Biram Dah Abeid, est Président de IRA Mauritanie (Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste).  Nous l’attendions à Bruxelles mais l’octroi de son visa a été reporté  Depuis la Mauritanie, il a répondu à nos questions, nous livrant son expérience, les enjeux de ses luttes et sa vision d’un monde humaniste.


L’engagement personnel

Monsieur Biram Dah Abeid, vous êtes Mauritanien, homme profondément engagé depuis de longues années dans la lutte pour les droits de l’homme.

Quelle est l’origine de votre engagement ? Avez-vous des modèles qui vous inspirent dans votre lutte au quotidien ? Votre objectif est-il l’accès à la présidence du pays ?

La lutte contre l’esclavage

« Je suis descendant d’esclave. Dans le village de Boulboul, aujourd’hui au Mali, ma grand-mère a été razziée puis, avec d’autres, vendues comme esclave d’un Arabo Berbère dans le sud ouest de la Mauritanie.

Mon père est né libre car le maître de ma grand-mère est tombé malade un guérisseur lui a prescrit de faire une charité importante à Allah pour qu’il guérisse, celle d’affranchir une âme musulmane. Il voulait garder ma grand-mère à son service et a affranchi l’enfant qu’elle portait : mon père.

A 20 ans mon père s’est marié avec une esclave dont il a eu deux enfants. Il voulait les emmener à Dakar (Sénégal), mais le maître a refusé. Mon père a porté plainte mais il a été débouté car le juge musulman a estimé que l’épouse de mon père était bien l’esclave du maître, donc « son » bien y compris ses deux enfants, comme indiqué dans les codes d’esclavage toujours en vigueur en Mauritanie et que j’ai incinéré en 2012. Peu après, ils ont été vendus à d’autres maîtres.

Mon père a eu beaucoup de remords, il a épousé une femme libre et je suis le 11ème de leurs 12 enfants.

Je suis le seul à avoir été à l’école.

Un autre souvenir m’a marqué : j’avais 10 ans, quelqu’un est venu demander à manger à ma mère. Après le repas , l’homme s’est endormi. C’est alors que son maître est arrivé et l’a battu en plein sommeil. L’esclave était très costaud, le maître plus faible mais j’ai constaté que l’esclave se soumettait. J’ai dit à ma mère : pourquoi l’esclave ne se défend pas ? Elle m’a répondu : parce qu’il est enchaîné. Mais je ne voyais pas de chaînes ni à ses mains ni à ses pieds. Elle m’a dit : ce sont des chaînes dans la tête, idéologiques et religieuses qu’on ne voit pas. Les religieux enseignent que les esclaves doivent se soumettre à leur maître sous peine de rôtir en enfer. Celui qui se rebelle est considéré comme apostat, ennemi de la religion, car il enfreint un commandement fondamental, et s’il se rebelle toute la communauté du village viendra le battre. Il préfère alors être battu seulement par son maître. La peur de Dieu, de l’enfer éternel et de la société, tout cela empêche l’esclave de se rebeller, de se défendre.

C’est alors que mon père m’a pris à part : est-ce que tu sais pourquoi je t’ai mis à l’école ?

Pour être quelqu’un, ai-je répondu.

Non, pour que tu combattes l’esclavage, toute ma vie je me suis dressé contre l’esclavage, physiquement et mentalement mais je n’ai jamais pu développer une résistance, une lutte intellectuelle, livresque contre l’esclavage. Je veux que tu étudies les livres des Musulmans pour voir ce que Dieu dit exactement sur l’esclavage parce que moi, qui suis analphabète, je soupçonne que les plus forts qui détiennent la religion ont dénaturé  la parole de Dieu pour asseoir leur pouvoir. Mon père m’a donné pour mission de lire, de comprendre et de combattre.

Depuis lors, tous les travaux personnels de mon cursus scolaire ont été consacrés à l’esclavage.

