En 1969, Silo a fait un discours, La Guérison de la Souffrance dans un lieu reculé des Andes argentines qui pourrait être perçu aujourd’hui comme la création d’un manifeste pour la Nonviolence active. Il faisait alors référence à la violence comme n’étant pas uniquement physique mais également économique, raciale, religieuse, psychologique et morale. Il termina son discours en invitant tout le monde à porter en eux la Paix et à la porter aux autres.

Cela a contribué au lancement de nombreux projets en faveur de la nonviolence qui ont atteint tous les recoins de la planète. Il s’agit des domaines de la culture avec la Communauté pour le développement humain ; de la politique avec le Parti humaniste ; des mouvements anti-guerre / anti-nucléaire / anti-violence avec un Monde sans Guerre et sans Violence ; de la diversité / anti-discrimination par la Convergence des cultures ; des études académiques avec le Centre mondial d’études humanistes, de l’éducation avec le COPEHU (Courant Pédagogique humaniste universaliste), des médias avec Pressenza et beaucoup d’autres domaines d’action sur des problèmes locaux ou mondiaux, ainsi qu’un porteur de la nonviolence dans une nouvelle spiritualité avec le message de Silo. La Marche mondiale pour la paix et la nonviolence a porté ce message au monde en 2009-2010 et le second chapitre de la Marche mondiale est en préparation pour 2019-2020.

Le Forum humaniste européen qui s’est tenu du 11 au 13 mai 2018 à Madrid avec la participation d’une grande variété d’organisation et d’intervenants poursuivra, avec son histoire et ses nombreux acteurs (avec une reconnaissance particulière pour M. Gandhi et M. L. King pour leurs exemples et contributions), la mission de traduire les idées de la nonviolence en de nouvelles propositions de nonviolence active à répandre dans le monde.

Quelques choses simples pour défier l’équilibre du pouvoir

Il n’y aucun doute que nous connaissons, dans le monde actuel, un niveau de cruauté avec lequel il est difficile de vivre. Il n’est pas clair s’il s’agit davantage de cruauté que par le passé (différents génocides nous viennent à l’esprit) mais peut-être qu’aujourd’hui plus que jamais, certains exhibent la cruauté comme un badge honorifique, comme un droit acquis par le succès, dans un système déshumanisé. Même si la cruauté d’aujourd’hui est comparable à celle du passé, nous aurions dû apprendre de cela, nous devrions mieux le savoir, nous devrions mieux nous comporter. Nous regardons avec horreur la présence surréaliste de certains dirigeants vraiment cruels au gouvernement. C’est comme un cauchemar. Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment est-ce possible ? Et, plus important encore, comment sortir de ce désordre ?

Le commerce des armes est favorisé par la guerre. Les images télévisées d’armes en action fonctionnent comme de véritables campagnes marketing. Ce qui est moins connu est le fait que les politiciens sont souvent des actionnaires ou des banquiers d’investissement (comme dans le cas du mari de la première ministre britannique Theresa May) qui tirent profit de la guerre. Cela influencerait-il leur processus décisionnel ? Probablement.

De la même manière, nous pouvons voir que de nombreux représentants politiques ont des intérêts financiers auprès des fournisseurs privés de soins de santé qui rivalisent pour des contrats et sont ainsi plus enclins à faire passer des lois en faveur des systèmes de santé privés, élitistes, restrictifs, pour ne pas mentionner la destruction des systèmes de santé sociaux tels que l’efficace et hautement rentable NHS (National Health Service) britannique.

Il en est de même avec les conseillers locaux qui statuent sur des contrats avec des entreprises de construction dont ils sont eux-mêmes actionnaires ou directeurs ou qui se permettent d’être invités à diner ou de se faire payer des vacances couteuses ou tout autre « avantage ». Lorsque des contrats sont octroyés aux fournisseurs « d’avantages », les conseillers démentent avoir fait quelque chose d’illégal et cela est vrai, le système est conçu pour récompenser la cleptocracie et la corruption.

De tels conflits d’intérêts (qui peuvent être facilement qualifiés de formes de violence, des gens meurent souvent ou font face à des difficultés indescriptibles en conséquence de ces actions) pourraient être facilement portés à l’attention de l’électorat si les candidats aux postes politiques étaient faits pour déclarer leurs intérêts financiers et ceux de leurs proches au moment du choix, avant l’élection, par leur parti respectif.

Et s’ils font en sorte de berner l’électorat et se font tout de même élire, il devrait exister des moyens clairs pour recourir à un référendum s’il est découvert après l’élection qu’ils ont de tels conflits d’intérêts. Cela devrait également s’appliquer à tous les gouvernements qui ne parviennent pas à remplir leurs engagements de campagne. Cet aspect est mentionné dans le manifeste du Parti humaniste depuis ses débuts.

Rapporter les informations par des moyens qui intensifient les flammes de la violence

Selon le côté duquel se trouve un canal d’information dans le conflit syrien, nous aurons le sentiment de nous enflammer au sujet des actions menées par Assad-la Russie-l’Iran-le Hezbollah ou par les USA-l’Arabie saoudite-Israël-certains pays européens. La Turquie joue au ping-pong entre la loyauté à l’OTAN et la haine pour les kurdes qui se battent contre le djihad. Différents journalistes incitent à davantage de bombardements, l’abandon des zones de survol aérien et un changement de régime (malgré le chaos que ces stratégies ont entrainé en Irak et en Libye) tandis que d’autres dénoncent le soutien des États-Unis aux extrémistes islamistes qui cherchent à renverser Assad.

