Par Javier Tolcachier

Nota de l’Editeur : Cet article a été écrit les derniers jours de décembre 2018 afin de recevoir l’année 2019, il présente une synthèse des thèmes à suivre en ce moment historique : une balance entre un monde violent et une construction d’un monde nonviolent. Nous le proposons en ce moment, fin février 2019, car il donne une grille de lecture adéquate à suivre tout au long de l’année.

Les thèmes évoques sont : Égalité des chances et exclusion sociale ; Autodétermination, coopération, intégration contre unilatéralisme et nationalisme ; Guerre ou paix ; Démocratie participative pour vaincre le fascisme ; Souveraineté alimentaire, Qualité de vie et réforme agraire contre catastrophe climatique ; Féminisme contre patriarcat ; Citoyenneté universelle contre criminalisation et discrimination des migrants ; Sentiment de communauté et projet de transformation renouvelé contre avance rétrograde ;

 

En cette période de l’année [N.d.E. Décembre 2018] il y a souvent des appels à l’harmonie et à la coexistence fraternelle. Au-delà de l’hypocrisie de ceux qui conçoivent la « paix sociale » comme un mécanisme de protection contre l’injustice, il ne fait aucun doute que les peuples, à cette époque, se souhaitent sincèrement plus de bienveillance, de proximité et d’humanité. De la même manière, ils expriment avec sincérité de cœur, leurs meilleurs vœux pour une meilleure année.

Une fois la trêve terminée, l’illusion du Nouvel An s’estompe, montrant qu’aucun des conflits n’a vraiment disparu. Ce qui s’est échoué sur les rives de la nouvelle année est là, attendant la nouvelle marée d’événements, une vague qui entraîne une transformation. Une vague dans laquelle nous courons le risque d’être entraînés, de ne pas pouvoir réfléchir, de voir avec plus de clarté et de prendre position face aux principaux conflits.

Il en va de même pour ceux qui prétendent défendre des positions « impartiales », des positions souvent proches de la fuite ou du désengagement, du cynisme, de l’indifférence et, bien sûr, de la peur, de la déception, de la menace, de la ségrégation, du chantage ou de la persécution. Même si elles sont fondées, la passivité, le fait de ne pas choisir, deviennent un objet et non un sujet des circonstances à venir.

Les conflits

Les conflits existants sont des polarités, des champs de « magnétisme social », auxquels s’ajouteront les grands ensembles humains dans les années à venir. La direction que prendront les événements dépendra du potentiel que chaque polarité accumulera.

Les problématiques sont intimement liées, formant une structure dans laquelle certaines pièces s’entrelacent avec d’autres. Cependant, elles peuvent être observées en détail sans leur donner de priorité, de linéarité ou de hiérarchie.

Égalité des chances et exclusion sociale

Selon l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ».

Soixante-dix ans après la consécration de cette déclaration, la réalité est tout autre. Selon le rapport « Partager la richesse avec celles et ceux qui la créent » (Oxfam International, 2018) [1], les 1 % les plus riches continuent à accumuler plus de richesses que le reste de l’humanité. Citant différentes sources, le même rapport note que « près de 43 % des jeunes personnes actives dans le monde sont soit sans emploi, soit employées mais vivant dans la pauvreté. Plus de 500 millions de jeunes survivent avec moins de 2 dollars par jour ».

En Amérique latine et dans les Caraïbes, en 2017, les 10 % les plus riches de la population détenaient 68 % de la richesse totale, tandis que les 50 % les plus pauvres n’avaient que 3,5 % pour survivre, selon la source citée.

En outre, 821 millions de personnes dans le monde souffrent de la faim – une sur neuf – et plus de 150 millions d’enfants souffrent d’un retard de croissance, selon un rapport rendu public par l’ONU en septembre dernier à Rome [2]. Loin de reculer, la faim a augmenté au cours des trois dernières années, revenant aux niveaux d’il y a dix ans.

Face à cette barbarie, les efforts politiques visant à réduire les inégalités et la faim sont combattus insidieusement par ceux qui génèrent le problème – les banques et les sociétés commerciales – dans une spirale irrationnelle de violence économique qui plonge les grands groupes dans l’asphyxie et le désespoir.

L’ampleur de l’injustice correspond à un génocide social qui se barricade derrière « l’inviolabilité » de la propriété privée, c’est-à-dire de l’accumulation illimitée. Devant une telle violation, l’articulation des groupes majoritaires au nom de l’inclusion sociale et de la décommercialisation de la subsistance digne est historiquement inévitable, mais elle doit être accélérée.

