« Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux [vos enfants], mais ne tentez pas de les faire comme vous. Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier. » Khalil Gibran

Je n’avais jamais entendu parler d’eux, tout du moins pas sous cet acronyme venu des États-Unis. C’est ainsi que j’ai découvert dans un reportage diffusé sur France Culture [1] ceux que l’on nomme les Ginks pour “Green Inclination, No Kids”. Comprenez « Engagement vert, pas d’enfants ». J’ai écouté avec beaucoup d’attention ces jeunes femmes et ces jeunes hommes qui expliquent pourquoi ils ont décidé de ne pas avoir d’enfants, décision mûrement réfléchie et qu’ils posent comme un acte responsable, politique pour certains, face au dérèglement climatique et aux conséquences dramatiques qu’il annonce pour les décennies à venir.

Leur discours m’a impressionné par la maturité et l’engagement vis-à-vis de la cause environnementale dont font preuve ces jeunes adultes. Ils ont intégré le fait que le monde va changer irrémédiablement et ils ont fait le choix délibéré de protéger cet enfant « qu’ils aiment tellement, qu’ils ne l’ont pas fait ». Formule un peu facile, mais qui en dit long sur le désarroi qui les habitent face à un défi d’une ampleur inédite contre lequel ils veulent pouvoir mobiliser toutes leurs énergies, en passant par la « réinvention d’une nouvelle forme de fécondité » à travers l’action militante et « l’empathie pour ceux qui sont déjà là ».

A la question de l’adoption comme alternative à la procréation, une jeune fille de 20 ans nous explique tranquillement que ce n’est pas, pour le moment, sa première préoccupation : « Je manque d’éducation par rapport au respect de l’environnement. Ce n’est pas ce qu’on nous apprend. Je suis obligé d’apprendre par moi-même à me réalimenter de manière écoresponsable, à réduire ma consommation de déchet. C’est un peu long comme processus. Je veux bien adopter, mais je dois d’abord refaire mon éducation avant de pouvoir peut-être montrer à un autre comment bien faire. »

Je ne peux que souscrire à une démarche qui consiste à s’appliquer à soi-même ce qu’on aimerait voir se généraliser. C’est le meilleur moyen d’en tester la viabilité, d’en corriger les erreurs à travers l’expérience vécue. Une fois engagé dans cette démarche personnelle de transformation, il devient naturel de l’appliquer dans sa vie sociale, son travail et, si l’on exerce des responsabilités, d’intégrer cette dimension dans ses décisions. Et c’est ainsi que « le monde » changera.

C’est un message similaire que porte le film produit par Pressenza qui retrace le combat d’une poignée de femmes et d’hommes déterminés à interdire les armes nucléaires[2]. Celui d’une conviction chevillée au corps qui finit par emporter l’adhésion du plus grand nombre.

En tant que baby-boomer j’ai grandi en pleine guerre froide et la dissuasion nucléaire faisait partie du paysage. Le démantèlement des arsenaux nucléaires – dont celui de mon propre pays – me semblait relever d’une intention louable mais totalement utopique. Après avoir regardé ce documentaire, je m’aperçois qu’un long chemin a été parcouru et qu’aujourd’hui la position des pays détenteurs de « La bombe » est de moins en moins tenable.

Le débat n’est plus autour de la sécurité des états mais plutôt de la catastrophe humanitaire de grande ampleur qui résulterait de l’utilisation de cette arme de destruction massive. Progressivement l’idée que l’arme nucléaire ne devra jamais être utilisée s’est imposée, rendant sa possession plutôt un handicap vis-à-vis de la communauté internationale. En réaffirmant inlassablement le droit fondamental pour chaque habitant de la planète à vivre sans cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête, un pas important a été franchi vers une culture de paix.

Les négociations qui ont abouti à la signature en 2017 d’un Traité sur l’interdiction des armes nucléaires ont été menées sous l’égide du Costa Rica, pays qui a renoncé à ses forces armées depuis 1949. Un symbole fort du haut degré d’unité des Nations partisans de l’interdiction.

