Depuis plus de quatre mois, des centaines de milliers de Libanaises et de Libanais descendent dans le rue pour protester contre la détérioration de leurs conditions de vie qu’ils attribuent au système politique marqué par le clientélisme à grande échelle et la corruption endémique. La situation économique est catastrophique, 40 % de la population serait passé en dessous du seuil de pauvreté et le nombre de suicides augmente de façon alarmante. Pressenza a interrogé un militant libanais sur le contexte et les raisons de cette vague de contestation sans précédent au pays du cèdre.

interview de Jad Chaoul, militant libanais, par Olivier Flumian pour Pressenza Toulouse

Pressenza : Pourquoi les Libanais manifestent-ils depuis plus de quatre mois ?

Jad Chaoul : La population manifeste contre la corruption et pour le respect de ses droits élémentaires. Nous voulons des conditions de vie dignes : accéder au logement, au travail, à l’eau courante, à l’électricité, à la santé, à l’éducation dans des conditions normales. Tout cela est complètement empêché par la corruption massive et le détournement des biens publics par les responsables politiques. Actuellement par exemple la justice libanaise enquête sérieusement sur des prêts importants accordés par le gouvernement français. Les fonds ont été détournés de façon évidente. Le gouvernement français a appuyé un gouvernement corrompu en connaissance de cause.

P. : Ce mouvement est-il nouveau dans l’histoire du Liban ?

J-C. : Le système a été mis en place après la fin de la guerre civile en 1990. A ce moment, les chefs de guerres se sont partagés le pays. Ces gens, qui étaient responsables du conflit et de la mort de milliers de gens, n’auraient jamais dû accéder au pouvoir. Je rappelle que cette guerre qui a duré de 1975 à 1990 a fait 200 000 victimes libanaises. Après la guerre ils ont continué à régner en divisant les Libanais entre eux en fonction de la religion. Ce qui est nouveau depuis le 17 octobre dernier c’est que les manifestations rassemblent les citoyens par delà les différences politiques et confessionnelles. C’est remarquable dans un pays où il y a 18 confessions religieuses. C’est un mouvement qui regroupe l’ensemble de la population. Les jeunes sont très mobilisés, notamment à travers leurs écoles et universités et les femmes aussi bien sûr sont très nombreuses.

P. : On se souvient des manifestations de 2015 contre la mauvaise gestion des ordures. Y a-t-il un rapport avec le mouvement actuel ?

J-C. : En effet, en 2015 des manifestations importantes contre la gestion catastrophique des ordures ont eu lieu et ont duré des semaines. En apparence c’est terminé. Mais le problème n’a pas été réellement réglé. On s’est contenté d’enfouir sous terre les déchets. Les responsables veulent sans doute se partager plus tard le marché de la gestion de ces déchets… Comme toujours l’intérêt personnel prime sur l’intérêt public.

P. : On présente souvent la politique libanaise comme divisée entre un camp pro-saoudien et occidental et un camp pro-iranien. Est-ce vrai ?

J-C. : Comme je le disais plus haut, le Liban est dirigé par des politiciens corrompus qui représentent en fait les intérêts des chefs de guerres. Ces anciens chefs de guerre sont plus ou moins liés à des pays étrangers. Certains partis sont donc financés par des pays étrangers. L’exemple le plus significatif est le Hezbollah, financé par l’Iran. On pourrait dire ironiquement qu’il n’a donc pas besoin de la corruption pour se financer ! Les autres partis se financent par la corruption massive et le détournement de l’argent public…

P. : En 2005 a eu lieu la « Révolution du Cèdre », vague de gigantesques manifestations ayant entraîné le départ de l’armée syrienne qui occupait le pays depuis 1976. Quelles en ont été les conséquences ?

J-C. : L’armée syrienne est partie mais les politiciens à son service sont restés. Aujourd’hui il est temps que les gens honnêtes et compétents qui sont nombreux au Liban dirigent le pays. C’est pour cela que nous manifestons. Les droits humains du peuple libanais doivent être enfin respectés.