Le système de communication avec lequel nous vivons est extrêmement complexe, principalement motivé par l’avidité et le profit, en partie semi-public, plein d’obscénités dont je sais que nous serions mieux sans, et de plus en plus censuré et surveillé ouvertement par les défenseurs de la bien-pensance acceptée.

Des idiots fascistes répandent des absurdités dangereuses, tandis que des monopolistes milliardaires font virtuellement disparaître critiques et protestataires. Il est facile d’être confus quant à ce qui doit être fait. Il est difficile de trouver une recommandation qui ne soit pas confuse. Différentes personnes veulent que différents abus soient censurés, et censurés par différentes entités ; ce qu’elles ont toutes en commun c’est qu’elles ne pensent pas aux menaces qu’elles créent pour ce qu’elles ne veulent pas voir censurées.

Une commission du gouvernement canadien datant de 1975 recommandait de censurer “ la diffamation, l’obscénité, la violation de la loi sur les secrets d’état, les questions touchant à la défense du Canada, la trahison, la sédition ou la promulgation d’informations qui incitent au crime ou à la violence “. C’est une confusion classique. La moitié de ces actes étaient presque certainement déjà interdits, comme le suggère leur identification par la terminologie juridique. Quelques-uns de ces actes devraient probablement être interdits, comme l’incitation à la violence (en ne diffusant pas d’informations qui « conduisent » à l’incitation au crime ou à la violence.). Bien sûr, j’inclurais dans  l’incitation à la violence un discours du premier ministre préconisant l’envoi de “gardiens de la paix“ canadiens en Afrique, mais le premier ministre (dont les mots ont plus de poids que les miens) m’identifierait sans doute comme une personne qui commente une question touchant la défense du Canada – ou, selon son humeur, une personne qui fait la promotion de quelque chose qui va amener à inciter à un crime quelconque, même si c’est juste le crime de pousser davantage de personnes à parler de questions touchant la “défense“ du Canada. (Et il ne devrait pas importer que je ne sois pas Canadien, comme Julian Assange qui n’est pas originaire des États-Unis).

Bien, quelle est la solution ? Une solution simpliste et étonnamment populaire consiste à blâmer les philosophes. Ces idiots de postmodernes ont dit que la vérité n’existait pas, ce qui a permis à ce grand étudiant en philosophie qu’est Donald Trump de déclarer que les informations le concernant sont “fictives“, ce qu’il n’aurait jamais pu penser à faire sans l’inspiration d’une bande d’universitaires gauchistes; et les interminables et flagrants mensonges sur les guerres, l’économie et le désastre sur l’environnement, ainsi que les reportages sur les promesses électorales faits avec beaucoup de sérieux, ne peuvent rien avoir à faire avec la facilité avec laquelle les gens se méfient des actualités. Il nous faut donc maintenant ramener le pendule dans la direction du tatouage des dix commandements inscrits sur nos fronts avant que la moralité ne périsse aux mains du monstre qu’est le relativisme. Nous ne pouvons malheureusement pas faire ceci sans censurer les idiots.

Ce raisonnement repose sur la méconnaissance de l’intérêt de la critique postmoderne. Le fait qu’il existe un plus grand consensus sur la chimie ou la physique que sur ce qui devrait être interdit comme “obscénité“ est une question de degré, et non de principe essentiel ou métaphysique. Ceci est un point intéressant pour les étudiants en philosophie, et un élément pertinent, mais pas un code de vie pour les politiciens ou les enseignants. Le fait qu’il n’y a pas de base pour déclarer qu’une loi de la physique est permanente et ne peut pas être remplacée par une meilleure loi n’est pas une raison pour traiter une loi de la physique comme une question d’opinion ou susceptible d’être modifiée par de la poussière magique. Si l’idée qu’Isaac Newton n’est pas Dieu et également que Dieu n’est pas Dieu vous dérange, et si vous êtes furieux contre les philosophes qui ont dit ceci, vous devriez remarquer ce qui en découle : la nécessité pour chacun de défendre son droit d’essayer de les persuader de leur erreur. Et ce qui n’en découle pas : l’élimination de la chimie ou de la physique parce qu’un idiot prétend pouvoir voler ou pouvoir arrêter un ouragan avec son pistolet. Si cet idiot a 100 000 personnes qui le suivent sur les médias sociaux, votre préoccupation n’est pas la philosophie mais la stupidité.

L’inquiétude des censeurs des géants de la technologie porte aussi – en partie – sur la stupidité, mais il n’est pas certain qu’ils disposent des outils pour y faire face. D’une part, ils ne peuvent tout simplement pas faire autrement. Mais ils ont aussi d’autres préoccupations. Ils sont préoccupés par leurs profits. Ils sont préoccupés par toute remise en question de leur pouvoir – leur pouvoir et le pouvoir de ceux qui leur donnent du pouvoir. Ils sont donc préoccupés par les exigences et le sectarisme national des gouvernements nationaux. Ils sont préoccupés – qu’ils le sachent ou non – par la pensée créative. Chaque fois qu’ils censurent une idée qu’ils croient folle, ils risquent de censurer une de ces idées qui s’avère supérieure à celles existantes. Leur combinaison d’intérêts semble aller à l’encontre du but recherché. Plutôt que de persuader les gens des bénéfices de leur censure, ils persuadent de plus en plus de gens de la légitimité de ce qui a été censuré et des intérêts de pouvoir arbitraires de ceux qui exercent la censure.

