La culture c’est quoi, c’est qui ?

La culture artistique et intellectuelle, complémentaire l’une de l’autre, forme avec le social, le « vivre ensemble » un tout indissociable faisant appel à notre imagination, à notre cœur comme à notre tête, elle vient questionner, titiller, bousculer nos croyances, nos peurs, nos savoirs, nos valeurs, nos doutes, le monde dans lequel nous vivons et l’humain que nous sommes dans cette société. Bien au-delà, elle nous porte, nous pousse vers le futur, elle vibre à l’intérieur de chacun pour s’exprimer à l’extérieur et nous revenir enrichit de ressenti, de découverte, de rencontre, d’une expérience partagée, commune et individuelle. Elle s’invente et se transmet.

Elle n’appartient ni aux financiers, ni à l’état, ni à l’audimat, ni aux intellectuels, ni à ceux qui pensent savoir, elle n’est pas réservée à une élite, il ne faut pas avoir bac plus cinquante deux pour la comprendre, la sentir ; elle n’est pas pompeuse, elle n’est pas triste, froide et conceptuelle, elle peut nous faire rire comme pleurer d’émotion ou de tristesse, elle n’est pas une chose vide de sens, elle n’est pas une simple distraction ni un loisir. Il est bon de se distraire, d’avoir un loisir mais tout simplement il ne faut pas confondre cela avec la culture. Elle n’est réservée à personne. Elle est toi, moi, nous, elle est nos expériences, la rue, elle est le vivant et ce que nous en faisons.

La culture, artistique-intellectuelle-social, essentielle au processus de la vie n’est pas une marchandise, encore moins anecdotique, figée, externe ; elle est le souffle du futur, indispensable à chacune/chacun pour aimer le monde, nous aimer. Elle vient chercher en nous notre sensibilité, notre douceur, nos rêves, notre bienveillance, notre envie de lumière pour rendre possible une compréhension personnelle ou de société en nous apprenant à regarder ce qui est bon en soi et chez l’autre mais aussi à regarder ce que l’on ne voudrait pas voir en nous et dans notre monde. Elle a une nanoseconde d’avance sur notre temps quand elle fait sens.

La culture pousse les limites, nos limites, c’est une révolution de chaque instant.

Caravan Project par son travail, sa recherche, son voyage vers d’autres éveille cette dimension et partage avec nous leur questionnement, leur expérience et le sens de leur travail.

 

 

http://www.zo-jevis.com

Interview

Alexandra Saliba : Nous sommes un collectif de chercheurs en cinéma, d’artistes, notre nom est Caravan Project. Nous avons entrepris un voyage en 2011 afin de retracer des histoires humaines non racontées. Nous avons parcouru toute la Grèce dans une caravane. Grâce à la réalisation de films documentaires et à la photographie principalement, nous avons commencé à documenter ces histoires non racontées. Notre objectif était de sauvegarder et de diffuser les histoires qui peuvent motiver et inspirer les gens. Et surtout, cela peut mettre en lumière un autre aspect de notre pays en crise.

Nous voulions trouver les histoires de gens qui ont leurs propres valeurs, qui essaient de changer leur vie, qui essaient de changer le monde au sein de leur communauté, des personnes qui savent encore comment aimer, qui sont sincères et qui sont en quelque sorte révolutionnaires en terme de créativité, bien sûr.

Ricardo Arias : Ce projet est votre réponse à la crise?

Stratis Vogiatzis : Bien sûr, nous devions réfléchir à une façon de réagir à ce qui se passait dans notre pays. Nous avons pensé que la meilleure façon de le faire est d’agir en tant qu’artistes et en tant que personnes qui s’intéressent à ce qui se passe autour d’eux, d’aller sur place recueillir des histoires.

Comme Alexandra l’a dit aux gens, ils peuvent, par leur vie et par leurs actions, inspirer et motiver les autres à sortir dans le monde, à exprimer ce qu’ils ressentent et agir d’une manière ou d’une autre par eux-mêmes.

Nous voulions donc documenter des histoires. Nous avons pensé que le partage des histoires est une tactique révolutionnaire. Et c’est pourquoi, après avoir documenté certaines histoires, nous avons commencé à les distribuer et à les partager dans les écoles, les universités et les prisons. Et à chaque fois c’est une expérience sociale qui s’y est produite. Parce que les gens ressentaient le besoin d’être proches des autres, de rêver, de résister de manière créative, de suivre leur propre chemin dans la vie.

Nous avons estimé que c’était la chose à faire en ces temps de turbulences que nous vivions.

