Dans les pays  où les femmes sont les plus marginalisées, discriminées par la loi et où les normes de genre interdisent aux femmes de posséder des biens et des ressources, c’est aussi là que les populations sont les plus affamées. La raison en est que l’égalité homme-femme et le système alimentaire sont étroitement liés. 

Cependant, trop souvent, on se concentre sur le rôle des femmes dans la production, la fabrication, la vente de la nourriture, dans leur décision de consommer et d’acheter de la nourriture pour leur foyer

Un système alimentaire juste et équitable exige la reconnaissance des femmes en tant qu’agricultrices et de leurs droits sur la terre qu’elles cultivent, l’utilisation de technologies qui réduisent la pénibilité de agriculture et des politiques qui peuvent assurer que les femmes pourront gagner leur vie de l’agriculture. 

Ceci est important mais nous devons aussi nous intéresser à la question de savoir si le système alimentaire tel qu’il existe est juste et équitable et s’il encourage l’émancipation des femmes et filles, s’il leur permet de gagner leur vie et leur garantit la santé. 

Le Sommet des Nations Unies sur le Système Alimentaire qui sera convoqué en 2021 par le Secrétaire Général des Nations-Unies est l’unique opportunité pour le monde de reformuler une discussion globale sur le lien entre le genre et la nourriture, et de se poser les bonnes questions sur la manière dont le système alimentaire doit être structuré pour être juste et équitable. 

 

Remettre un cadre sur le genre et les systèmes alimentaires

Alors qu’il faut reconnaître que la transformation des systèmes alimentaires est une problématique politique, économique et environnementale, il faut aussi reconnaître  que c’est un problème d’égalité des sexes. Les fortes inégalités entre les sexes sont à la fois la cause et le résultat de systèmes alimentaires irrationnels, d’un accès, d’une consommation et d’une production alimentaire déséquilibrés. 

Combattre l’inégalité homme femme et octroyer aux femmes une réelle émancipation n’est pas seulement un pré-requis fondamental pour la transformation des systèmes alimentaires mais c’est aussi un objectif.

A quoi devrait ressembler un système alimentaire juste et équitable du point de vue du genre ?

Un système alimentaire juste et équitable du point de vue du genre devrait garantir un monde sans faim, dans lequel les femmes, les hommes, les filles et garçons ont un accès identique à une nourriture saine et nutritive, et un accès à des ressources pour produire, vendre et acheter de la nourriture.

C’est un système alimentaire dans lequel les rôles, les responsabilités, les opportunités et les choix sont disponibles pour les femmes et pour les hommes, incluant les soins et les provisions alimentaires, et ne sont pas déterminés par la naissance mais développés en fonction des capacités et aspirations individuelles.

C’est un système alimentaire dans lequel les pays, les communautés, les foyers et les individus, femmes et hommes, sont équipés correctement pour pouvoir produire assez de nourriture pour leurs populations tout en respectant l’environnement et en participant à des systèmes alimentaires commerciaux locaux, régionaux et mondiaux respectueux de l’égalité hommes femmes.

Alors que les systèmes alimentaires se transforment, l’objectif devrait être de s’assurer qu’ils le font de manière équitable, engagée et bénéficiant à tous, les femmes, les filles, les garçons, les hommes, les autochtones entre autres.

 

Vers un système alimentaire juste et équitable

Mettre en place un système alimentaire juste et équitable exige de repenser le rôle des femmes en tant que productrices et consommatrices. On doit également évoluer de « quelles sont les contributions des femmes dans l’agriculture ? » vers « comment les systèmes alimentaires et agricoles doivent être repensés pour être équitables et permettre l’émancipation des femmes ? ».

Pour atteindre cet objectif, il faut se placer d’un point de vue féministe, et il faut des innovations systémiques du système alimentaire.

Premièrement, au niveau de la production agricole, un système alimentaire juste et équitable saura reconnaître les femmes en tant qu’agricultrices ayant des droits sur les terres qu’elles cultivent, utilisant des technologies qui réduisent la pénibilité de agriculture et ayant accès à des politiques qui assurent que les femmes pourront gagner leur vie de l’agriculture.

Beaucoup de femmes se voient refuser le droit de gérer leur terre en toute autonomie, l’accès aux fournitures agricoles, au crédit et à tant d’autres ressources essentielles pour cultiver, car les gouvernements et les programmes partent du principe que les agriculteurs sont des hommes, car « les hommes sont les professionnels».

Des mouvements mondiaux comme « Me Too » aident à éveiller les consciences sur la nécessité de mener des actions en faveur des femmes, et de leurs droits à obtenir des ressources et un revenu qui leur permettent de vivre.

Deuxièmement, il faudra que les politiques et processus commerciaux et financiers n’exercent aucune discrimination contre les femmes, et associent les femmes dans le projet et la mise en place.

Le AfCFTA, l’Accord de Libre Échange Continental Africain, inclut dans son contrat cadre un objectif d’égalité homme  femme et reconnait la participation des femmes sur un marché continental intégré comme étant totale, égalitaire et censée.

Troisièmement, il faudra que les standards d’égalité des genres incluent la dignité et une rémunération égale pour les femmes, avec un contrôle et des responsabilisation dans l’industrie alimentaire, qu’il s’agisse de grandes exploitations, d’usines agro-alimentaires ou de l’industrie de services. Aux Etats-Unis, en 2019,  les femmes qui travaillaient dans la transformation alimentaire étaient payées 74 cents là où les hommes gagnaient un dollar. En 2018, l’OIT a souligné les violences sexuelles, le harcèlement et les conditions de travail précaires subies par les femmes dans l’agriculture marchande.

Des standards semblables sont négociés dans certaines industries comme celle du textile.

Le Groupe de Travail sur le « Genre » de l’ISEAL par exemple a pour but d’améliorer les conditions de travail des femmes dans les chaînes d’approvisionnement du textile et du prêt-à-porter en mettant en avant des stratégies, des outils, des systèmes et des enseignements factuels qui pourront être largement appliqués à d’autres organisations standardisées.

Enfin, la voix des femmes devra être renforcée et amplifiée à tous les niveaux du système alimentaire. Cela exigera de financer des organisations de petites exploitantes agricoles, des réseaux commerciaux gérées par des femmes, des syndicats de salariées, des organisations de consommatrices pour s’engager à différents niveaux et dans différentes discussions pour influencer les systèmes alimentaires.

L’industrie devra adopter des principes ou un manifeste pour la représentation et l’intégration des femmes dans le système alimentaire, similaire par nature au manifeste des Chefs.

Nos systèmes alimentaires doivent changer pour nourrir le monde d’une manière durable qui protège notre planète. Il est également important qu’ils soient justes et équitables, qu’ils répondent aux besoins et aux priorités de ceux qui en dépendent, et cela inclut les femmes.

 

Dr. Jemimah Njuki est la dépositaire de l’égalité homme femme et de l’émancipation des femmes pour le Sommet 2021 sur les Systèmes Alimentaires, et une Sponsor des Systèmes Alimentaires. Elle est membre des Nouvelles Voix de Aspen, et écrit sur les problématiques d’égalité des sexes dans les systèmes alimentaires. Suivez la sur @jemimah_njuki

L’article original se trouve sur le site de notre partenaire

 

Traduction de l’anglais, Frédérique Drouet