Il est interdit à ce peuple autochtone de sacrifier un éléphant, pour magnifier le Djengi, cérémonie hautement culturelle.

La problématique de la protection de la faune en général et des éléphants en particulier se pose avec acuité dans des localités où cette espèce est non seulement pourchassée pour sa viande et son ivoire mais aussi pour son caractère sacré inscrit dans un contexte culturel. Les ONG de protection de la nature affirment que le prix alléchant du kilogramme d’ivoire est l’une des principales causes de la montée du braconnage au Cameroun. Sur le marché noir, le kg d’ivoire coûte désormais 130 000 FCFA au Cameroun contre à peine 15 000 FCFA il y a 10 ans.

La courbe d’abattage sauvage d’éléphants a atteint son pic ces dernières années en 2013 où, entre janvier et février 2013, environ 250 éléphants ont été abattus dans le parc de Bouba Ndjida dans la partie septentrionale. Ce massacre massif d’éléphants n’occulte en rien les abattages sporadiques pour des raisons culturelles menés sur certaines populations d’éléphants au Cameroun.

Difficile conciliation entre les lois et les coutumes

Dans l’Est Cameroun, la cérémonie culturelle des Baka appelée Djengi ne peut se dérouler qu’avec de la viande d’éléphant. Ces populations affirment que pour que le Djengi ait lieu, il faut qu’un éléphant meure. Pourtant cette pratique tombe sous le coup d’abattage sauvage réprimé par la loi portant régime des forêts, de la faune et la pêche.

L’histoire pathétique qui met les pygmées Baka au devant de la scène à propos de l’abattage d’éléphant se déroule en avril 2016 : deux communautés pygmées de l‘Est Cameroun se préparent à célébrer le Djengi annuel. Sensibilisées par les ONG de défense de l’environnement et par l’administration sur la question de protection systématique de cet espèce, elles contactent l’autorité administrative pour faire savoir leur intention d’abattre un éléphant chacune pour célébrer l’événement. Cette démarche visait à montrer à l’autorité administrative qu’elles sont conscientes de la nécessité de protéger les éléphants, mais que leurs us et coutumes leur imposent chaque année d’en abattre un à cet effet. Selon eux « il n’y a pas de pygmée sans viande, ni de Djengi sans éléphant ».

L’autorité administrative avait alors marqué sa désapprobation. Passant à l’acte, une communauté avait alors abattu un éléphant pour la cause. Cet entêtement leur avait alors attiré dans un premier temps les flèches d’une ONG qui les a dénoncés et dans un deuxième temps les foudres de l’autorité administrative qui a fait arrêter et enfermer les chefs de la communauté « contrevenante». Cette mesure coercitive avait freiné l’engagement de la deuxième communauté qui n’avait plus, au mépris de sa culture, abattu un éléphant.

Tandis que les pygmées pensent que les espèces fauniques leur appartiennent, d’ailleurs ils vivent essentiellement de la chasse et de la cueillette, les ONG et l’administration quant à elles soutiennent que ces espèces ne doivent plus être abattues n’importe comment, n’importe où et par n’importe qui. Pourtant ce n’est pas le premier Djengi que célèbrent les Pygmées, cela a toujours été ainsi chaque année et depuis des siècles.

Chaque année, la période du Djengi chez les pygmées est toujours caractérisée par des tensions avec l’administration. Les premiers ne voulant pas célébrer leur culture au rabais tandis que le second veut appliquer la législation en matière de protection de la faune et de la flore. Pourtant, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dispose que « Les peuples autochtones ont le droit de maintenir et de renforcer leurs institutions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles distinctes, tout en conservant le droit, si tel est leur choix, de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle de l’État. »

Vide juridique national

Le Cameroun ayant signé et ratifié la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) a renforcé cet instrument juridique par une solide réglementation nationale en la matière. La Loi n° 94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et la pêche en est une illustration. Cette loi est restée jusqu’ici révolutionnaire en la matière dans la sous région Afrique centrale. Mais alors, l’une des principales contraintes à la gestion durable de la faune au Cameroun reste liée aux difficultés pratiques de mise en application de cette loi.

La lutte contre le braconnage menée jusqu’ici sur le terrain se résume aux emprisonnements des contrevenants, les saisies de gibiers sur les ventes aux enchères des produits issus de la contrebande, etc. C’est pour cela qu’elle reste aujourd’hui mal perçue par les villageois autochtones qui se voient « injustement » privés d’un produit essentiel et vital pour leur communauté. En élaborant ainsi les politiques en matière de gestion des forêts et d’environnement au Cameroun, le législateur a omis de reconnaître explicitement un droit spécifique aux peuples autochtones sur les espèces protégées. Le législateur devrait accorder une reconnaissance et une protection juridiques aux us, coutumes et traditions des pygmées Baka, notamment du Djengi.

Au delà de disposer d’un permis ou une licence de chasse pour avoir accès à la ressource faunique, le législateur devrait reconnaître aux populations pygmées Baka le droit de procéder à l’abattage d’un éléphant dans le cadre de l’exécution d’un rituel annuel s’inscrivant dans leurs us et coutumes. La seule dérogation admise par la loi en ce qui concerne l’exigence du permis ou d’une licence d’exploiter les produits fauniques concerne la chasse dite traditionnelle définie comme celle faite au moyen d’outils confectionnés à partir de matériaux d’origine végétale. Nulle part il n’est reconnu aux pygmées le droit de disposer d’un éléphant chaque année au cours des festivités du Djengi, ce qui est une entorse à la valorisation de leur culture tel qu’énoncé dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Malgré toutes les dispositions réglementaires prises par le Cameroun en vue de résoudre le problème d’abattage sauvage d’animaux protégés, il subsiste encore un certain nombre de problème qui ne peuvent être résolus qu’en conciliant les us et coutumes et les lois de protection de la faune et de la flore.