Ce qui se passe actuellement avec le capitalisme, au niveau mondial, est extrêmement intéressant : nous croyons que nous bénéficions de libertés individuelles alors que précisément nous sommes surveillés plus que jamais. Des dizaines de sites mettent en exergue l’information personnelle. Le monde digital a été fait sur mesure pour arriver aux meilleures ventes de « ce dont nous avons vraiment besoin ». Quels sont les moyens d’y parvenir ? Des algorithmes digitaux et des conversations personnelles, avec lesquelles nous alimentons généreusement ces sociétés. Une seule photo sur Instagram donne d’extraordinaires informations automatiquement transformées en politique de vente.

L’équipe Wikileaks a publié huit mille cinq cents documents secrets provenant de sources de la CIA. L’une de leurs révélations concernait un projet appelé l’Ange pleureur. En 2015, Samsung, a fabriqué des télévisions intelligentes qui ne s’éteignaient pas en mode de veille, mais enregistraient les conversations, envoyées ensuite à la CIA et au MI5 via Internet et un serveur caché. Quand l’affaire fut connue, l’entreprise sud-coréenne a simplement déclaré que : « La protection de la vie privée de nos clients et la sécurité de nos appareils constituent des priorités élevées pour Samsung. Nous avons appris l’existence de ce rapport et nous examinons la question. »

Peu de temps plus tard, furent publiées les révélations de Christopher Wylie, un lanceur d’alerte qui a révélé comment Cambridge Analytica a travaillé avec Facebook au cours de l’élection de l’actuel président des Etats-Unis, Donald Trump. Wylie parlait de la vente des données personnelles de 50 millions d’utilisateurs de Facebook à CA pour influencer ceux-ci lors de l’élection présidentielle de 2016. Comment se produit cette influence ? Via la production de fausses nouvelles massives, mais aussi ciblées.

L’expression « capitalisme de surveillance » fut créée par un professeur retraité de l’école de commerce de Harvard, Shoshana Zuboff. Elle présente le concept au public dans son livre « L’âge du capitalisme de surveillance. Le combat pour un futur humain sur une nouvelle frontière du pouvoir. », recourant à la phrase monumentale : vous ne cherchez rien grâce à Google, Google cherche grâce à vous. Comment pouvons-nous être protégés de ce fait ? demande le journaliste de Democracy Now! Et Zuboff répond : « Ma liste comprend 16 réactions. Mais certaines sont très importantes. La première concerne l’importance de notre ignorance. La clé de cette méthodologie est que tout se passe en secret. Les systèmes digitaux qui sous-tendent cette politique sont conçus pour outrepasser notre droit de refuser ou accepter. Nous volons notre droit de combattre cette politique. Si nous voulons nous défendre, nous devons comprendre ce qui se passe exactement. La compréhension c’est le pouvoir. Pouvoir dénommer ce qui se passe, c’est aussi du pouvoir. Lorsque nous comprenons que nous traitons avec une logique économique et pas une logique digitale, nous passons au point suivant : nous devons penser à des moyens de démocratiser nos institutions qui permettent de telles pratiques. » Regardez la vidéo entière :

D’abord Google, ensuite Facebook, Microsoft, et d’autres sociétés, ont créé et exploité cette logique économique qui sait tout de nous, alors que nous n’en savons que très peu sur eux.

YouTube: Politique de responsabilité sociale d’entreprise

YouTube s’est depuis longtemps engagé dans une politique vantée de responsabilité sociale d’entreprise, contre les discours extrémistes, la violence et la discrimination, tenant de convaincre le public qu’ils vont nous protéger de contenus fascistes, d’extrême droite et nazis. Cependant, la société ne semble pas vouloir imposer cette politique. Selon un rapport Bloomberg publié en avril 2019, YouTube gagne des millions grâce aux vidéos que des groupes et individus d’extrême-droite et fascistes produisent, celles-ci se trouvent dans les mêmes catégories rentables que la musique, les sports et les jeux vidéo. Le cas du journaliste de Vox Carlos Maza, constamment harcelé par l’extrémiste de droite Steven Crowder, au moyen de vidéos que ce dernier télécharge sur YouTube est un bon exemple. Les attaques de Crowder entretiennent une série de commentaires homophobes et fanatiques sur le compte de Maza chaque fois que Crowder est en ligne.