Autodétermination, coopération, intégration contre unilatéralisme et nationalisme

La possibilité d’une parité entre les nations, dont beaucoup se sont émancipées du colonialisme après la Deuxième Guerre mondiale, a été enterrée d’abord par la confrontation des blocs, puis par la mondialisation, écrasant toute autodétermination possible. Face à cette nouvelle dépendance, les pays du Sud, déterminés à affirmer leur autonomie, ont amplifié leurs relations bilatérales et construit divers mécanismes multilatéraux. L’objectif de mettre en commun les forces et les faiblesses consistait à faire front commun contre l’usurpation de fait. En même temps, des pays tels que la Chine, l’Inde et la Russie ont émergé ou réapparu sur l’échiquier mondial, sapant la puissance unique des États-Unis (et de l’Occident) dans la sphère internationale.

Les nationalismes qui sont apparus dans le monde entier et qui gouvernent aujourd’hui dans de nombreux pays sont le résultat d’une réaction à la tentative de domination mondiale unipolaire et du transfert du pouvoir des États aux sociétés transnationales, comme une résistance à la centralisation factuelle du pouvoir économique contraire aux besoins populaires. En même temps, la décadence de la puissance occidentale cherche à se défendre de son déclin définitif en violant les règles du jeu internationales au moment même où elle commence à perdre la partie, en essayant encore une fois d’imposer l’intérêt personnel comme seule règle possible.

Face à l’irrationalité du pouvoir unique, la relation solidaire entre les peuples et les États, la coopération, l’autodétermination des peuples et leur intégration accrue vers un nouveau paradigme de « nation humaine universelle » ainsi que la lutte pour la déconcentration du pouvoir des sociétés transnationales, apparaît comme la voie à suivre.

Guerre ou paix

L’intérêt colonial pour le monopole des ressources et des marchés, pour l’imposition de normes culturelles uniques, se poursuit. Cet intérêt, ainsi que le gigantesque commerce de l’armement, continue d’être le promoteur des guerres. Les rivalités historiques existantes ne sont pas la cause des massacres de guerre, mais sont ravivées et propagées par les puissances dans le but de diviser, d’affronter et de conquérir.

Face à cette frénésie destructrice, l’étendard de la paix suppose une proposition et une conduite révolutionnaires, car il constitue une étape de conscience supérieure nécessaire pour faire face aux véritables défis de l’unité populaire et de la libération de la soumission.

La démocratie participative pour vaincre le fascisme

Les régimes démocratiques sont gravement endommagés. Les gens sont effectivement privés de toute décision et les élus ont tendance à s’éloigner de leurs électeurs en vivant dans des espaces autistes, profitant également des avantages de leur position privilégiée. L’exception, ces militants ou dirigeants qui, dans le but inébranlable de servir le peuple, tentent d’échapper à cette pandémie, sont attaqués par les médias dominés par le capital, jugés pour des causes non existantes et condamnés sans preuve.

La guerre du droit, la persécution et la proscription politique des dirigeants populaires, le maccarthysme des gouvernements d’extrême droite, sont les anticorps de la ploutocratie de l’argent qui rejette toute « ingérence démocratique dans ses affaires intérieures », c’est-à-dire dans son activité économique.

Les extrémistes de droite ont le soutien du capital pour réprimer les révoltes et garantir leur protection. Mais ils suscitent aussi l’adhésion d’une grande partie des gens ordinaires, aveuglés par un ressentiment manipulé par les médias mais aussi lassés d’une parodie de démocratie autoréférentielle. Dans la perception de ce vaste secteur, la démocratie « réellement existante » est devenue stérile, incohérente, menteuse, avilie, incapable de mettre fin à l’injustice et de résoudre les urgences populaires.

La future démocratie devra être profonde ou elle ne pourra pas être reconstituée. Le seul moyen de régénérer l’esprit démocratique, tout en équilibrant l’énorme contrepoids antidémocratique du pouvoir économique, sera d’assurer une large participation des peuples aux décisions. La démocratie participative sera étendue, dans un apprentissage des erreurs et des succès, pour finalement démolir l’« Ancien Régime » d’une représentation cooptée par le pouvoir réel.

Souveraineté alimentaire, qualité de vie et réforme agraire contre catastrophe climatique

Le capitalisme est synonyme de violence humaine et environnementale. Les ressources communes de la planète sont aliénées par une minorité qui profite des positions de force pour dominer les autres. Y a-t-il quelque chose de durable dans l’irrationalité du gaspillage; de l’utilisation inégale de l’énergie entre le Nord et le Sud; de l’extraction permanente et de la contamination des sols, de l’air et des bassins fluviaux; de la monoculture agraire; et de la spéculation foncière ? Dans l’exhalation carbonique d’un monde exalté, la déforestation, l’empoisonnement des cultures, la consommation effrénée ? Il n’y a pas de « capitalisme durable » ou de « technologie verte » qui rende cela durable, puisque la maximisation du profit – l’énergie motrice du capital – ne tolère pas de limites écologiques. Le rendement particulier n’accepte pas les raisons collectives.

