La Ministre des armées a donc annoncé ce 12 juin la réalisation d’un tir de missile intercontinental nucléaire de type M51.2 à partir du SNLE Le Téméraire (N.d.E. SNLE : sous-marin nucléaire lanceur d’engins). La Ministre parle « d’excellence technologique » ; une expression des plus mal choisie pour qualifier une arme de destruction massive.

En réalisant ce test, la France montre ses muscles sur sa capacité de créer des conséquences humanitaires et environnementales catastrophiques. Ce test est une nouvelle fois la démonstration que la politique de dissuasion se traduit par une acceptation de renoncer à l’ensemble des règles de droit international, dont le droit international humanitaire.

Ci joint et au nom de ICAN France (Campagne Internationale pour Abolir les Armes Nucléaires, prix Nobel de la paix 2017), un dossier « Alerte presse : Essai du missile M51 » en réaction a cette action.

Jean-Marie Collin

 

Essai du missile M51 :

Réactions

Patrice Bouveret – directeur de l’Observatoire des armements, co-porte-parole de ICAN France

  • « L’absence volontaire d’actions concrètes de la France en faveur du désarment nucléaire est dangereuse car elle est une incitation à la prolifération. Il est urgent que la France s’ancre dans la nouvelle réalité du monde en respectant la démocratie, et s’engage au côté de la majorité des États de la communauté internationale qui soutient le Traité d’interdiction des armes nucléaires. »
  • « Cet exercice nucléaire est contraire à l’esprit du traité de non-prolifération nucléaire qui prévoit que les États dotés de l’arme atomique doivent, de bonne foi, tendre vers la suppression de toutes les armes nucléaires de la planète. »
  • « Croire que la politique de dissuasion nucléaire nous mettrait à l’abri de menaces étatiques repose sur des mythes et ne tient absolument pas compte de la réalité des angles morts qui existent et des risques d’utilisation par erreur ou par accident. »

Jean-Marie Collin – expert sur le désarmement nucléaire et co-porte-parole de ICAN France

  • « En réalisant ce test, la France montre ses muscles sur sa capacité de créer des conséquences humanitaires et environnementales catastrophiques. Ce test est une nouvelle fois la démonstration que la politique de dissuasion se traduit par une acceptation de renoncer à l’ensemble des règles de droit international, dont le droit international humanitaire. »
  • « Le coût de développement des forces de dissuasion ne cesse de progresser au détriment d’une véritable sécurité humaine. En 2020 c’est 8 999 € par minute dépensée par l’ensemble des contribuables Français, en 2025 ce sera 11 415 € ! »
  • « Il est urgent que la commission des Affaires étrangères mette en place la délégation permanente à la dissuasion nucléaire, à la non-prolifération, à la maîtrise de l’armement et au désarmement adoptée en juillet 2018. Ce format permettrait d’engager une plus grande transparence sur ce domaine qui reste bien opaque. Les parlementaires qui ont multiplié les tribunes pour « changer de monde » doivent agir au plus vite. Sinon, nous allons rester dans ce « monde d’avant » ; toujours sous la menace des armes nucléaires ».

 

Le missile M51

Le missile M51 est l’actuel missile balistique (MSBS, missile mer-sol balistique stratégique), à ogive thermonucléaire multiple, utilisée par la Force océanique stratégique (FOST) depuis 2010. La France en est à sa sixième génération de missile balistique : M1, M2, M20, M4, M45, M51. Soit, depuis 1971, le développement et l’arrivée d’un nouveau missile dans les forces tous les six ans.

Le M51 correspond à une « famille » de missile, chaque version étant améliorée par rapport à la précédente. Mise en œuvre depuis 2010 avec l’ogive nucléaire TN-75, une version nouvelle (M51.2) est également en dotation depuis 2015/2016 avec l’emport de la TNO (pour tête  nucléaire océanique). Le M51.3 est également en cours de développement avec une mise opérationnelle prévue pour 2025 ; sachant que vers 2023 sera aussi lancée le programme du M51.4.

Selon les données parlementaires disponibles, ce missile « dispose d’une capacité d’emport supérieure au M45 et adaptable, donc d’une meilleure portée »[1] ; chaque missile « pouvant emporter de 6 à 10 têtes nucléaires »[2].

 

En contradiction avec le traité de Non-prolifération nucléaire

La France en ratifiant le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) en 1992 s’est engagée à mettre en œuvre son article VI, puis en 2000 « les 13 étapes concrètes » et enfin les 22 mesures de désarmement en 2010 parmi lesquelles on peut noter, par exemple :

  • « L’engagement sans équivoque à parvenir à l’élimination complète de leurs armes nucléaires » ;
  • « La réduction du rôle et de l’importance des armes nucléaires dans tous les concepts, doctrines et politiques militaires et de sécurité » ;
  • « Améliorer encore la transparence et renforcer la confiance mutuelle. »

Enfin, il est choquant d’entendre le président Macron (discours « Dissuasion et stratégie », 7 février 2020) renvoyer les appels au désarmement nucléaire au rang de « débat éthique » qui « manque de réalisme dans le contexte stratégique » et de suggérer que la dissuasion nucléaire de la France devrait s’européaniser, dans l’année du 50e anniversaire de l’entrée en vigueur du TNP et des 75e commémorations des drames de Hiroshima et de Nagasaki.

 

Budget de la dissuasion nucléaire

La Loi de programmation militaire 2019/2025, votée le 13 juillet 2018, prévoit une dépense publique de 37 milliards € pour le maintien en condition opérationnelle, la modernisation et le renouvellement des systèmes alloués à la dissuasion nucléaire : SNLE- NG/SNLE-NG3, missile balistique M45, M51, M51.1, M51.2, M51.3, ogive TNA, TNO, ASMP/ASMP-A/ASN4G, système de transmissions.

