Quand Jean-François Millet a peint Les Glaneuses, l’artiste français a donné à voir non seulement ces trois femmes qui ramassent les épis de blés restés à terre après la moisson, mais il a aussi fait connaître toute une catégorie de travailleurs –et de travailleuses- qui n’apparaissaient jamais dans l’art. Le dernier film de Louis-Julien Petit, Les Invisibles, donne un visage, une voix et un corps à des femmes que la société invisibilise. Et voir ce sujet sur grand écran vous impacte.

Le film montre le quotidien du centre d’accueil des femmes sans domicile fixe du Nord, L’Envol. Le centre fonctionne seulement pendant la journée et les femmes peuvent prendre leur douche et boire une boisson chaude, mais elles n’ont pas le droit d’y dormir. A cela s’ajoute les histoires des assistantes sociales et bénévoles qui essaient d’aider – d’une façon plus ou moins réussie- les femmes en détresse.

Les Invisibles est une comédie sociale inspirée du livre « Sur la route des femmes invisibles » de la journaliste Claire Lajeunie qui en avait fait un documentaire. Un des points importants du film est qu’une grande partie des comédiennes ne sont pas professionnelles, mais des femmes qui ont été des SDF ou ont vécu en centre d’accueil. Bien que le film ne cherche pas à s’ériger en documentaire, cet aspect lui donne une légitimité et une sincérité qui devient une force.

Mieux vaut le dire tout de suite, ceux qui veulent voir un chef-d’oeuvre du cinéma social seront déçus. Ce film n’est fait ni pour les critiques de cinéma ni pour gagner un Oscar, mais pour permettre à un plus large public d’aborder une thématique assez difficile et pesante, d’une façon plus légère. Plutôt que de sombrer dans les aspects sordides de vies brisées, Les Invisibles nous montre un groupe de femmes et des travailleuses qui galèrent, mais  rigolent, plaisantent et n’ont pas arrêté de vivre.

Une des plus grandes victoires de ce film est de rendre visibles ces femmes, de leur donner une existence, pas seulement à travers l’histoire, mais aussi à travers leur présence physique. Et comme le cinéma c’est l’image, il est important de rencontrer des visages qu’on n’a pas l’habitude de voir dans le 7ème art, des corps qui sans même prononcer un seul mot nous disent beaucoup par leur seule présence.

L’autre point important à soulever est l’image que le film renvoie de la déconnexion entre l’administration et le travail sur le terrain, qui fait un peu écho à la situation que vit la France aujourd’hui. Des gens qui depuis leur bureau déterminent ce qui est bien pour un groupe de femmes qu’ils n’ont jamais rencontrées et dont ils ne connaissent pas les besoins, qui émettent des avis très tranchants et surtout prennent des décisions qui peuvent faire basculer les vies de plusieurs personnes.

Troisième long métrage du réalisateur Louis-Julien Petit, après Discount et Carole Matthieu, Les Invisibles s’inscrit dans la lignée du cinéma social français qui nous fait réfléchir avec humour et bienveillance, sur le cercle vicieux que signifie tomber dans la misère.