Lors de la deuxième journée du 8e symposium international du Centre mondial d’études humanistes, avril 2021, « Un nouvel humanisme pour un nouveau monde – Échanges pluriels d’un monde en crise », Javier Tolcachier est intervenu sur « La construction du sujet historique collectif de la Nation humaine universelle ».

Résumé : Toute maison acquiert un sens lorsqu’elle est habitée. Si la maison, en tant que continent, impose des conditions à l’habitant, ce dernier la façonne à son tour par son contenu et ses intentions. Il est donc inévitable, lorsqu’on imagine la Nation Humaine Universelle, de s’interroger sur la construction du sujet collectif indispensable à sa réalisation. En particulier, le document aborde la nécessité de se réconcilier avec sa propre culture et avec les autres, de comprendre et de sauver ses meilleures aptitudes à contribuer au bien commun, tout en s’interrogeant sur l’interrelation des substrats mythiques agissants avec la possibilité d’un nouveau mythe qui les inclut.

 

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TRANSCRIPTION

Remerciements

Tout d’abord, je voudrais remercier les amis de l’équipe qui a organisé ce 8ème Symposium du Centre Mondial d’Etudes Humanistes pour leur splendide travail, nous tous qui avons participé pour nos efforts afin de donner le meilleur de nous-mêmes, et tous ceux qui nous accompagnent dans ces échanges d’idées et d’expériences.

Quant à la communication que je présenterai ensuite, dont le titre est « Le sujet historique collectif de la nation humaine universelle », je tiens à remercier tout particulièrement les amis des Parcs d’étude et de réflexion Paravachasca avec lesquels nous avons dialogué sur les questions soulevées ici, dialogues qui continueront sans doute à se développer.

Je présenterai cet itinéraire conceptuel à travers des stations, afin d’en souligner les différents aspects.

Station 1 : La Nation Humaine Universelle

Chaque temps historique correspond à un projet évolutif qui se rattache au processus plus vaste de l’espèce à partir des circonstances résultant des tendances en vigueur à chaque époque.

Il existe actuellement des preuves d’une interconnexion accélérée entre diverses cultures, un moment de développement du processus de mondialisation, montrant pour la première fois dans l’histoire humaine une civilisation planétaire.

A l’opposé de la mondialisation, en tant que « courant homogénéisateur impulsé par l’impérialisme, les groupes financiers et les banques internationales, qui s’étend aux dépens de la diversité et de l’autonomie des États nationaux, de l’identité des cultures et des sous-cultures », la globalisation, selon le Dictionnaire du Nouvel Humanisme, est une direction vers laquelle « on tend vers une mondialisation des cultures et des sous-cultures », comme le souligne le Dictionnaire du Nouvel Humanisme, est une direction vers laquelle « les différentes cultures tendent à converger sans perdre leur style de vie et leur identité, en façonnant des configurations progressives telles que des fédérations nationales, des régionalisations fédératives, pour finalement se rapprocher d’un modèle de confédération mondiale multiethnique, multiculturelle et multiconfessionnelle, c’est-à-dire une nation humaine universelle. »[1]

Cette définition soulève pour nous une réflexion : rejetant d’emblée la monstruosité d’une culture cherchant à imposer ses modèles aux autres, est-il possible de converger sans que cette relation ne transfère et n’absorbe des contenus et des éléments de synergie émergents qui modifient le style de vie et l’identité de chaque culture et sous-culture ?

Sans doute, comme nous le verrons plus loin, la question est résolue en considérant les identités non pas comme des entités immobiles mais dans leur dimension dynamique.

Dans l’introduction du livre Mythes Racines Universels, Silo déclare : « Aujourd’hui, les cultures distinctes et, par conséquent, leurs héritages mythiques disparaissent. Des modifications profondes peuvent être observées chez les membres de toutes les communautés qui reçoivent l’impact non seulement des informations et des technologies, mais aussi des usages, des coutumes, des valeurs, des images et des comportements, quelle que soit leur origine. Les angoisses, les espoirs et les propositions de solutions qui prennent la forme de théories ou de formulations plus ou moins scientifiques et portent en elles d’anciens mythes inconnus des citoyens du monde actuel ne pourront échapper à ce transfert ».