Tous les États possédants l’arme atomique ont boycotté l’adoption de ce texte, alors qu’États-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni s’étaient engagés dès 1968 à « faire tous les efforts nécessaires en toute bonne foi » pour œuvrer au désarmement. Dans un monde « sain », l’engagement de bonne foi devrait avoir force de loi aux yeux de celui qui l’invoque…

Beatrice Fihn, directrice de la campagne ICAN raconte que lors d’une des dernières réunions préparatoires à la signature du traité, ce même Club des cinq a été la risée des autres pays par leur entêtement dans une posture belliciste peu convaincante.

Le rire est le propre de l’homme. C’est ainsi que mes pérégrinations autour des Ginks m’a conduit au site sorrychildren.com qui nous invite à partager « la pire excuse » qu’on pourrait donner à ses enfants pour expliquer qu’on n’a rien fait pour lutter contre le dérèglement climatique [3]. Des personnalités engagées donnent la leur. La palme à Didier Super et ses 519 J’aime pour son « J’emmerde les générations futures, je suis stérile » !

J’ai cherché un moment qu’elle pourrait être « mon » excuse et c’est en souriant à celle invoquée par Cyril Dion (Le confort c’était trop fort) que m’est venue cette demi-vérité : « J’avais trop la rage pour avoir du courage. » J’avais résumé en quelques mots, le principal obstacle à mon « empêchement ».

Il est utile de rappeler que le dérèglement climatique n’est pas un phénomène naturel, mais désordre de la nature provoqué par l’homme. Chez la plupart des peuples autochtones, le concept de nature n’existe pas, car l’homme est considéré comme partie intégrante de son environnement. Vu sous cet angle, le désordre que nous avons provoqué commence en nous-même et se propage, par contagion autour de nous, comme pourrait le faire une horde de bêtes sauvages soudainement devenues folles sous l’emprise d’un mal inconnu. Commençons par réorganiser notre nature et, progressivement, tout rentrera dans l’ordre.

Toutes les initiatives visant à réduire notre empreinte carbone sont bonnes à prendre, mais ne nous y trompons pas, la cause véritable du problème est à rechercher d’abord en nous-même si nous voulons effectuer une avancée décisive en tant qu’espèce humaine.

L’un des témoignages entendus dans le reportage de France Culture m’a laissé songeur lorsque, à la question de savoir si la stérilisation était le geste écolo ultime, l’homme interviewé a fait cette réponse : « Techniquement, le geste ultime c’est le suicide car on élimine directement une unité d’impact. » Il a ensuite tempéré son propos par d’autres alternatives, mais j’ai trouvé glaçant qu’un jeune homme de 32 ans, engagé dans un processus résilient, continue à réfléchir dans le cadre de cette culture utilitariste et déshumanisée qui nous a conduit dans l’impasse où nous sommes.

Un épisode peu connu de la mythologie hindoue raconte que le Roi Parikshit, petit-fils d’Arjuna, héros du Mahabharata, se voit contraint, par respect des usages en vigueur, de devoir donner asile au démon Kali. Conscient du danger que représente cette entité ténébreuse pour la sécurité de son Royaume, il veut s’acquitter seul de cette mission. Il propose donc à Kali de trouver refuge dans sa tête, là où il pense être suffisamment fort pour le contrôler. À l’instant même où le démon prend possession de son esprit, la pensée de Parikshit commence à se corrompre. Le Roi meurt ensuite prématurément, victime d’une malédiction qu’il s’attire bientôt. Entre temps le démon a profité de la brèche qu’il a ouverte pour étendre son pouvoir ténébreux sur le Royaume et inaugurer ainsi Kali Yuga, l’âge des ténèbres dont on nous annonce sans cesse la fin. Serait-ce à nous d’en fixer l’échéance par des choix plus éclairés ?

« Le mystère d’être un corps, un corps qui interprète et vit sa vie, est partagé par tout le vivant : c’est la condition vitale universelle, et c’est elle qui mérite d’appeler le sentiment d’appartenance le plus puissant. » Baptiste Morizot

 

[1] Ginks : ne pas faire d’enfant, geste écolo ultime ? France Culture, Grand reportage du 4 juillet 2020.

[2] Le début de la fin des armes nucléaires, Pressenza, le 7 juillet 2020.

[3] sorrychildren.com – la pire excuse