Ce qui me pousse à lutter contre l’esclavage, c’est la situation dans mon pays où la majorité de la population est confinée dans une situation de laissée pour compte, sans droits, discriminée, où l’esclavage est pratiqué de manière ancestrale.

Modèles de vie

Mon modèle, celui qui m’inspire au quotidien, c’est mon père, avec sa colère incommensurable contre l’esclavage, les injustices, mais aussi son esprit toujours occupé à penser à la justice, à une société non-discriminatoire, son penchant indéfectible pour le droit, l’équité.

Mon modèle, c’est aussi ma mère qui m’a transmis l’esprit de compassion vis-à-vis des humbles, l’esprit de charité. Elle aidait les démunis du village, ces SDF avant l’heure qui sont rejetés.

Priorités et moyens d’action

Mon objectif primordial et principal, c’est d’asseoir une société de justice, l’égalité, l’équité, la liberté, un état de droit où la personne est sécurisée dans son intégrité physique et morale, dans ses biens, dans tous ses droits.

Mon objectif ultime : une société sans esclavage, sans discrimination aucune, sans oppression et parmi les instruments qui peuvent m’aider à contribuer à créer cette société, il y a mon accession à la présidence de la République islamique de Mauritanie.


Monsieur Biram Dah Abeid, le rapport des Nations-Unies de 2016 sur les droits de l’homme et l’extrème pauvreté, relève de nombreux manquements graves et une discrimination particulière vis-à-vis de la communauté noire-mauritanienne ; élabore de nombreuses propositions et recommandations ; quel impact a ce rapport sur le gouvernement en place ? Quels sont les thèmes prioritaires dont il faut s’occuper aujourd’hui, en Mauritanie, en Afrique et ailleurs ?

Le rapport de Philip Alston sur l’extrême pauvreté en Mauritanie sorti en 2016 a eu un impact important en ce sens qu’il a démontré aux instances onusiennes, aux partenaires du régime mauritanien, à l’opinion publique nationale et internationale que le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz est totalement réfractaire à ses engagements dans le domaine des droits de l’Homme. Le Rapport Alston a été accueilli en Mauritanie par une propagande grossière d’insultes contre le Rapporteur, de diabolisation de sa personne et ce rapport a été ignoré par le régime, ce qui démontre que Mohamed Ould Abdel Aziz n’a aucune intention de collaborer avec les instances onusiennes des droits de l’Homme ni de respecter les engagements de la Mauritanie en matière de respect des droits de l’Homme.

Le problème prioritaire auquel la communauté internationale et les gouvernements doivent s’atteler, en Mauritanie, en Afrique ou ailleurs, ce sont les problèmes explosifs du manque de démocratie, de l’oppression des peuples, de la capture des richesses de ce pays par la dictature d’une personne et de son clan comme ce que nous vivons en Mauritanie. L’absence d’institutions démocratiques, libres, distinctes et indépendantes et l’absence d’une gestion transparente des ressources économiques et financières ainsi que l’absence de gestion équitable de l’espace, du partage des terres et des richesses, ce sont des problèmes fondamentaux qui plombent le développement et empoisonnent la vie politique et sociale dans les pays comme la Mauritanie.

Le problème mondial c’est le problème de la montée des extrémismes religieux, culturels et identitaires dont la menace la plus manifeste est le djihadisme ou wahabisme islamiste qui endeuille l’humanité sur tous les continents.