Texte de l’image :

J’ai été traité de bébé conçu pour l’immigration (anchor baby), de tapette lippue, de Mexicain, etc. Ces vidéos sont regardées des millions de fois sur YouTube. Chaque fois qu’elles sont envoyées, je reçois un tombereau d’insultes homophobes et racistes sur Instagram et Twitter.

L’année dernière, toute ma vie a été publiquement exposée en détails et ça m’a fait peur. Mon téléphone a été bombardé de milliers de messages d’un seul coup. Les messages ?

 

Des incidents similaires à celui de Maza se produisent chaque jour sur YouTube et Vimeo ainsi que sur les réseaux sociaux. Il s’en est suivi un grand débat sur la manière dont ces géants devraient être responsables vis-à-vis de leurs utilisateurs et de la société. Comme les termes de la « coopération » sont définis unilatéralement, les utilisateurs n’ont aucun moyen de communiquer avec ces superstructures économiques anonymes, aucun moyen non plus d’exercer un contrôle ou d’obtenir un résultat tangible pour condamner la stratégie de ces sociétés. La question se pose donc : est-il temps pour nous de les quitter massivement, de chercher des moteurs de recherche, plateformes de communication et sites d’hébergement ayant des caractéristiques tout à fait différentes, pour y héberger nos productions audiovisuelles et nos échanges d’emails ?

 

Avons-nous d’autres choix ?
Un clic est un mouvement très simple que nous effectuons des dizaines ou des centaines de fois chaque jour, selon notre profession et nos intérêts. Nous avons besoin de revaloriser ce simple mouvement.

  • La première étape importante est de commencer à utiliser (au moins en parallèle) d’autres moteurs de recherche. En voici une liste intéressante. Si, en utilisant ces moteurs de recherche, nous ne trouvons pas ce que nous cherchons mais nous pouvons y arriver via d’autres canaux, nous partageons cette connaissance avec d’autres utilisateurs pour éviter de revenir au moteur de recherche Google.
  • Pour éviter d’utiliser des appareils comprenant des programmes Microsoft, il existe des possibilités de changer de logiciels et certaines organisations peuvent nous y aider. Il est très important de savoir qu’il existe des sociétés à orientation sociale qui créent des téléphones portables, des clés USB, des ordinateurs de bureau ou portables avec une autre approche.
  • Un ancien article publié par Pressenza présentait des suggestions de remplacement pour YouTube, Vimeo et DailyMotion.
  • Plusieurs sociétés intéressantes offrent un hébergement sûr pour créer des comptes mail personnels ou professionnels autres que google ou yahoo.
  • Enfin, certaines entités publiques, telles que des communautés et municipalités – et une fois de plus la ville de Barcelone ouvre la voie – utilisent une plateforme ouverte collaborative pour consulter leurs résidents. De cette manière, non seulement la ville recourt à la consultation, ce qui est très important pour démocratiser les institutions, mais c’est mis en œuvre via une plateforme en logiciel libre qui aide à cultiver la culture ouverte.

 

Une décision politique
Désirons-nous travailler ou nous divertir en servant les géants de Wall Street ? Ne pas s’y conformer est une décision politique qui a un coût, mais aussi ses avantages. Les soupeser et prendre une décision personnelle et publique se trouve au point de départ d’un plan personnel de « libération ». Que faut-il admettre ? Qu’avant de commencer à spéculer sur nos données, ils nous ont rendus dépendants de cette manière d’être exposés et de communiquer. Mais il semble que le flux de personnes qui reconnaissent la situation, prennent des décisions et suivent des étapes de libération, progresse chaque jour.

 

Traduit de l’anglais par Serge Delonville