Dans tous les cas, il est nécessaire d’affirmer sans équivoque que la Nation Humaine Universelle est l’expression exacte du projet planétaire évolutif à développer dans cette période historique.

Station 2 : Le paradoxe culturel

Que sont les peuples sinon l’expression vivante de leurs cultures ? Les cultures, à leur tour, sont des accumulations dynamiques paradoxales. Presque comme une projection du fonctionnement de la conscience humaine, ces accumulations génèrent des mandats à partir du contenu des mémoires collectives, tandis qu’à travers l’action transformatrice de chaque génération, guidée par des images du futur, elles incorporent de nouveaux éléments à leur patrimoine millénaire.

Aux extrêmes de cette polarité historique, dans cette courbe en spirale entre ce qui a été et ce qui sera, nous pouvons fixer deux éléments centraux d’analyse. Au cœur de chaque culture, dans sa mémoire ancienne, nous trouvons des mythes racines, tandis que dans l’avenir de toutes les cultures, il y a la rencontre avec les autres, la connexion, l’interculturalité et la transmutation en de nouvelles matrices communes de traits mélangés. Le présent texte traite de la conformation progressive de ce nouveau sujet historique collectif, avec une aptitude croissante à habiter la Nation Humaine Universelle.

Station 3 : Objet et sujet de la nation humaine universelle en tant que structure

Le Nouvel Humanisme a toujours appliqué une logique de structure, faisant communiquer les espaces internes et externes, reliant les deux aspects dans une unité indivisible et une rétroaction permanente, sans forger d’affirmations à partir d’une prééminence déterminante ou d’une causalité primordiale.

C’est pourquoi, pour la transformation de la structure, nous avons préconisé une simultanéité d’actions, capable d’introduire des modifications vertueuses tant dans la mentalité et la conduite individuelle et collective que dans les modalités d’organisation sociale.

En prenant les réalités comme un sommet de conjonction entre le paysage observé et le regard de l’observateur, il a été conclu que le changement unilatéral de l’un des deux vecteurs est une condition nécessaire mais non suffisante.

En relation avec le sujet qui nous convoque et à cause de ce regard en structure, il est alors nécessaire d’élucider quels sont les facteurs intangibles, propres à l’intériorité collective, qui doivent accompagner le dépassement progressif des limites administratives, géographiques et géopolitiques pour la conformation d’une Nation Humaine Universelle.

L’approche de cette dernière rend sans doute indispensable un autre ouvrage qui rassemble les multiples expériences historiques et montre que l’intégration progressive des peuples, loin d’être l’exception, est une tendance permanente.

Station 4 : Les chemins vers la conformation du sujet historique de la Nation Humaine Universelle

Actuellement, dans une partie de la population, il y a une réaction virulente à l’avancée du contact avec l’altérité, un contact propre au cours vers la globalisation. Sans trop nous attarder sur ce point, nous soulignons que ce rejet est concomitant de la sensation d’instabilité produite par les transformations constantes que subissent les populations en raison de la révolution technologique, de l’accélération conséquente du tempo historique et de l’affaiblissement et de la dissolution des structures sociales incapables de s’adapter aux changements du paysage dans lequel elles s’inscrivent.

Le registre de l’éloignement est très fort chez les anciennes générations, dont les souvenirs sont ancrés dans un paysage plus lointain, comme un mât face à la tempête. Mais les plus jeunes adhèrent aussi à des propositions régressives, idéalisant de manière imaginaire des temps passés, certainement moins instables, associant naïvement les proclamations salvatrices à des états de plus grand bien-être.

De même, la fragmentation progressive produite par la rupture des liens sociaux génère une solitude déchirante, faisant émerger comme compensation le besoin d’agglutinations autour d’identités qui assument une fixité et se renforcent sur la base de la différenciation. Sans doute, ici encore, ces facteurs subjectifs se mêlent-ils aux conditions sociales, telles que l’exclusion, la misère, la violence, l’absence d’avenir, bref, l’échec absolu du système décadent.