  • Le coût du programme d’armement M51 est (au moins) de 8,5 milliards €, réparti entre le développement du missile et de son système de mise en œuvre à la base de l’île Longue (5,7 milliards d’euros) et le coût de réalisation des trois lots (48 missiles plus une douzaine pour des essais) pour les SNLE (2,8 milliards d’euros).

Pour rappel, en 2018 pour la première fois depuis près de 20 ans, la barre des 4 milliards d’euros (exactement 4,04 Mds) a été dépassée. La répartition sur 7 années des 37 Mds € n’est pas connue par le Parlement. La seule donnée disponible est qu’à partir de 2023, ce montant annuel doit être proche ou de 6 Mds € et perdurer sur les années 2024, 2025, et suivante au moins sur une décennie minimum).

  • En 2021, ce budget devrait être proche des 5 Mds €, soit + 1 Md depuis
  • Les Français dépenseront en plus par minute entre 2019 et 2025, la somme de 2 949 € pour des armes de destruction
Années de la LPM Budget de la dissuasion nucléaire
2019 4,45 Mds € = 8 466 € par minute
2020 4,73 Mds € = 8 999 € par minute
2021 +/-5,1 Mds €
2022 +/- 5,4 Mds €
2023 5,7 Mds €
2024 6 Mds € = 11 415 € par minute
2025 6 Mds €

 

Selon des données parlementaires[3], le processus de renouvellement de l’arsenal nucléaire débutera en 2022 et se terminera en 2048. Le coût global serait compris entre 24 et 28 milliards d’euros. Ces coûts ne recouvrent que celui des SNLE (pour environ 18 à 20 Mds), des missiles nucléaires océaniques, M51.3 et incréments futurs (pour environ 5 à 6 Mds) et des missiles nucléaires aéroportés ASN4G (pour environ 1 à 2 Mds).

Cette information exclue donc les dépenses liées au maintien en condition opérationnelle, actions de modernisation et n’apporte aucune donnée financière sur les coûts liés au successeur du Rafale, au démantèlement, au stockage et à la gestion des déchets nucléaires.

 

La Génération Y, est contre les armes nucléaires

La jeunesse aspire à un monde différent que celui de vivre sous une épée de Damoclès nucléaire. Ce besoin a été présenté par le Comité internationale de la Croix Rouge (CICR) à travers son étude

« Génération Y et la guerre » (janvier 2020) menée sur 16 000 milléniaux dans 16 Etats, dont la France :

  • « Selon vous, pendant une guerre ou un conflit armé, l’utilisation d’armes nucléaires peut- elle se justifier dans certaines circonstances, ou n’est-elle en aucun cas acceptable ? » : 81 % des Français pensent que l’utilisation de ces armes n’est en aucun cas
  • « Selon vous l’existence des armes nucléaires est-elle une menace pour l’humanité ? » : 80 % des jeunes français reconnaissent cette menace (32 % sont « plutôt d’accord » et    48 % sont « complètement d’accord »).
  • « Les pays qui adhèrent à ce type d’accord international (traité sur l’interdiction des armes nucléaires) s’engagent à ne pas utiliser, posséder ou développer d’armes nucléaires. Seriez- vous favorable ou opposé à l’adhésion à ce type d’accord ? » : 45 % soutiendrait l’adhésion de la France à ce traité et seulement 17 % s’y opposerait (29 % n’ayant pas d’avis).

 

Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires

Le 7 juillet 2017, une écrasante majorité d’État (122) adopte à l’ONU, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN). Pour la première fois depuis 20 ans, un instrument multilatéral juridiquement contraignant a été négocié pour le désarmement nucléaire. Ce Traité vient compléter d’autres processus internationaux (le TNP, le TICEN) pour renforcer la sécurité internationale et la non-prolifération nucléaire.

L’article 1 « Interdictions » précise que « les États s’engagent à ne jamais, en aucune circonstance : mettre au point, mettre à l’essai, produire, fabriquer, acquérir de quelque autre manière, employer ni menacer d’employer, posséder ou stocker, transférer, accepter, autoriser l’installation ou le déploiement d’armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires. »

Le TIAN vient créer une pression juridique, financière et morale et permettra d’engager véritablement le processus de désarmement nucléaire, ainsi que d’agir auprès des populations victimes d’armes nucléaires (Hiroshima, Nagasaki, essais nucléaires) et d’engager un processus de réhabilitation de l’environnement pollué par ces armes.

Avant l’adoption du TIAN, les armes nucléaires étaient les seules armes de destruction massive qui ne faisaient pas l’objet d’une interdiction complète, en dépit de leurs conséquences humanitaires et environnementales catastrophiques. Ce nouvel accord comble une lacune importante en droit international.

Ce traité est ouvert à la signature depuis le 20 septembre 2017 et il entrera en vigueur une fois que 50 États l’auront ratifié. À la date du 10 juin 2020, 81 États ont signé et 38 États ont ratifié ce traité, permettant de penser à une entrée en vigueur en fin d’année 2020, début 2021.

 

Notes

[1] Avis n° 108, X. Pintat et Daniel Reiner, 17 novembre 2011.

[2] Rapport d’information sur « Les enjeux géostratégiques des proliférations » de JM Boucheron et J. Myard, 18 novembre 2009.

[3] Rapport d’information sur l’exécution de la loi de programmation militaire 2014-2019 des députés MM. François André et Joaquim Pueyo.