Par Claudie Baudoin

Venu d’Argentine pour une tournée européenne de présentation de son dernier ouvrage À la croisée des chemins, Guillermo Sullings était en France du 9 au 15 octobre. À Barjols, Toulouse, Paris, ses lecteurs et les personnes désireuses de mieux comprendre le monde actuel et de réfléchir ensemble aux alternatives pour un monde futur meilleur se sont rassemblées avec bonheur. Profitant tout à la fois de l’acuité de l’analyse de cet économiste et philosophe et de ses propositions pertinentes déclinées en 120 pas, les assistants à ces conférences ont eu de grandes opportunités d’échanges et de réflexion partagée.

 

Voici une synthèse tirée des propos tenus par Guillermo Sullings lors de ses différentes interventions.

 

Ce livre est né de l’inquiétude face à tout ce qui se passe dans le monde aujourd’hui, et de la nécessité de retrouver, développer et renforcer la foi dans l’être humain.

La foi est variable. Comment la diriger en direction ascendante ?

Les utopies d’hier sont aujourd’hui des réalités. Les utopies d’aujourd’hui sauront-elles être les utopies de demain ?

Nous pouvons observer une ligne évolutive dans les sociétés, qui nous a permis d’acquérir sans cesse de nouveaux droits, ainsi qu’une convergence progressiste depuis différents endroits du monde.

Au cours de l’histoire, les tribus se sont organisées en villages, les villages en villes, les villes en états, les états en régions, et depuis la nuit des temps, tout semble converger vers la mondialisation.

Mais la globalisation n’est pas la mondialisation : elle est le contrôle de quelques-uns sur le tout social, l’appropriation des biens de ce monde et la distorsion de l’histoire et de la direction évolutive. Ce monde globalisé, comment est et sera-t-il contrôlé et dirigé ? Par les multinationales ? Par une puissance militaire ? Par une bureaucratie de politiciens ? Par le pouvoir financier international ?

Seule la foi en l’être humain peut nous permettre encore de rêver qu’on puisse s’acheminer vers une Nation Humaine Universelle avec des peuples en relation fraternelle, sans guerre et sans violence. Les auteurs de science-fiction ont toujours imaginé un monde à venir bien pire que leur société contemporaine. Pourquoi ne pourrions-nous rêver et décrire la Nation Humaine Universelle comme la réalité du futur ?

Autrefois, pour pouvoir avancer, on identifiait les détracteurs, ainsi que ceux qu’ils affectaient de leur violence. On savait donc ce qu’il fallait faire, dans quelle direction aller, et qui ou que combattre pour conquérir de nouveaux droits. Le chemin n’était pas facile mais il était tracé. Or, c’est seulement lorsque le chemin est clair que l’être humain se met en marche, car il sait que, tôt ou tard, il parviendra à ce qu’il s’était proposé. Que ce soit pour abolir l’esclavage ou pour obtenir de nouveaux droits relatifs aux conditions de vie, les chemins ont été longs et difficiles, mais la lutte a été soutenue et fructueuse.

Dans le moment historique actuel, on ne sait plus très bien identifier les détracteurs et les persécutés ; de ce fait, on ne réalise pas toujours qu’on se trouve dans un carrefour, à devoir prendre un chemin, mais n’identifiant ni où aller, ni par où commencer ; on tourne en rond dans une sorte de rond-point, ne sachant quelle voie emprunter, soupçonnant peut-être que certaines directions pourraient être des impasses, d’autres des retours à des situations antérieures pires que la situation actuelle, d’autres encore les véritables nouveaux chemins.

Dans ce carrefour aux voies multiples, nous ressentons néanmoins les urgences : celle de préserver notre environnement, tout en sachant que c’est notre société actuelle telle qu’elle est constituée qui produit les désastres ; œuvrer pour la paix, alors même que les peuples élisent des gouvernants qui sont des vendeurs d’armes ; promouvoir la solidarité, tandis que chacun s’enferme davantage dans un individualisme qui l’éloigne toujours plus de l’autre. Les contradictions sont si fortes qu’il est difficile d’identifier les problèmes que l’on rencontre. Autrefois, le fait de se retrouver sans travail avait un coupable clair : le patron. L’adversaire supposé était perceptible. Aujourd’hui, les ouvriers et employés sont licenciés par dizaines, centaines et milliers, avec la justification que l’entreprise n’est plus assez compétitive avec la concurrence qui produit dans un autre pays, ou que cette entreprise ne reçoit plus le financement attendu d’ailleurs. Auprès de qui doit-on alors se plaindre ? Contre qui doit-on lutter ?

