Les Amba Boys, rebelles séparatistes et anglophones, luttent contre le gouvernement central du Cameroun francophone pour la création d’un État indépendant, l’Ambazonie.

Les Amba Boys ont imposé par la force un boycott sur l’école. Tout enfant qui s’approcherait d’un complexe scolaire court le risque de se prendre une balle.

UNICEF rapporte qu’avec ce boycott, 80% des écoles ont été contraintes de fermer, 74 ont même été détruites, 600.000 enfants se retrouvant ainsi sans accès à l’école.

 

Par Ruth Maclean / Brenda Kiven

On pensait que les cours dispensés au domicile de Seraphine Akwa étaient restés secrets. Elle travaillait comme professeur dans une école primaire à Bamenda, ville du Cameroun anglophone, mais les menaces répétées ont poussé le directeur à fermer les portes de l’école.

Les menaces proviennent des rebelles séparatistes, les Amba Boys, qui depuis deux ans luttent contre le gouvernement Camerounais, francophone, pour leur indépendance et la création de leur propre État, l’Ambazonie. Ils ont instauré un boycott scolaire dans les régions anglophones pour protester contre les injustices scolaires faites aux anglophones.

Des milliers d’écoles ont été fermées, d’autres ont été incendiées, tombent en ruines, sont  envahies par les mauvaises herbes. Un grand nombre de professeurs a quitté les régions anglophones.

Durant l’été le gouvernement Camerounais a lancé une campagne pour promouvoir le retour à l’école, mais les affrontements armés entre les forces gouvernementales et les rebelles n’ont pas cessé pour autant. Tout enfant qui s’approche d’une école qui ré-ouvre court le risque de se prendre une balle. Aujourd’hui, on n’entrevoit aucune fin à ce conflit.

Mme Akwa avait des difficultés à joindre les deux bouts puis-qu’avec le boycott timposé par les rebelles, elle n’avait plus de travail. Ainsi lorsque des parents qui voulaient que leurs enfants poursuivent leur scolarité lui ont demandé de donner des cours à domicile, elle a accepté de prendre sept élèves à condition que ces cours restent secrets.

Elle explique : « Les rebelles m’ont dit que quelqu’un leur avait raconté que j’accueillais des élèves à la maison. Je leur ai menti et leur ai dit qu’il s’agissait des enfants de mes voisins. Un des rebelles m’a demandé de me taire. C’était le plus jeune du groupe. Il m’a dit que je devais cesser immédiatement d’enseigner parce qu’ils avaient imposé un boycott total en Ambazonie. J’étais terrorisée. Mes voisins observaient la scène, de loin. Je me suis excusée et ils sont partis. »

La fermeture d’écoles est un dommage collatéral dans bon nombre de conflits, mais au Cameroun anglophone l’éducation a été un facteur déclencheur de la crise. Les écoles et les maîtres qui continuent d’essayer de travailler sont des cibles potentielles.

Selon le Centre pour les Droits de l’Homme et la Démocratie en Afrique, seules 100 écoles sur 6.000 sont restées ouvertes. Les 5.900 autres ont été contraintes de fermer. L’UNICEF rapporte qu’avec le boycott, 80% des écoles ont dû fermer, 74 ont été détruites et 600.000 enfants se sont retrouvés sans accès à l’école. Le responsable de l’éducation primaire dans le nord ouest du pays affirme que la fréquentation des écoles est passée de 422.000 enfants en 2017 à 5.500 enfants.

3.000 écoles fermées 

Les autorités gouvernementales estiment que 3.000 écoles ont été fermées et indiquent que 200 écoles ont été incendiées. Le gouvernement affirme que les séparatistes ont incendié les écoles, mais les séparatistes disent que les forces militaires ont détruit beaucoup d’établissements scolaires après avoir découvert qu’ils étaient utilisés comme bases rebelles.

Lorsque les Amba Boys sont partis de chez Mme Akwa, cette dernière a annulé immédiatement les cours et a quitté Bamenda pour Logbessou, un quartier de Douala. Elle a trouvé du travail mais elle a des difficultés à tenir jusqu’à la fin de mois dans la plus grande ville du Cameroun. En ville, elle ne peut pas cultiver les haricots et le maïs comme elle le faisait dans son jardin, elle doit les acheter.

Elle pense parfois aux enfants qu’elle a abandonnés, comme Noela, qui était en primaire lorsque la crise a commencé et qui aurait dû avoir commencé à fréquenter le secondaire. Cette fille ne va pas aller à l’école. Mme Akwa déplore que « sa mère lui a dit qu’elle devait apprendre un métier ».

