Du blog de Craig Murray

Roger Waters est devenu l’un des partisans les plus éloquents et les plus persistants de Julian Assange. Il est prêt à défier de front les propagandistes des grands médias, comme beaucoup d’autres devraient le faire.

Pour le rassemblement d’hier (samedi 22 février) en faveur d’Assange, Roger avait préparé un discours plaçant la persécution de Julian dans un contexte mondial. Il n’a pas eu le temps de prononcer l’intégralité du discours, et je lui ai donc demandé si je pouvais le publier :

NOUS SOMMES AUJOURD’HUI ICI RÉUNIS POUR JULIAN ASSANGE

Mais j’ai quatre noms sur ce morceau de papier.

Le premier et le dernier est, bien sûr, Julian Assange, un journaliste, courageux, qui a levé le voile sur des secrets que les autorités auraient vraiment souhaité garder à l’ombre.

Julian Assange. Un nom qui devrait être gravé avec fierté dans tout hommage de progrès humain.

Nous sommes réunis ici aujourd’hui pour Julian, mais cette manifestation n’est guère stratégique. Aujourd’hui, nous faisons partie d’un mouvement mondial, qui pourrait bien être le début d’une renaissance mondiale dont cette planète fragile a tellement besoin.

Ensuite, le deuxième nom que j’ai ici m’a été envoyé par mon ami VJ Prashad.

Ce nom est celui de Aamir Aziz. Aamir est un jeune poète et militant à Delhi qui lutte contre Modi et sa loi raciste sur la citoyenneté.

Nous n’oublierons pas

Tuez-nous, nous deviendrons des fantômes et exposerons vos tueries, avec toutes les preuves.
Vous écrivez des blagues au tribunal ;
Nous écrirons ‘justice’ sur les murs.
Nous parlerons tellement fort que même les sourds nous entendront.
Nous écrirons avec une telle clarté que même les aveugles liront.
Vous écrivez ‘injustice’ sur la terre ;
Nous écrirons ‘révolution’ dans le ciel.
Nous n’oublierons jamais ;
Tout sera à jamais gravé dans nos esprits

Cette effusion de courage venant de l’Inde se produit en ces temps de révolte, lorsque les entraves de la convenance sont mises de côté.

Au moment où nous nous réunissons ici à Londres, à l’autre côté de l’Atlantique, en Argentine, des centaines de femmes sont descendues dans la rue pour demander au Président Fernandez de légiférer sur l’avortement.

Et ce n’est pas seulement en Argentine. L’année dernière, nous avons témoigné de l’émergence de grandes manifestations à travers le monde contre les régimes néolibérales et fascistes – au Chili, au Liban, en Colombie, en Equateur, à Haïti, en France et, maintenant, comme vous le savez tous, en Bolivie, où les militants luttent contre la nouvelle dictature imposée par les États-Unis.

Quand verrons-nous le nom de l’Angleterre s’ajouter à cette liste ? Je peux déjà imaginer les gens, assis dans leur salon, perplexes. « De quoi parle-t-il ? C’est un pinkopervert [N.d.T. gauchiste pervers], un antisémite, de quoi parle-t-il ? Nous ne vivons pas sous une dictature, l’Angleterre est un pays libre, une démocratie, qui respecte les règles dans les moindres détails ! »

Eh bien, permettez-moi de vous dire, vous les indignés de Tunbridge Wells. Nous aimerions que ce pays soit libre, mais l’est-il vraiment ? Pourquoi est-ce que de nombreux sièges sont pris par des visages américains inconnus, murmurant des instructions à l’oreille attentive du procureur principal, James Lewis, quand Julian Assange est sur le banc des accusés dans un tout petit tribunal de la prison de Belmarsh ?

Pourquoi ?

Parce que nous ne vivons pas dans un pays libre, nous habitons une niche glorifiée et nous aboyons et/ou frétillons de la queue à la demande de nos Seigneurs et nos Maîtres de l’autre côté de l’Atlantique.

Je suis ici aujourd’hui, devant la mère de tous les parlements, et elle rougit de honte. Et juste en amont d’ici se trouve Runnemede, où en 1215, nous, les Anglais, avons exposé les rudiments du droit commun. La Magna Carta, ratifiée en 1297, dont l’article 29 nous a donné l’Habeus Corpus.

« Le corps d’un homme libre ne sera pas arrêté, ou emprisonné, ou mis hors la loi, ou exilé, ni en aucune façon ruiné, et le roi ne doit pas aller contre lui ou l’envoyer de force contre lui, sauf par le jugement de ses pairs ou par la loi du pays ».

Malheureusement, l’article 29 ne peut être appliqué dans la loi moderne. La Magna Carta n’est qu’une notion, et dans ce monde moderne dominé par la propagande, elle ne peut freiner la législation du parlement allant à l’encontre du droit des citoyens.