En même temps, une nouvelle sensibilité émerge, qui accueille et célèbre la diversité, une sensibilité qui cherche une adaptation croissante à un processus imparable et qui annonce sa possible consolidation progressive, une fois que les générations nées dans un paysage humain de diversité accèdent au pouvoir d’époque et installent ses contenus, déplaçant leurs prédécesseurs immédiats du centre social.

On pourrait alors avancer une hypothèse mécanique, proche du laisser-faire historique, selon laquelle il suffirait d’attendre le remplacement générationnel pour atteindre le nouveau stade social. Cependant, rien ne prédit que parmi les positions dissemblables qui existent au sein des jeunes générations, le projet le plus bénéfique triomphera.

D’autre part, en imaginant les effets absolus de la dynamique générationnelle, nous ne tenons pas suffisamment compte de l’impact de la coexistence simultanée de plus en plus de générations et de paysages dans le même temps historique, produit de l’allongement de la vie des êtres humains, coexistence dont le corrélat est l’augmentation de l’abîme et de l’incompréhension entre les différentes bandes générationnelles et le conflit dérivé des différentes mémoires et projets.

Pour notre part, nous adhérons à l’idée de l’histoire et de la constitution humaine elle-même, en tant qu’interaction d’intentions, d’où découle la thèse sur la nécessité et la possibilité de vouloir (du latin in tendere, tendre vers) des environnements psychosociaux qui favorisent la multiculturalité et l’interculturalité comme moment de complémentation, dans le processus vers la Nation Humaine Universelle.

Station 5 : Les mythes comme noyaux d’idéation culturelle

Pour en revenir à ce qui a été commenté précédemment à propos des cultures en tant qu’éléments dynamiques qui conservent un noyau central d’idéation, il est nécessaire d’indiquer les mythes comme un élément fondateur de ce noyau.

Les mythes ne constituent pas seulement un souvenir lointain, mais un puissant transmetteur d’attitudes fondamentales, que l’on peut retrouver dans les comportements de différents peuples jusqu’à aujourd’hui.

Silo dira : « Lorsque nous découvrons les tensions historiques fondamentales d’un peuple donné, nous nous rapprochons de la compréhension de ses idéaux, de ses appréhensions et de ses espoirs qui ne se présentent pas à son horizon comme des idées froides mais comme des images dynamiques qui poussent les comportements dans une direction ou une autre. Et, bien sûr, certaines idées seront acceptées plus facilement que d’autres dans la mesure où elles se rapportent plus étroitement au paysage en question. Ces idées seront vécues avec toute la saveur d’engagement et de vérité qu’ont l’amour et la haine, car leur registre interne est indiscutable pour celui qui en souffre, même s’il n’est pas objectivement justifié. » [2]

En même temps, les mythes contiennent une sorte de clause obligatoire de préservation, qui est généralement exprimée dans la formule « les enfants de vos enfants raconteront cette histoire pour toujours et à jamais » ou incluse dans une vénération systémique de l’ancestral.

Ce verrou d’autoconservation connaît sans doute la mécanique de la dynamique humaine, il tente donc de la surmonter avec des ressources qui garantissent sa pérennité. Avec un certain succès, si l’on considère la durabilité de certains de ses principaux fondements.

Le poids des mythes, cependant, et leur pérennité dans le développement des cultures et l’histoire de chaque peuple, trouve son fondement dans le fait que « les mythes ne sont pas des phénomènes rationnels, ils ne sont pas formés à partir de la pensée ; ce n’est pas l’essence des mythes, ils sont formés en traduisant des signaux provenant des espaces profonds ». [3]

En ce qui concerne les contextes d’émergence de la narration mythique, Silo ajoute dans une autre section du texte cité : « Soudain, tout va très mal pour les êtres humains d’une région, d’une époque et au milieu de tout ce chaos, il y a des choses que l’homme imagine et qui lui donnent un sens ; ces choses qui lui donnent un sens peuvent être les relations qu’il établit avec ses dieux dans ces espaces et ces temps qu’il enregistre et qui sont au-delà de son espace et de son temps habituel et au-delà de sa mort.