Les nombreuses injustices et violences rapportées, infligées au peuple palestinien deviennent virales et promeuvent/justifient/donnent un air respectable aux deux millénaires et demi d’antisémitisme, renforçant le soutien juif à Israël (son existence en tant que refuge contre les holocaustes passés et ceux qui pourraient arriver) mais pas nécessairement à ses politiques contre les palestiniens. Une contradiction qui, mis à part les activistes palestiniens qui n’ont rien à perdre et qui sont engagés dans des violences meurtrières en réponse à l’oppression, empoissonne les vies des jeunes Israéliens, dont certains refusent de servir dans l’armée dans les territoires occupés et forment des mouvements pro-palestiniens à l’étranger, risquant d’être rejetés par leurs communautés. Les deux principaux architectes de la violence, Netanyahu et compagnie, élu grâce à leur politique de la peur, et le Hamas qui gagne le soutien international par le nombre de morts souvent provoquées, jouant chacun au jeu de l’autre pour se maintenir au pouvoir. Qui d’autre que les peuples locaux connaissent les efforts des innombrables organisations pour la Paix dans lesquelles les Juifs israéliens et les Palestiniens travaillent main dans la main pour mettre fin à la violence, apprendre la coexistence dans la paix, pleurer ensemble les amis et les proches défunts victimes de la violence sans état d’âme ? Très peu de personnes, en effet, et donc toutes les ressources (économiques, psychologiques, médiatiques) reviennent aux principaux acteurs violents.

Le schéma selon lequel l’attention est donnée aux factions les plus violentes se reproduit dans tous les conflits : Yémen, Syrie, Israël/Palestine, Venezuela, Congo, etc.

Il est bien sûr important d’informer et de dénoncer les violations des droits humains et les injustices sociales mais quel est le rôle des médias, des organisations et des individus en faveur de la Nonviolence active ? Il est peut-être temps d’accentuer et de mettre en avant le travail des activistes pour la paix afin de diversifier les ressources qui soutiennent la violence envers ces groupes. Il existe de nombreux exemples de Grands Médias pour soutenir la structure néolibérale, y compris la guerre. Il est temps de renforcer les sources d’information que sont les médias alternatifs et les réseaux sociaux pour prendre conscience que des personnes cherchent vraiment à créer un monde non violent.

La compassion, un cadeau des dieux

Nous savons plus ou moins qu’une révolution non violente nécessite une grande quantité de travail personnel, en vivant dans notre système actuel nous ne pouvons éviter d’être conditionnés, qu’on aime cela ou non, qu’on en soit conscient ou non, par une partie de sa violence : physique, économique, religieuse, raciale, psychologique, morale, sexuelle, liée au genre, liée à l’image, liée à l’âge, écologique et envers quelqu’un. Cela peut-être un travail de longue haleine et peut conduire à se détester en découvrant le racisme, le sexisme, le classisme, l’individualisme, etc. dans un coin obscur de sa psychologie. La nonviolence active nécessite que nous ne changions pas seulement pour nous-mêmes mais aussi parce que nos vies quotidiennes transforment notre environnement immédiat et le monde de manière plus large.

Où commencer alors, sans culpabilité et chagrin de ce que nous découvrons en nous ? Il existe une expérience guidée, L’action salvatrice écrite par Silo, dans laquelle nous méditons sur les actions vraiment désintéressées déjà entreprises dans nos vies. Et nous découvrons ensuite que même sans y penser, nous avons fait beaucoup de bien aux autres, parce que quelque chose à l’intérieur nous a fait ressentir de la compassion. Le « je » est relégué à l’arrière-plan et « l’autre » devient le centre de notre attention, ses besoins deviennent importants et ses sentiments primordiaux.

Si nous faisons en sorte de nous concentrer sur les sentiments transcendants qui accompagnent l’expérience de la compassion, nous pouvons commencer à l’appliquer intentionnellement. C’est la voie de la réconciliation avec soi-même et avec les autres, c’est la sortie de la contradiction, et le chemin vers la cohérence et la solidarité, cela nous apporte la foi et ses fondements. La promotion de la règle d’or selon laquelle on traite les autres comme nous souhaiterions qu’ils nous traitent est centrale dans la nonviolence active, c’est une révolution qui ne doit pas être négligée. Et tout commence lorsque l’on réalise que tous les êtres humains arrivent dans ce monde dotés d’une impressionnante capacité de compassion, et le fait qu’elle se développe ou qu’elle se transforme en une non-existence cruellement individualiste dépend de la manière dont nous orientons la société et de l’intentionnalité de chacun.

Un monde bâti sur les valeurs

Un problème qui se présente est notre conditionnement culturel face à la critique de nos pairs, amis, étudiants, collègues de travail, familles et nous-mêmes. Il s’agit d’une forme subtile de violence, déguisée en levier pour l’amélioration. Tout le monde fait mieux et s’améliore en étant conscient de ses points forts et c’est ce que la culture devrait faire, se focaliser sur les valeurs, en faire le centre des relations humaines et aider les gens à surmonter leurs difficultés en construisant sur leurs qualités positives. Cela peut rendre l’éducation, le travail, les quartiers résidentiels et les nations plus humains.

La Nonviolence active est quelque chose qui doit être mis en pratique n’importe quand, n’importe où, dans n’importe quelles conditions. Elle nécessite seulement une résolution pour faire attention à être intentionnel plutôt que mécanique, d’être conscient de soi et voir la flamme sacrée en soi et les autres.

 

Traduction de l’anglais, Caroline Pequegnot