Toutefois, nous avons un traité d’extradition avec les États-Unis et dans le premier paragraphe de l’article 4, il est écrit : « L’extradition ne sera pas offerte si l’infraction pour laquelle est demandée l’extradition est de nature politique ». Julian Assange n’a commis aucun crime mais il a commis un acte politique. Il a dit la vérité aux autorités. Il a encouru la colère de certains de nos Maîtres à Washington en disant la vérité et pour se venger, ils veulent sa peau.

Hier, devant la Battersea Power Station, j’ai donné une interview à SKY News pour faire la promotion de cette manifestation d’aujourd’hui. Je n’avais pas de contact visuel avec la dame qui faisait l’interview, mon seul contact avec elle se passait à travers l’oreillette. Et là, face à la manière dont elle formulait ses questions, j’ai appris quelque chose en ce qui concerne la vérité. Elle m’a mitraillé de questions comme un Don Quichotte insensé. Chaque question était pleine d’insinuations, de blâmes et de fausses accusations avec lesquels les autorités ont essayé de salir la réputation de Julian Assange. Elle débita le vieux discours qu’on entend toujours mais qui était bien préparé, puis m’interrompit constamment quand je répondais à ces questions. Je ne sais pas qui elle est, elle a peut-être de bonnes intentions. Si c’est le cas, je lui conseillerais d’arrêter de boire du jus d’enfant, et si sa profession lui tient vraiment à cœur, de venir nous rejoindre ici.

Donc, à toute l’Angleterre, j’appelle notre premier ministre Boris Johnson à révéler ce qu’il pense, est-il du côté de la Magna Carta ? Croit-il en la démocratie, la liberté, le fair play, la liberté d’expression, et tout particulièrement, la liberté de la presse ? Si la réponse à ces questions est oui, venez à l’avant Monsieur le premier ministre, soyez le combattant que vous voudriez nous faire croire. Opposez-vous à l’intimidation de l’hégémonie américaine. Annulez ce simulacre de procès, cette comédie, cette parodie de tribunal. « Les preuves présentées à la cour sont incontestables ». Julian Assange est un homme innocent. C’est un journaliste qui fait un travail très important pour « nous le peuple » en exposant les crimes des puissants sociopathes dans les méandres du pouvoir.

Je vous appelle à le libérer aujourd’hui.

Je ne peux quitter cette scène avant d’avoir rendu un hommage à Chelsea Manning, qui a fourni certains des documents publiés par Julian.

Les américains détiennent Chelsea dans une prison fédérale depuis un an pour avoir, par principe, refusé de témoigner contre Julian Assange devant le jury d’accusation qui a spécialement été convoqué pour en faire un exemple. Quel courage. Ils lui infligent aussi une amende journalière de mille dollars. Chelsea, ton nom doit également être gravé avec fierté. J’ai lu les dernières nouvelles de ton affaire, il semble que ton équipe d’avocats ont pu entrevoir la lumière au bout du tunnel. Je prie pour que tu retournes bientôt auprès de tes proches, tu es vraiment héroïque. Tu es l’exemple même de cet esprit de combattant dont je parlais il y a quelques instants.

L’autre nom sur cette liste est celui de Daniel Hale.

Daniel est un dénonciateur que vous ne connaissez peut-être pas encore. Il figure dans un incroyable film documentaire, National Bird, qui a été produit par ma chère amie Sonia Kennebeck. Il faisait partie du programme américain de drones visant les Afghans dans leur propre pays depuis un centre de commandement mobile dans le Nevada. Quand son séjour dans la Force aérienne des États-Unis s’est terminé, le bon cœur de Daniel a refusé d’effacer le fardeau de remords qu’il portait et il a très courageusement décidé de raconter son histoire. Le FBI/CIA ont poursuivi Daniel sans remords depuis lors et il est maintenant en prison dans l’attente de son procès. Le nom de Daniel est un autre nom à graver avec fierté.

Ceux d’entre nous qui n’ont jamais compromis leur liberté pour la cause de la liberté, qui n’ont jamais pris le flambeau brûlant et l’ont tenu en tremblant devant les crimes de leurs supérieurs, ne peuvent que s’émerveiller du courage extraordinaire de ceux qui l’ont fait.

D’autres orateurs sont présents, je vais donc leur donner la parole. Je peux rester debout ici pendant toute la journée pour empêcher cette lumière de s’éteindre. Ne devons-nous pas nous tenir, avec cet esprit de combattant, nos bras entrelacés et rangs serrés devant notre frère et camarade Julian Assange ? Et quand les larbins de l’Empire américain viendront le chercher pour le détruire et le jeter en pâture pour avertir et faire peur aux futurs journalistes, nous les regarderons dans les yeux et ensemble, d’une voix unique, nous entonnerons :

« Plutôt mourir ! »

Roger Waters, 22 février 2020.

 

Traduction de l’anglais, Maryam Domun Sooltangos

L’article original est accessible ici