Ricardo Arias : Quel est le changement que produisent toutes ces actions en vous ?

S V : Caravan Project n’est pas seulement un projet, c’est un style de vie, vous savez, c’est une façon de regarder le monde et d’être en quelque sorte proche du rythme existant autour de nous. Ce que nous faisons là-bas ne se résume pas à prendre la caméra avec un regard de scientifique. Il y a la vie de la personne, il y a la vie de la communauté. Nous en faisons donc partie. Nous essayons de faire partie de la vie de la personne que nous documentons. Et puis nous faisons un documentaire sur lui ou sur la vie d’un groupe collectif.

Je pense donc que cela nous influence profondément, influence les histoires que nous vivons et les gens que nous avons rencontré. Et je pense qu’elles deviennent une partie de notre famille élargie après le temps que nous avons passé ensemble. Et c’est sûr que nous ne sommes pas les mêmes personnes après l’histoire.
De plus, la façon dont nous faisons ce documentaire n’est pas un reportage. Vous savez, c’est en quelque sorte le résultat d’une expérience à la suite d’une implication profonde, d’une rencontre entre deux mondes. Cette expérience nous a aussi transformés en tant que personnes.

A S : Je pense que c’est très important, surtout dans la deuxième phase de notre voyage à travers la Grèce et la façon dont nous sommes. Nous nous attachons à communiquer les histoires que nous avons recueillies en installant un espace, avec deux tentes et en campant dans une ville grecque pendant un mois, en créant quelque chose comme un espace où nous invitons les gens à venir rencontrer l’autre monde que nous essayons de présenter à travers nos histoires. Et je pense que nous avons réalisé que c’est un sentiment très dynamique que nous apportons à travers la deuxième phase de notre voyage.

Nous avons réalisé le pouvoir des histoires, nous avons réalisé que les histoires, ce genre d’histoires que nous n’entendons pas dans les médias de masse, les médias dominants, ont le pouvoir d’éveiller l’âme et le cœur des gens. Et c’est très important car nous avons réalisé que les histoires peuvent agir comme des catalyseurs de changement social, peut-être même trop ! Et ça paraît énorme mais c’est ce que nous avons réalisé grâce à notre voyage et à travers notre interaction avec les communautés locales et avec les gens.

Mon opinion personnelle est que dans notre vie, nous cherchons toujours, nous essayons toujours de répondre à la question de savoir qui nous sommes, où nous voulons aller, ce que nous voulons faire. C’est donc Caravan Project qui tout le temps nous rappelle ces questions. Chaque jour à notre réveil la question demeure, et c’est ce qui nous motive à voyager parce que nous avons cette « agonie créative » en nous. Qui sommes-nous ? Qu’est-ce que ce monde ? Comment pouvons-nous aider ce monde ?

GN : Est-ce que cette expérience que vous vivez avec les gens depuis quatre ans change t-elle votre regard sur le futur?

S V : Je ne peux pas parler pour tout le monde, mais pour moi. Les gens que nous avons rencontrés et ce qui s’est passé dans la caravane dans les cinq dernières années a juste renforcé le sentiment que j’avais avant cela. Vous savez, vous devez vous battre, comme si la vie était un combat.

Je veux dire, pour ce en quoi vous croyez, pour l’autre bout d’une lutte pour vous atteindre aussi, je lutte avec…n’est pas le bon mot en anglais. Mais quoi qu’il en soit, un combat pour lequel vous vous battez. Je pense aussi que dans les personnes que nous avons documentées, il y avait des gens qui vivaient en marge de la société, ils n’avaient pas le luxe d’être les bénéficiaires de la société vous savez.

Et s’il y a un lien intérieur qui nous relie à eux, c’est notre devoir de ne pas laisser tomber à cause des difficultés qui les entourent, ni de s’opposer à leur attitude, de ne pas plier et de ne pas se rendre, quelles que soient les circonstances, les circonstances difficiles qui les entourent.

Et d’avoir cette chose précieuse qui, je pense, est la chose la plus précieuse dont nous voulons aussi parler à travers notre travail, c’est-à-dire la dignité.

GN: En quelques mots pourquoi vous avez accepté de nous rencontrer?

S V : Parce que nous pensons que ce que nous faisons a peut-être une signification pour quelqu’un.

Et parce que nous voulons d’une manière ou d’une autre, comme l’a dit Alexandra, répandre l’importance de l’histoire de la vie d’une personne et grâce à ce que nous faisons et aux personnes que nous avons documentées, que d’autres personnes puissent être inspirées ou mobilisées par différents points de vue ; peut-être pouvons-nous contribuer à cela.