Utiliser une phrase interrogative dans un titre, ça ne se fait pas, mais je ne vois pas comment aborder autrement cette discussion. Ayons l’esprit ouvert, et demandons-nous « Combien de temps a-t-il fallu aux Hommes pour être capables de prendre une telle photo ? »

Tony, le codirecteur de Pressenza, m’a envoyé il y a quelques semaines un document rédigé par Silvia Swinden intitulé « The Space of Representation (L’espace de représentation) » (cliquer pour voir le PDF). Ce genre de recherche se concentre autour d’un thème : l’espace de représentation, un concept développé par Silo, selon lequel la conscience fonctionne à travers des images fixées dans un espace mental de notre esprit. En résumé, si l’on déplace une chose (une image) à l’intérieur de notre espace de représentation, notre perception de cet objet – et potentiellement de notre vie – en sera changée. Michel-Ange, en plaçant Dieu au même niveau que l’être humain Adam, dans son tableau « La création d’Adam », reflète par exemple la nouvelle vision du monde apportée par la Renaissance.

De tels instants, où l’on voit de vieilles perspectives remplacées par de nouvelles, ne sont pas rares dans notre histoire. Dans le cas étudié ici, nous pouvons dire que l’espace de représentation des êtres humains s’est élargi et a gagné en « résolution ». N’a-t-on pas cru à une époque que la Terre était plate ? C’était la réalité de ce temps-là.

Peu après avoir fini ma lecture de l’ouvrage de Silvia, j’ai écouté le podcast de l’émission Triangulation, habituellement animée par Leo Laporte. Cette fois-ci, le programme était présenté par le jésuite Fr. Robert Ballecer, blogueur et podcasteur, qui recevait Michael Summers, auteur de « Exoplanets: Diamond Worlds, Super Earths, Pulsar Planets, and the New Search for Life Beyond Our Solar System » (Exoplanètes : étoiles de diamant, super-Terres, planètes de pulsar et la recherche de la vie au-delà de notre système solaire). Dans son livre, Summers n’évoque pas directement l’espace de représentation, mais il y décrit très bien les limites de notre connaissance du monde, expliquant de quelle manière telle chose ou telle expérience ne rentre pas encore dans notre espace de représentation. L’étude de la vie au-delà de notre système solaire excite notre imagination depuis des dizaines d’années, et évidemment, elle nous a aidé à découvrir de nouveaux espaces intérieurs.

La contribution de Silvia devrait être au programme de tous les collèges, afin de s’assurer que les jeunes adultes saisissent bien l’évolution des consciences et du monde dans lequel ils vivent (et non uniquement les faits historiques décrivant les violences barbares perpétrées par l’humanité à travers les âges). Tout ce que nous voyons, tout ce que nous comprenons, n’existe qu’à l’intérieur de notre espace de représentation, qui est le fruit d’une évolution millénaire. Il n’est pas de « réalité » en dehors de cette construction dynamique en perpétuelle évolution, cette interprétation qui s’opère dans notre propre conscience.

Retournons donc à notre question : « Combien de temps a-t-il été nécessaire pour prendre cette photo ? » Le célèbre cliché de la « Bille bleue » est la première photographie dans laquelle la Terre peut être observée dans son intégralité. L’image a été capturée le 7 décembre 1972, au moment où l’équipage d’Apollo 17 quittait l’orbite de la Terre, direction la lune. Il a fallu à l’Homme des millénaires pour parvenir à l’instant où il a enfin été capable de « voir » cette image extraordinaire. Cette photo marque un moment dans l’évolution de l’humanité, une démonstration de ce que les humains sont capables de faire pour le bien-être de tous.

Merci à Silvia, à Michael et à tous ceux qui œuvrent pour la progression des connaissances et du développement humain. Comme l’écrivait Silo dans Le paysage intérieur : « Je te dirai quel est le sens de ta vie ici : humaniser la terre. Qu’est‑ce qu’humaniser la terre ? C’est dépasser la douleur et la souffrance, c’est apprendre sans limite, c’est aimer la réalité que tu construis. »

 

Traduction de l’anglais : Laurane Tesson