Les leaders de la communauté alertent sur l’une des conséquences de la non fréquentation de l’école pour les filles : une augmentation du nombre de grossesses chez les adolescentes.

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Beaucoup d’élèves plus âgés, qui ont dû abandonner leurs études, ont commencé à gagner leur vie en conduisant des mobylettes. Les habitants de la ville de Kumbo indiquent que lorsque le gouvernement a décidé d’interdire les mobylettes dans une large partie de la région du nord ouest, beaucoup de ces jeunes gens se sont ralliés aux branches séparatistes.

Un jeune homme de 15 ans que nous nommerons George explique qu’il n’a pas pu être recruté par les séparatistes car ils accordent beaucoup d’importance à la force physique. George n’était pas assez fort. Il porte toujours son pull bleu et blanc d’uniforme pour se protéger, mais ne va pas à l’école depuis 2016. Pour gagner sa vie il chasse et apprend à cultiver la terre.

« Je veux apprendre. Je veux avoir une éducation car je veux savoir me défendre à l’avenir. » Ce qui est certain c’est que si cette année son école ne réouvre pas, ce jeune homme pourrait perdre une année importante pour son éducation et atteindre l’âge adulte sans avoir suivi d’études. 

Les séparatistes anglophones et les leaders de la protestation sont divisés sur la question d’un retour à l’école. Selon la journaliste camerounaise  Mimi Méfo, un leader local a été séquestré le mois passé alors qu’il surveillait le nettoyage d’un établissement secondaire. 

Certains leaders qui ont instauré le boycott des écoles plaident maintenant pour l’arrêt de celui-ci. Ils mettent en avant que la longue interruption d’un enseignement marginaliserait davantage les régions anglophones. « La protestation avait pour but d’améliorer ce que nous avions déjà, pas de détruire le peu que nous avions », indique Mancho Bibixy, un des leaders les plus éminents de la protestation.

Le directeur de l’un des établissements primaires de Kumbo envisage de rouvrir en septembre, mais il se sent pris entre les exigences du gouvernement d’un côté et les menaces des séparatistes de l’autre.

« Nous nous sommes réunis avec les responsables éducatifs du gouvernement et ils nous ont dit que les écoles devaient rouvrir pour cette rentrée », explique ce directeur d’école qui souhaite rester anonyme. « Les parents veulent que leurs enfants reçoivent une éducation, mais les rebelles nous ont menacés. Si les conditions de sécurité nécessaires sont réunies, beaucoup de parents vont envoyer leur enfants à l’école ».

Un cessez-le-feu

Néanmoins, beaucoup d’habitants des régions anglophones alertent sur le manque de sécurité. « Le gouvernement ne prend aucune mesure pour montrer qu’il souhaite réellement que les enfants reprennent le chemin de l’école. Rien n’est préparé », regrette un leader de la communauté de Kumbo qui souhaite lui aussi rester anonyme parce qu’il ne veut pas être la cible de critiques. Si l’UNICEF et d’autres organismes pouvaient demander un cessez-le-feu, l’école pourrait reprendre sans problème. »

Ce leader local a dispensé des cours pendant des périodes de conflit, il a enseigné aux enfants à se coucher au sol lorsqu’ils entendaient des tirs et à ne pas se rallier aux Amba Boys. 

Une directrice d’école a fait tout ce qu’elle pouvait pour que son établissement reste ouvert. Mais les parents ont préféré que leurs enfants restent à la maison, ils ne voulaient pas se retrouver au milieu d’échanges de tirs entre les militaires et les rebelles. 

Elle explique que « L’année passée, au début de l’année scolaire, nous avions 43 inscrits mais beaucoup ne sont pas venus. Nous avons finalement dû fermer l’école ».

Devant cette crise, beaucoup de professeurs avait du mal à boucler les fins de mois, la directrice de l’école de Kumbo à même offert à ses professeurs la possibilité de travailler durant l’été pour qu’ils aient une autre source de revenus. Mais les parents préoccupés par la situation n’ont pas laissé leurs enfants aller à l’école : personne ne s’y est présenté. D’autres parents ont envoyé leurs enfants à Douala et Yaoundé, les deux villes les plus importantes du Cameroun. « Même si nous décidions d’ouvrir les portes de nos écoles en début d’année scolaire, où trouverions nous des élèves ? Ils sont tous partis ». 

 

Traduit de l’espagnol par Frédérique Drouet

L’article original est accessible ici