Nous sommes si coincés dans ce carrefour, que même si les gouvernements le souhaitaient ‑ ce qui, du reste, n’est pas le cas ‑, ils n’auraient pas le pouvoir de changer quoi que ce soit en prétendant le faire de manière isolée, étant donné que la situation relève de nombreuses variables qui dépendent d’autres pays, d’autres gouvernants. Notre interdépendance logistique et interdisciplinaire est telle, et les problèmes dans le monde sont si grands que toute problématique se reflète au niveau local, et les thématiques qui pourraient sembler locales sont en interrelations avec l’international.

Le principe de la Nation Humaine Universelle pourrait sembler inadéquat et le projet trop grand. Mais tant le principe que le projet relèvent tous deux de la nécessité de convergence. Isolément, rien ne sera possible car plus rien n’est isolé, ni géographiquement, ni thématiquement.

Les grands questionnements devraient donc se faire en convergence, dans une volonté partagée de tendre vers d’autres modèles et d’autres systèmes.

Comment, par exemple, passer d’une démocratie tout ce qu’il y a de plus formelle à une démocratie réelle, avec une participation croissante de la population aux décisions ?

Comment passer d’un système économique dont la richesse produite est concentrée, et toujours plus concentrée, à un système dans lequel elle est redistribuée ? Comment passer d’un système où les profits vont tous vers la spéculation à un modèle de réinvestissement des profits ?

Comment passer d’un système de production destructeur de l’environnement et prédateur de la planète à un système dans lequel il ne s’agirait pas seulement d’extraire des ressources mais d’enrichir la terre, favorisant toujours le renouvellement ?

Comment passer d’une culture du consumérisme à une culture de la sobriété ? Comment sortir de la culture de l’individualisme pour entrer dans la culture de la solidarité ?

Comment arriver à un monde où l’on mesure la croissance selon la situation de la santé, de l’éducation des personnes ? Comment arriver à mesurer le développement d’une société selon les services que reçoivent les personnes ?

 

Dans cet ouvrage, des propositions sont faites à tous les niveaux : international, régional, national, local et individuel. La synthèse des propositions est reprise en 120 pas, qui ne constituent en rien une recette miraculeuse, mais permettent de tendre des ponts au-dessus de l’abîme qui semble nous séparer d’un futur meilleur. Ces pas donnent un éclairage sur les chemins possibles. Ils permettent de faire des choix pour sortir du rond-point affligeant dans lequel nous errons, car ils permettent de voir à l’horizon un soleil naissant : la nation humaine universelle.

 

Mais pour s’engager dans un chemin, il faut de la force. Alors qui, comment, quand et où va-t-on entreprendre l’aventure ?

On aurait tort de croire que ces propositions seront relayées par les gouvernements et que nous n’ayons par conséquent rien d’autre à faire que d’attendre qu’ils s’y engagent et qu’ils le fassent. Ce seront les gens eux-mêmes qui mettront en marche de nouveaux procédés, car cette nation humaine, elle est pour eux, elle est en eux, ils en sont les porteurs.

C’est alors le désintérêt, l’apathie, la détresse, le découragement actuels des peuples qui pourraient nous faire perdre notre enthousiasme.

C’est là qu’il est bon de se souvenir que l’Histoire n’est qu’un chemin d’efforts répétés et soutenus par quelques-uns. Ce n’est pas la fin de l’Histoire. Et c’est en retournant dans le passé, loin en arrière dans l’histoire, c’est là que l’on peut retrouver la foi. Pourrait-on imaginer que l’homme s’est emparé du feu seulement lorsque tous les membres de la tribu ont été d’accord pour l’assaillir ? Peut-on supposer plutôt qu’une seule ou peut-être quelques personnes se sont risquées à faire la tentative ? Une et mille fois encore ? Jusqu’à ce que leur insistance et leur permanence transforment leur caverne en foyer protecteur.

Alors, oui, c’est sûr, on va continuer, et l’on va développer une grande mystique sociale dans ce véritable défi.

Michel Ange faisait remarquer à l’un des visiteurs qui le félicitait de son art en s’émerveillant de sa Pietà : « En réalité, cette sculpture existait déjà dans le bloc de marbre : j’ai seulement ôté ce qui était en trop. »

La Nation humaine universelle est déjà dans le cœur des êtres humains. Il nous faut seulement ôter ce qui est en trop : la corruption, la famine, les guerres, l’indifférence à l’autre, en somme la violence.

Alors nous œuvrerons avec art au service de l’Histoire humaine.