Concernant le cas particulier de la Mauritanie, la Mauritanie est un pays stratégiquement central pour la sécurité en Afrique de l’ouest et pour la sécurité en Europe. La situation dans ce pays peut influer de manière très forte sur la sécurité des pays européens et africains. Le fait que ce pays soit dirigé par une minorité qui utilise des idées racistes, applique des lois discriminatoires et des codes d’esclavage issus du Moyen Age, cette gouvernance qui confine la majorité des Mauritaniens dans le statut d’esclave ou d’ancien esclave, qui les prive de tout droit à la dignité, la liberté, un pays dans lequel des hommes sont susceptibles d’être gagnés, vendus, cédés, loués, possédés par d’autres hommes, un pays dans lequel des hommes naissent propriété d’autres hommes, un pays dans lequel des personnes travaillent sans salaire, sans repos, sans soins, un pays où la minorité exerce des lois moyennageuses sur la majorité, un pays dans lequel le droit d’association est violé, tout autant que le droit de manifester, le droit du culte, le droit à l’expression, c’est un pays qui à la longue pourrait connaître une explosion, une révolte, un désordre, terreau comme en Lybie de tous les extrémismes, violences, terrorismes. Il est urgent que la communauté internationale agisse pour neutraliser ceux qui dirigent aujourd’hui la Mauritanie.


Le futur

Lors d’un entretien avec l’ex Président de l’Equateur, Rafael Correa, celui-ci indiquait que sa priorité était de sortir la population de la pauvreté. Cependant, aux dernières élections équatoriennes, la plupart de ces personnes qui ont rejoint la classe moyenne, ont voté pour les partis de droite. Comment éviter « l ‘illusion » du capitalisme et quels sont les outils de lutte les plus efficaces pour un projet de société non-violent ?

Pour éviter les illusions du capitalisme il faut éviter l’illusion du socialisme, du populisme, il faut être mesuré. L’homme politique, le prétendant à la direction du pays, le dirigeant et le promoteur du projet de société doit être sur ses gardes, ne pas promettre l’impossible, ne pas donner une mauvaise éducation. Ceux qui le suivent doivent entendre un discours de raison, de vérité et surtout éviter l’illusion du capitalisme. En cas d’accession au pouvoir, il faut appliquer la justice, l’équité, la transparence. Il faut que les mécanismes de gestion du pays soient clairs, transparents et équitables ainsi que la distribution des bienfaits du développement. Promettre l’Eldorado sans mesure, sans retenue, sans garde-fou, c’est ça qui plonge les alliés d’hier dans la déception.

Les outils de lutte les plus efficaces pour un projet de société non violent c’est la croyance, la patience et donner l’exemple aux populations par l’éducation en embrassant les principes de la non violence alliés à une détermination et un engagement inaccessible au découragement. C’est ce que nous sommes en train de e faire en Mauritanie : créer par un mouvement d’idée, un homme nouveau, un nouveau type de citoyen militant, de combattant. Je pense que la résistance non violente à l’oppression et la marche non violente vers le pouvoir, c’est un changement qui inclut beaucoup de sacrifice ; le sacrifice de soi-même, celui des dirigeants qui acceptent de servir d’exemple de sacrifice, d’abnégation. Je pense que c’est dans leur sillage qu’un nouveau type de citoyen sera le principal outil au service du projet de changement non violent de société jusqu’à la consécration.


Pour nos lecteurs dePressenza, Agence de Presse internationale pour la paix et la non-violence, quel appel souhaitez-vous lancer pour que chacun puisse participer à une transformation de la société, que ce soit en Europe, En Afrique ou en Amérique ?

Une personne ou un groupe de personnes adeptes de la non violence peut transformer les sociétés du monde vers la paix, il faut ériger la non violence en religion n°1, il faut que les personnes, les associations non violentes de par le monde érigent la non violence en première religion du monde ; elle doit être présente dans nos esprits, dans les pensées que nous exprimons après avoir été présentes dans nos méditations, dans notre for intérieur, cette priorité, ce penchant pour la non violence doit nous inspirer dans toutes nos actions, réflexions et nous devons aller à l’assaut du monde, déconstruire tout ce qui a été dit de faux sur les bienfaits de la violence noble, libératrice, annoblisante, de la violence comme garante de la sécurité, dela justice, toutes ces idées reçues, tous ces schémas en vérité violents qui font maintenant partie de l’héritage et du patrimoine de l’humanité et qui avilissent l’humanité, qui mettent chaque jour davantage l’humanité en danger d’apocalypse, il faut les déconstruire par la pensée et l’action vigoureuse, spirituelle. »

Propos recueillis par Maryvonne Maes


En quelques mots

Qui est Biram Dah Abeid?  appartient à la caste des Haratines, les Maures noirs descendants d’esclaves. Son père a été affranchi par le maître de sa grand-mère et il est né libre. C’est le premier enfant de sa famille à avoir été scolarisé. A l’université il étudie le droit et l’histoire. Sa thèse est consacrée à l’esclavage.