Ce qui se passe réellement, c’est que l’être humain de l’époque traduit ces signes qui proviennent de ces autres espaces et temps ; il peut les traduire de différentes manières, comme des dieux, des déesses, plusieurs dieux, un seul dieu, aucun dieu… Ce qui compte, c’est la traduction de ces signes. »

Et plus loin :

« Le mythe qui vient d’un autre temps et d’un autre espace apparaît soudainement et s’incruste dans cet espace et dans ce temps ; il est introduit dans le temps historique et produit un grand impact. Soudain, ces choses d’un autre plan se mettent en place dans ce plan ». Cette irruption, conclut Silo, est déterminée par « un moment historique dans lequel tout s’écroule, créant un grand désordre qui créant un grand désordre qui s’empare du peuple et une grande clameur se fait entendre. »

Station 6 : Alléger le poids de la préhistoire humaine

Dans un long processus d’adaptation croissante aux difficultés présentées par l’environnement naturel, les groupes humains se sont développés et étendus, toujours à la recherche de meilleures conditions de vie et transformant les conditions qui semblaient défavorables. En faisant cela, ils ont aussi muté leur propre condition.

D’autre part, la rencontre avec d’autres groupes humains a toujours été un mélange d’étrangeté, de peur d’un éventuel danger, mais aussi une source de curiosité et d’intuition de potentialités inconnues. Dans certains cas, les peuples ont opté pour une coexistence pacifique, en gardant une distance prudente. Dans d’autres, la rencontre n’a pas eu un caractère fraternel, mais a été caractérisée par une violence qui a forcé le combat, la soumission ou la fuite vers d’autres lieux.

Dans toutes les situations et quel que soit le vainqueur situationnel, aucune culture n’est restée indemne du contact avec l’autre.

Dans certains cas, les conquérants ont exigé une acculturation forcée et la reconnaissance des normes, habitudes et croyances de la culture dominante en tant que « culture avancée ». Face à cela, les peuples assujettis se résignent à une soumission violente pour ne pas succomber, ou bien ils adoptent la nouvelle foi avec un certain degré de consentement. Dans les deux cas, les mythes fondateurs de ces cultures ont continué à vivre. Tantôt en habillant le culte ancien de formes et d’images acceptables pour le pouvoir dominant, tantôt en étant préservé dans l’intimité par les peuples dominés à travers leurs rites sacrés.

Au-delà du triomphe apparent de la culture dominante, les cultures subjuguées ont également réussi à exercer une influence, en y imprimant leurs propres traces.

D’autre part, tous les empires envahisseurs n’ont pas imposé leurs propres pratiques culturelles aux autres. Il y avait aussi ceux qui respectaient la diversité et même ceux qui reconnaissaient des éléments civilisateurs supérieurs dans les cultures subjuguées, les assimilant comme les leurs.

Quel que soit le signe de la rencontre et l’option adoptée par les peuples, un sujet culturel modifié émerge de cette relation, qui absorbe des éléments mythiques présents dans les deux cultures.

Il y a près de quarante ans, au cours d’une conférence magistrale, Silo expliquait : « Le brassage des cultures, à mesure qu’il se développe, imposera de nouveaux éléments à l’arrière-plan de toute société, de sorte qu’elle commencera à réagir comportementalement en dehors du paysage immédiat dans lequel elle s’est initialement développée.

Bien sûr, les sociétés fermées ne seront pas les seules à être touchées par ce nouveau phénomène d’interpénétration culturelle. Les idéologies et les religions, qui façonnent et préservent les contextes sociaux, seront également touchées.

Et bien sûr, tout comme les sociétés plus fortes envahiront l’espace psychosocial des plus faibles, ces dernières finiront par provoquer des modifications en sens inverse, pour autant qu’elles ne soient pas totalement stérilisées avant d’être envahies.