Notre problème n’est pas le nombre excessif de voix sur internet. C’est une concentration trop grande de richesse et de pouvoir dans un trop petit nombre de médias qui sont trop étroitement limités à trop peu de voix, reléguant les autres voix dans des coins marginaux et ghettoïsés de l’internet. Les gens n’ont pas la possibilité de comprendre, dans un processus de communication respectueux, qu’ils se trompent. Les gens n’ont pas la possibilité de montrer à quelqu’un d’autre qu’ils ont raison. Il nous faut donc donner la priorité à ce type d’échange, avant qu’un flot de bonnes intentions mal avisées ne nous noie tous.

La partie “promulguer des informations qui incitent au crime ou à la violence“ de cette proposition de loi semble avoir eu une intention étonnamment bonne, à savoir l’inquiétude bienveillante des parents face à tous les divertissements “riches en actions“ (riches en violence) diffusés à la télévision et destinés aux enfants, des programmes d’information / divertissement pour tous les âges qui normalisent et qui favorisent la violence, comme des études et  le bon sens le suggèrent. Mais pouvons-nous interdire toutes ces bêtises, ou devons-nous habiliter les personnes pour qui cela a vraiment de l’importance à produire et choisir les programmes, et habiliter les familles à tout éteindre, et les écoles à être plus intéressantes que les dessins animés ?

La difficulté de censurer ce genre de matériel devrait être évidente du fait que les discussions à ce sujet ont tendance à s’égarer dans de nombreux sujets sans rapport, y compris la prétendue nécessité de censurer les guerres afin de protéger, non pas les enfants, mais les marchands d’armes. Dès que vous permettez à une entreprise de censurer des informations préjudiciables – hop ! – tous les rapports négatifs sur ses produits disparaissent. Une fois que vous lui dites de mettre des étiquettes d’avertissement sur l’utilisation de l’eau de Javel comme médicament, elle commence à mettre des étiquettes d’avertissement sur tout ce qui est lié au désastre du climat ou ce qui a son origine hors de la maudite Justice des États-Unis. Vous pouvez imaginer si cela finit par aider ou blesser la cible supposée, la stupidité.

Censurer les informations et les qualifier de “factuelles“ me semble être une solution bon marché qui ne résout rien. C’est un peu comme légaliser la corruption, les truquages électoraux, l’accès limité aux bulletins de votes et la domination des ondes par les entreprises, puis déclarer que l’on va limiter les mandats afin que chaque mauvais candidat soit rapidement remplacé par un autre encore pire. Cette solution paraît excellente jusqu’à ce que vous l’essayiez. Regardez les sections “contrôle des faits“ (fact-checker) des sites des médias d’entreprise. Elles sont tout aussi erronées et incohérentes que les autres sections; elles sont simplement étiquetées différemment.

Les solutions qui vont fonctionner ne sont pas somples, et je ne suis pas un expert en la matière, mais elles ne sont pas non plus nouvelles ou mystérieuses. Nous devrions démocratiser et légitimer le gouvernement. Nous devrions utiliser le gouvernement pour briser les monopoles des médias. Nous devrions faciliter et soutenir de nombreux médias indépendants, tant au niveau public que privé.  Nous devrions investir dans des médias indépendants bien que financés par des fonds publics, et qui se consacrent à permettre à un large éventail de personnes de discuter des problèmes sans le contrôle dominant de l’intérêt du profit ou des intérêts immédiats du gouvernement.

Nous ne devrions pas être simplistes quant à l’interdiction ou l’autorisation de la censure mais nous devrions faire très attention de ne pas introduire de nouveaux genres de censure et penser qu’ils ne feront pas l’objet d’abus. Nous devrions nous en tenir à ce qui est déjà illégal en dehors des communications (comme la violence) et ne censurer les communications que lorsqu’elles font directement partie de ces crimes (comme l’incitation à une certaine forme de violence) . Nous devrions être ouverts à certaines limites appliquées aux forces qui façonnent nos communications. Ces forces ont été habilitées à le faire par notre choix grâce à nos fonds publics; je serais heureux d’interdire aux militaires de jouer un rôle quelconque dans la production de films et de jeux vidéo (s’ils vont bombarder des enfants au nom de la « démocratie“, eh bien, c’est mon vote pour l’utilisation de mes fonds).

En même temps, nous avons besoin – avec l’aide des écoles et par d’autres moyens – d’une éducation radicalement meilleure et qui inclut l’éducation à la consommation des médias, ainsi que comment repérer des idioties, comment déchiffrer la propagande, comment vérifier des faits ; et qui enseigne le respect, la politesse, la décence et l’honnêteté. Je ne pense pas que ce soit entièrement la faute de YouTube si les enfants reçoivent une partie moindre de leur éducation dans leurs salles de classe – une partie de la faute incombe aux salles de classe. Mais je ne pense pas que l’éternel projet d’apprendre, et d’apprendre à apprendre puisse être limité aux salles de classe.

 

Traduit de l’anglais par Evelyn Tischer

L’article original est accessible ici