale et ils l’ont fait plutôt bien que mal. Il est temps pour les peuples de la terre de trouver les bons outils.

L’article original est accessible ici