Dans quelle mesure une société peut être fermée, ou dans quelle mesure une idéologie ou une religion, aujourd’hui, peut empêcher l’interpénétration des coprésences, est un sujet de discussion. Mais de toute façon, le simple fait d’utiliser la technologie, même si elle est utilisée avec des intérêts limités, conduira à l’interpénétration finale. Il en sera ainsi, car même les objets technologiques sont le produit de comportements des comportements sociaux qui réagissent au monde à partir d’un système de représentation. Et tout cela sans tenir compte du fait que cette technologie ouvre la conscience à la communication planétaire ». [4]

Comment alors introduire des horizons évolutifs dans ce moment historique d’interconnexion culturelle et d’intercommunication technologique déjà avancé ? Comment faire en sorte que cette interpénétration favorise l’émergence de la Nation Humaine Universelle ?

En tout cas, l’interpellation s’adresse à ceux qui reconnaissent cette finalité comme la leur et, en particulier, à ceux qui se proposent d’étendre leur influence dans ce sens. A d’autres époques historiques, cette fonction était concentrée dans un individu historique ou mythique, mais nous ne savons pas si dans les circonstances actuelles cela peut se faire de la même manière ou en faisant appel à des images présentes dans toutes les cultures.

Station 7 : Reconnaissance et réconciliation avec sa propre culture

Afin de favoriser l’émergence du sujet historique collectif dont les attributs permettent de faire avancer le projet de la Nation Humaine Universelle, il faut tout d’abord vérifier et reconnaître la puissante influence des mémoires culturelles dans toutes les sociétés.

Les mémoires culturelles qui, dans le cas de sociétés plus fermées, conservent des éléments plus uniformes et dans le cas de sociétés plus ouvertes exposées à de multiples interactions culturelles, présentent une mosaïque de diversité et, à son tour, d’impressions variées dans le tissu d’une culture relativement commune.

Lorsqu’il s’agit de reconnaître les mémoires culturelles et leur influence sur la façon dont les êtres humains vivent, un certain nombre de facteurs entrent en jeu. Parmi elles, actuellement, la tentative brutale de l’impérialisme culturel occidental de s’imposer et de façonner la conscience des autres peuples.

En revanche, dans les sociétés centralisatrices, les pouvoirs en place résistent à cette reconnaissance, la qualifiant de régression divisive et imposant une identité commune fictive. Cette erreur sera démentie par la suite, et les réalités culturelles deviendront évidentes à travers des fissures et des ruptures profondes, pouvant même conduire à des conflits violents.

Enfin, et sans épuiser d’autres vecteurs de résistance au cours de cette reconnaissance, il arrive que des segments sociaux importants s’indignent d’une composante culturelle présente dans leur mémoire et optent pour sa négation. Ce ressentiment trouve généralement son origine dans l’imposition forcée d’un type culturel dans lequel le pouvoir établi se qualifiait de « culture supérieure », obligeant les populations sous sa domination à se reconnaître comme « inférieures », violées dans cette condition, dont la naturalisation ouvrait la voie à l’exploitation, au fléau et à la mort.

Aujourd’hui, un puissant effort est déjà en cours pour franchir ces barrières et reconnaître dans notre propre intériorité les facteurs culturels qui ont sans aucun doute opéré dans notre formation initiale et qui se manifestent dans nombre de nos préférences, habitudes et comportements collectifs.

De l’acceptation de la présence active de l’accumulation culturelle dans la mémoire historique, et de la reconnaissance de ses meilleurs éléments, naît la possibilité de se réconcilier avec sa propre culture.

Dans ce contexte, la réconciliation fait référence à la possibilité d’intégrer dans le courant de conscience des contenus restés cristallisés afin de surmonter le ressentiment et les éventuels désirs de revanche ou de vengeance.

Cette réconciliation ne conduit pas nécessairement à une identification conflictuelle. Elle suggère plutôt, en premier lieu, de réfléchir à la force compulsive qui a conduit et continue de conduire les personnes et soi-même à des attitudes non choisies, de vérifier de manière très attentive les erreurs commises et de penser à la manière dont celles-ci peuvent être réparées à partir d’un choix libre.