En 2008, en Mauritanie, Biram Dah Abeid fonde le mouvement IRA qui s’inscrit dans une dynamique de défense des droits humains et de lutte contre l’injustice. Son objectif principal est la lutte contre l’esclavage dont la survivance en Mauritanie est toujours une réalité et concerne principalement l’esclavage par ascendance dont sont victimes un groupe ethnique noir : les Haratine.

Avril 2012 : avec d’autres militants de la cause anti-esclavage, Biram Dah Abeid brûle publiquement des versions déviantes de l’islam qui justifient la pratique de l’esclavage. Emprisonnés et accusés d’atteinte à la sûreté de l’Etat, ils sont libérés 6 mois plus tard.

2014 : fort du soutien de nombreux partisans à la cause de l’IRA, Biram Dah Abeid se présente à l’élection présidentielle où il récolte 8,6% des suffrages.

Novembre 2014 : lors d’une caravane de sensibilisation dans le sud du pays des populations Haratine à leurs droits fondamentaux, Biram Dah Abeid est à nouveau arrêté et condamné à 2 ans de prison ferme pour « appartenance à une organisation non reconnue, rassemblement non autorisé et rébellion armée ».

17 mai 2016 : la Cour suprême ordonne la libération de Biram Dah Abeid, Président, et Brahim Bilal Ramdhane, vice président de l’IRA. Ils entreprennent une tournée de contacts aux Etats unis.

30 juin 2016 : vague d’arrestations des dirigeants de l’IRA à Nouakchott sous prétexte de participation à la révolte des habitants d’un bidonville de la capitale évacués par les forces de l’ordre à la veille du sommet de la Ligue arabe.

18 août 2016 : au terme d’une parodie de justice, des peines de prison de 3 à 15 ans sont prononcées contre 13 militants dirigeants de IRA Mauritanie.

28 septembre 2016 : transfert des militants de la prison de Nouakchott à celle de Zouerat dans l’attente de leur transfert à Bir Moghrein à 1200 km de la capitale, difficile d’accès aux familles, avocats et militants. Le procès en appel des condamnations est prévu le 20 octobre mais à Nouadhibou soit hors de la juridiction naturelle des accusés (Nouakchott) A son retour des Etats unis, Biram Dah Abeid visite plusieurs pays d’Afrique et installe des bureaux locaux de IRA Mauritanie au Sénégal, au Mali, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire.

Biram Dah Abeid et son mouvement IRA a reçu de nombreux prix internationaux :

2013 : Front Line Defenders : Prix des défenseurs des Droits humains en danger 2013 : Prix des Nations unies pour les Droits de l’Homme

10 décembre 2015 : Prix Tulip décerné par le gouvernement néerlandais

22 juin 2016 : Prix James Lawson (Centre international sur la résolution non violente des conflits à Boston)

30 juin 2016 : Prix des Héros contre l’esclavage et la traite des êtres humains (John Kerry Washington Maison Blanche)

Législation : La Mauritanie est le dernier pays au monde à avoir aboli officiellement l’esclavage en 1981. En 2007, la pratique est criminalisée. En 2015, l’esclavage est déclaré « crime contre l’humanité ». En réalité, l’esclavage est loin d’être aboli.

Des sections nationales de IRA Mauritanie existent en Europe (Italie, Allemagne, Suisse, France, Belgique..) ainsi qu’aux Etats unis. IRA Mauritanie en Belgique ASBL Contact : Maryvonne Maes (0478/503 727) marymaes@gmail.com