Par conséquent, le seul véritable moyen de protéger l’environnement qui rend possible la vie sur cette planète est la transformation systémique vers un mode de vie qui impose comme valeur centrale la distribution de la richesse comme un bien fini et commun. Un nouveau système qui consacre le droit au partage, dédaigne la consommation effrénée comme étant inutile pour le bonheur et donne la priorité au bien-être collectif et non à l’égoïsme individuel.

Féminisme contre patriarcat

La mobilisation massive des femmes pour exiger la fin d’un système de domination patriarcale continuera d’être l’une des questions centrales du programme politique de la nouvelle année. Le conflit sera l’un des principaux axes de tension intergénérationnelle et prendra une importance énorme lorsque les habitudes enracinées dans les différentes cultures seront remises en question, atteignant une dimension mondiale sans précédent.

Les femmes seront un facteur clé dans la redéfinition des relations de pouvoir face à la réaction conservatrice produite par le tourbillon de changements, les incertitudes existentielles et le manque de possibilités de subsistance et de développement humain que présente le système actuel.

Citoyenneté universelle contre criminalisation et discrimination des migrants

Il n’y aura pas de mur, de clôture ou d’armée qui puisse contenir une migration désespérée si l’on ne met pas fin aux guerres, à la faim, à la violence causée par la misère, aux inégalités locales et aux inégalités entre les régions du monde.

Il n’y aura pas de migration libre et équitable si les entreprises insistent pour attirer une main-d’œuvre précaire et en situation d’illégalité afin d’échapper aux responsabilités découlant du droit du travail existant. La discrimination ne disparaîtra pas tant que l’on blâmera les immigrants pour le manque de travail, au lieu de dénoncer l’anéantissement productif du capitalisme usuraire et spéculatif.

La citoyenneté universelle, la liberté de choisir son lieu d’appartenance et l’égalité des droits pour tous les êtres humains quelle que soit leur origine ne deviendront réalité que dans le cadre d’un nouveau système, comme cela a déjà été souligné dans les sections précédentes.

Sentiment de communauté et projet de transformation renouvelé contre avance rétrograde

Beaucoup d’êtres humains se sentent entraînés par des événements rapides qu’ils ne dominent pas, laissant derrière eux des réalités connues dans le milieu du travail et dans les milieux familial, professionnel et relationnel. Nous vivons dans un monde accéléré qui efface de la surface de la terre ce paysage que nous croyions permanent. En quelques années, il ne reste plus grand-chose de ce qui précède, sauf dans la mémoire… et les livres d’histoire.

C’est là l’un des sommets qui nous conduisent à aspirer à un monde perdu, à idéaliser le passé avec nostalgie, à critiquer les « nouvelles coutumes », à exiger le retour d’une réalité irrécupérable. C’est l’un des principaux facteurs qui motivent la vision rétrograde.

Cette vision est alimentée par le cumul de difficultés sociales actuelles, déjà esquissées, qui poussent à des sorties rapides. L’angoisse personnelle et sociale est multipliée par la solitude, la fugacité des liens relationnels et la rupture des biens qui servent d’abri au milieu du vent d’insécurité et de violence. À tout cela s’ajoute la banalité d’un monde qui épuise ses options dans un hédonisme consumériste, dans un voyage fatiguant qui conduit fatalement à la mort.

Tout cela explique pourquoi les options ecclésiastiques conservatrices avancent, offrant une option attrayante face à l’impuissance et à l’exclusion d’une civilisation accélérée, vide et violente.

Ce courant contre-historique doit être contré par un projet fort et non transigible de transformation sociale qui, en plus de se pencher sur les besoins physiques et biologiques, se penche aussi sur les besoins émotionnels et existentiels. Une pratique sociale qui soutienne chaque personne dans un tissu communautaire.

Un projet qui place l’être humain au-dessus de toute autre considération et qui donne en soi un sens nouveau à la vie humaine. Un sens d’évolution, de croissance collective, qui permette la naissance d’une espèce humaine renouvelée, qui donne des ailes au vieux mythe de la Nouvelle Femme et du Nouvel Homme.

Nous devons consacrer nos efforts à ce qui précède, conjuguer nos luttes en son sein et accueillir et faire converger la diversité vers cet horizon.

Je vous souhaite de belles réjouissances et de renouveler les énergies pour l’année qui commence, un nouveau chapitre dans la lutte pour l’avenir.

 

[1] Rapport « Partager la richesse avec celles et ceux qui la créent », Oxfam International (janvier 2018).

[2] L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2018, Nations Unies

 

Traduction de l’espagnol, Silvia Benitez