De même, dans ce processus de réconciliation, il est impératif de noter les vertus et l’apport positif que chaque peuple a développé à partir de ses circonstances particulières et que le mouvement de l’histoire dépose aujourd’hui comme une graine dans le sol fertile d’une possible intention de construction convergente.

Citation de Silo « Est sage celui qui connaît ses modèles profonds et plus sage encore celui qui sait les mettre au service des meilleures causes ». [5]

Station 8 : Reconnaissance, réparation et réconciliation entre les cultures

En prenant contact avec ces paysages intérieurs, on ouvre la porte à la reconnaissance du même phénomène chez d’autres personnes, peuples et cultures.

Sans avoir besoin d’études approfondies, on peut distinguer chez d’autres personnes des habitudes caractéristiques, qui correspondent à la composition culturelle dont elles sont issues, dans laquelle prédominent des substrats mythiques anciens, plus difficiles à remarquer.

A ce stade, il est nécessaire de formuler une prévention : Loin d’aborder ces questions d’un point de vue déterministe, le Nouvel Humanisme affirme l’intentionnalité comme une caractéristique déterminante de la conscience humaine ; par conséquent, l’appréciation des pulsions culturelles vivantes au sein des individus et des peuples est vue ici comme un moyen d’entreprendre des actions transformatrices et libératrices à partir d’une plus grande compréhension.

Au-delà de tout effort unilatéral de réconciliation, afin de favoriser les voies de la compréhension, entre les peuples et ailleurs, il est nécessaire d’examiner attentivement les mesures de réparation. En termes immatériels, le sauvetage salutaire d’éléments culturels qui ont été réduits au silence par des cultures oppressives est une étape essentielle de la réparation, permettant ainsi à ces expériences d’être récupérées et renvoyées dans le flux de l’histoire future, dont elles étaient censées être extirpées.

Mais la réparation exige également la mise en œuvre d’actions positives qui compensent les injustices antérieures. Compte tenu de la distance historique, ces actions doivent traduire au temps présent, la vocation de parité et d’équité entre les peuples. Comme simple exemple, nous mentionnons que les injustices et les pénuries qui ont produit et continuent de produire l’appropriation coloniale violente par le Nord global, doivent aujourd’hui non seulement cesser en tant que pratique, mais doivent céder la place à une réparation complète du pillage à travers l’annulation des dettes, le transfert de technologie sans restriction et sans but lucratif, la cessation de l’absorption de professionnels, le commerce équitable et, plus généralement, la reconfiguration du système des relations internationales ayant comme priorité l’égalisation des droits et des opportunités pour toute l’humanité. Comme l’indique la devise « Rien au-dessus de l’être humain et aucun être humain au-dessous d’un autre ».

Comme on peut le constater, nous mettons une fois de plus en évidence le caractère structurel évoqué plus haut, selon lequel le progrès humain doit être abordé à partir d’une dimension psychosociale.

Le progrès vers la réconciliation a lieu dans la mesure où nous reconnaissons non seulement les erreurs, mais aussi les vertus des autres cultures. Des vertus qui, enveloppées dans une sensibilité de solidarité, sont les éléments essentiels pour la construction du tissu social qui constitue un moment humaniste universel.

Station 9: Le mythe commun

Jusqu’à présent, nous avons apprécié la différence et la complémentarité culturelles. Pour compléter ces idées naissantes, la nécessité de nous interroger sur la synthèse de ce processus devient évidente, c’est-à-dire sur ce sujet historique collectif qui habite la Nation Humaine Universelle.

L’image directrice à ce stade n’est pas celle de ces modèles de science-fiction que nous admirions dans notre enfance, dont les personnages étaient vêtus de brillants costumes intergalactiques. Bien que l’interaction croissante entre les scientifiques de diverses nations sur les stations spatiales internationales et dans de nombreux autres domaines soit un indicateur du chemin déjà parcouru.

