Les membres de la communauté de recherche en intelligence artificielle exhortent le Premier ministre du Canada à se joindre à la Demande visant à interdire à l’échelle internationale les armes létales autonomes opérant sans contrôle humain significatif lors du déploiement d’une force meurtrière.

Une lettre ouverte rédigée par cinq spécialistes canadiens en matière de recherche sur l’intelligence artificielle exhorte le Premier ministre à régler sans délai la question des armes létales autonomes (souvent appelées « robots tueurs ») et à adopter une position de chef de file contre les Systèmes d’armes létales autonomes sur la scène internationale, lors des prochaines réunions de l’ONU à Genève.

Les auteur(e)s de la lettre sont :

  • Ian Kerr, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éthique, droit et technologie, Université d’Ottawa,
  • Yoshua Bengio, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en algorithmes d’apprentissage statistique, Université de Montréal,
  • Geoffrey Hinton, Fellow en génie chez Google et conseiller scientifique en chef, The Vector Institute,
  • Rich Sutton, titulaire de la Chaire AITF en apprentissage par renforcement et intelligence artificielle, Université de l’Alberta,
  • Doina Precup, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en apprentissage automatique, Université McGill

 

2 novembre 2017

Le très honorable Justin Trudeau, C.P., M.P.
Premier ministre du Canada
Édifice Langevin, 80 rue Wellington
Ottawa, Ontario
K1A 0A2

Monsieur le Premier ministre,

OBJET : UNE INTERDICTION INTERNATIONALE DE LA MILITARISATION DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

En notre qualité de membres de la communauté de recherche canadienne en intelligence artificielle (IA), nous tenons à vous remercier de l’intérêt que vous manifestez envers le domaine de l’IA en général et pour l’investissement considérable que le Canada octroie actuellement à la recherche et à l’innovation en matière d’IA.

Comme vous le savez, la recherche au sujet de l’IA, soit les tentatives de fabriquer des machines aptes à accomplir des tâches intelligentes, a réalisé des progrès spectaculaires au cours de la dernière décennie. L’évolution de l’IA classique, propulsée par les rapides percées réalisées en matière d’apprentissage automatique, a exacerbé les ambitions de la communauté de l’IA de construire des machines aptes à effectuer des opérations complexes avec ou sans supervision ou intervention humaine. Une profusion d’applications soutient déjà une variété croissante de produits de consommation destinés à améliorer l’infrastructure, les transports, l’éducation, la santé, les arts, l’armée, la médecine et le commerce. L’IA revêt une importance de nature transformatrice. Ces transformations, réelles et potentielles, exigent non seulement notre compréhension mais également, et de plus en plus, notre attention morale aiguisée.

C’est pour toutes ces raisons que la communauté canadienne de recherche en intelligence artificielle vous exhorte, vous et votre gouvernement, à faire du Canada le 20e pays du monde à s’élever, à l’échelle internationale, contre la militarisation de l’IA. Les systèmes d’armes létales autonomes dépourvues de contrôle humain significatif pour ce qui est de déterminer la légitimité des cibles et le déploiement d’une force meurtrière équivalent à se placer du mauvais côté de la ligne morale établie. À cette fin, nous demandons au Canada d’annoncer son appui à la demande visant à interdire les systèmes d’armes létales autonomes lors de la prochaine Conférence de l’ONU relative à la Convention des Nations unies sur certaines armes classiques (CCW). Le Canada devrait en outre s’engager à œuvrer avec d’autres États en vue de conclure un nouvel accord international qui contribuerait à réaliser un tel objectif. Ce faisant, notre gouvernement réaffirmera ainsi son leadership moral sur la scène internationale comme il l’avait fait avec le Traité d’Ottawa – la Convention internationale sur l’interdiction des mines antipersonnel adoptée en 1996, à l’instigation de notre ministre des Affaires étrangères de l’époque, Lloyd Axworthy, que votre père avait nommé au Cabinet fédéral.

Nous nous réjouissons que la Convention ait décidé de former un Groupe d’experts gouvernementaux sur les systèmes d’armes autonomes. À cet égard, bon nombre de membres de notre communauté de recherche sont impatients de mettre leur expertise à la disposition du gouvernement du Canada. Comme l’ont récemment soulevé de nombreuses entreprises parmi les plus importantes du monde en matière d’IA et de robotique, y compris des sociétés canadiennes, les systèmes d’armes autonomes risquent de devenir la troisième révolution guerrière. Advenant l’élaboration de tels systèmes, les conflits armés pourraient se dérouler à une échelle jamais vue auparavant et à une vitesse que les humains ne sont même pas en mesure de concevoir. La conséquence tragique de ce phénomène est que ce seront des machines—et non des personnes—qui auront droit de vie ou de mort sur les populations. La communauté canadienne de recherche en IA ne saurait approuver une telle utilisation, son objectif principal étant d’étudier, de concevoir et de promouvoir la recherche en IA à des fins bénéfiques.

Le solide leadership que le Canada continue de démontrer grâce à son implication dans la technologie et l’innovation assoira notre réputation de chef de file international en matière de développement technologique de l’IA uniquement dans la mesure où cet investissement tient également compte de ses répercussions élargies sur les plans juridique, éthique et social. Nous vous exhortons par conséquent à adopter une position ferme de chef de file à l’encontre des systèmes d’armes létales autonomes sur la scène internationale lors des prochaines réunions de la CCW prévues en novembre 2017 aux Nations Unies.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre très haute considération.

Ian Kerr
Chaire de recherche du Canada en éthique, droit et technologie, Université d’Ottawa

Yoshua Bengio
Chaire de recherche du Canada en algorithmes d’apprentissage statistique, Université de Montréal

Geoffrey Hinton
Fellow en génie chez Google et conseiller scientifique en chef, The Vector Institute

Rich Sutton
Chaire AITF en apprentissage par renforcement et intelligence artificielle, Université de l’Alberta

Doina Precup
Chaire de recherche du Canada en apprentissage automatique, Université McGill

Copie à: Hon. Navdeep Bains, ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique
Hon. Chrystia Freeland, ministre des Affaires étrangères
Hon. Harjit S. Sajjan, ministre de la Défense nationale
Hon. Kirsty Duncan, ministre des Sciences
Mona Nemer, Conseillère scientifique en chef