Nous nous référons ici à l’éventuel élément commun qui relie et donne un sens convergent aux différentes cultures, formant ainsi un sujet historique avec un noyau d’identité partagée.

Il ne fait aucun doute que ce noyau trouve son fondement dans la reconnaissance d’une humanité commune. C’est-à-dire de ce qui, au-delà des différences de moindre degré, nous relie en tant qu’êtres de la même espèce.

Pour éveiller cette compréhension, une teneur idéologique ou conceptuelle ne suffit pas, mais il est nécessaire d’invoquer les forces profondes qui donnent naissance aux mythes, et qui, en ce moment, aident à amener l’humanité à la rencontre compatissante et à la formation d’une communauté planétaire fondée sur son identité humaine essentielle.

Comme dans tous les mythes, une expérience de connexion avec le sacré est requise, accédant aux espaces communs de l’intériorité humaine. Comme l’a exprimé Silo : « Si tu vas plus profondément en toi et que je vais plus profondément en moi, nous nous y retrouverons ».

Pour modifier le fond psychosocial en profondeur, il faudra aussi avoir une argumentation avec des images précises, avec le moteur de la conviction, qui permettra l’introduction d’éléments transférentiels et évitera la résistance du fond culturel.

La difficulté actuelle de se reconnaître communiqués dans ces expériences réside dans le zèle excessif et possessif que les différents courants ont donné et donnent encore à leurs rites particuliers, qui dans leur phase fondatrice ont servi d’échafaudage pour se connecter à des vérités profondes et mobilisatrices. Puis, piégés dans le cycle habituel de développement, de décadence et finalement dans une cristallisation non adaptée, ils ont violenté leurs adeptes et ceux qui n’étaient pas d’accord avec ces pratiques, exigeant la coutume au lieu de contribuer à leur libération.

La valeur transférentielle d’un nouveau mythe inclusif consistera alors à ouvrir la voie à la bonne connaissance, au contact avec le sens transcendant, avec la lumière intérieure et son évolution, avec l’expérience de la communion universelle, en comprenant les divers vêtements culturels comme un emballage, comme le magnifique coffre dans lequel le cadeau est livré et non comme le cadeau lui-même. De cette façon, la recherche des significations communes présentes dans toutes les cultures, qui orientent les groupes humains pour évoluer en tant qu’espèce, acquiert une plus grande signification.

La Nation Humaine Universelle apparaît alors comme une image transférentielle ayant la capacité de devenir le mythe social de cette époque, l’humanisation de la Terre étant à son tour une expression de ce but transcendant.

Enfin, comme un souffle de certitude et un rayon d’espoir, nous nous rappelons, une fois de plus, les paroles de Silo à Punta de Vacas à l’occasion de la première célébration annuelle de la Communauté du Message (4/5/2004) :

« Nous sommes à la fin d’une obscure période historique et plus rien ne sera comme avant. Peu à peu, commencera à s’éclaircir l’aube d’un jour nouveau, les cultures commenceront à se comprendre, les peuples expérimenteront une soif croissante de progrès pour tous, comprenant que le progrès limité à quelques-uns s’achève sans progrès pour personne. Oui, il y aura la paix et on comprendra par nécessité qu’une nation humaine universelle commence à se dessiner. »

 

Merci beaucoup.

 

Notes

[1] Extrait du Dictionnaire du Nouvel Humanisme. Silo.

[2] Silo. Mythes Racines Universels. Ouvres Complètes, Vol. I. Editorial Plaza y Valdés.

[3] Conversations avec Silo. 6 interviews de Enrique Nassar. Compilation de Andrés Koryzma. Ediciones León Alado (2020)

[4] Conférence magistrale de Silo. Rio de Janeiro, 4 janvier 1982. Recuperada de http://sabiosguerrerosypoetas.blogspot.com/2013/12/modificacion-del-trasfondo-psicosocial.html 

[5] Silo. Humaniser la Terra. Le Paysage Intérieur. Cap. XVI, Les Modèles de Vie

 

Traduction de l’espagnol, Greta Van Vinckenroy