Bien avant les luttes contre les grands projets inutiles et imposés, comme le centre commercial parc d’attraction d’Europacity ou l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, bien avant même que le mot ZAD (zone à défendre) ne soit inventé, la lutte écologique existait déjà en Île-de-France, dans la ville de Coubron en Seine-Saint-Denis. Dans les années 90, les habitants ont réussi à sauver le Bois de Bernouille, menacé par l’exploitation d’une carrière de gypse par l’usine placoplâtre de Vaujours, qui se targue aujourd’hui d’être le premier complexe plâtrier au monde.

La lutte commence en 1978 et va durer 12 ans. A l’époque, les militants nouent des contacts, montent une équipe, sensibilisent le public et proposent des solutions alternatives. Tout cela sans internet ni réseaux sociaux jusqu’à l’apogée de la lutte en 1990.

L’association de défense de l’environnement et de la sauvegarde du bois de Bernouille (A.D.E.S.B.B.) se créée en 1979, pour s’opposer à l’exploitation à ciel ouvert de la carrière, qui n’était pas prévue dans le projet initial. Un journal le « Fer de lance » est lancé et la première manifestation dans les rues de Coubron a lieu le 20 avril 1980. Le début de la lutte n’est pas facile. Les rares manifestations publiques n’attirent pas les foules et les réunions du conseil municipal abordant le sujet se font devant une salle quasi vide.

L’année suivante, l’étau se resserre autour des bois alentours, qui sont défrichés les uns après les autres. Deux options sont alors choisies. Tout d’abord la voie juridique avec la municipalité qui attaque devant le tribunal administratif l’autorisation de défrichage et dénonce l’autorisation d’exploiter à ciel ouvert. Puis la lutte sur le terrain et l’action collective via l’A.D.E.S.B.B. Un double travail qui porte ses fruits : en 1985, l’opinion publique locale s’oppose au projet. Malgré cela, l’année suivante le ministre de l’écologie, Charles Guillery et le préfet M. Aurousseau donnent leur accord. De nouvelles actions en justice commencent et les manifestations sur le terrain continuent.

Le 13 février 1990, les procédures juridiques sont déboutées et le tribunal administratif autorise le défrichage en faveur de l’entreprise. Du 19 au 20 mars 1990 des bulldozers saccagent plusieurs hectares du bois de Bernouille sous le regard impuissant de la population et de l’association, qui décide toutefois de résister et de continuer la lutte.

Dès le 22 mars, les militants bloquent la RN3 pour éviter le retour des bulldozers. Une voiture sonorisée fait le tour des rues de Coubron pour prévenir les habitants du saccage en cours. D’autres actions « spectaculaires, faciles à médiatiser et qui rendent sympathique la lutte » sont votées le lendemain en assemblée générale de l’association. Le 23 mars, un carrefour est occupé. Le lendemain la population locale découvre le bois saccagé. Nouveau blocage la RN3. Le 25 mars une opération escargot est menée à hauteur de l’usine Placoplatre. La presse locale et nationale relaie enfin la lutte, qui connaît son apogée le 27 mars 1990, avec le blocage de l’autoroute A3 à hauteur de la porte de Bagnolet à Paris, provocant des bouchons monstres.

Le 13 mai, plus de 2000 personnes se rassemblent sur la place de Coubron pour manifester leur opposition à cette carrière à ciel ouvert. Une rue est baptisée « Bernouille ». Les curieux affluent, tout comme la presse. Une pétition est lancée, récoltant près de 23 192 signatures, homologuées par un huissier. Un chiffre considérable pour cette petite ville de Seine-Saint-Denis de moins de 5000 habitants. L’émission « Envoyé Spécial » fera même un reportage baptisé « massacre à la tronçonneuse » lors de cette journée. L’entreprise confira plus tard avoir sous-estimé la force de l’opposition.

Depuis le début du conflit à la lisière du bois, ce qu’on appelle « le site » accueille dès 1990 une cabane, toujours debout aujourd’hui sous la forme d’un mémorial. Elle sera construite près de l’accueil et deviendra le point de rassemblement des bénévoles, des militants, des sympathisants, mais aussi de visites plus politiques de soutien. Qu’il vente, qu’il neige, qu’il pleuve le site sera occupé tout au long de la lutte. Une ardoise rappelle d’ailleurs le nombre de jours d’occupation. En plus du journal l’Age de Fer, des banderoles, des pin’s, des autocollants, des affiches, des t-shirts sont crées à l’effigie de l’A.D.E.S.B.B. Certains habitants des villes environnantes viennent y planter des arbres, une mini-zad avant l’heure. Le préfet parlera même d’un « nid insurrectionnel ».

Finalement, en juillet 1990, le conseil général de Seine-Saint-Denis tranche en faveur des défenseurs du bois de Bernouille. Le 9 juin 1991, l’A.D.E.S.B.B rend le chemin De Montauban qui mène au bois et crée un parcours santé et un sentier botanique. Tout un symbole.

Aujourd’hui l’A.D.E.S.B.B, devenu Coubron Environnement, poursuit son combat. Car l’usine de Placoplatre lorgne toujours sur le bois de Bernouille, assurant que son exploitation pourrait créer des emplois. Pour moi, cette histoire est aussi un héritage. A l’époque, j’avais 6 ans et je participais sans le savoir, en compagnie de mon père, à la première lutte d’une vie militante que je ne soupçonnais pas. 27 ans plus tard, à une quinzaine de kilomètres de Coubron, je me prépare à une autre action : la lutte contre Europa City. Cette fois, les exploitants de gypse sont remplacés par Auchan et un milliardaire chinois, qui veulent construire un centre commercial de luxe avec piste de ski et aquarium géant. Il ne s’agit plus de détruire un bois mais des terres agricoles parmi les plus fertiles d’Île-de-France. Mais comme pour le bois de Bernouille, rien n’est joué ! Je vous invite à nous rejoindre massivement lors d’une grande journée d’action le 21 mai contre ce grand projet inutile et imposé !

Notes. Les informations citées sont issues du livre distribué aux militants membres de l’association de l’époque. J’ai pris le parti pris de ne pas citer de noms et de moins mettre l’accent sur le volet politique. Si vous souhaitez avoir plus de renseignement vous trouverez ci-dessous le lien du site internet de Coubron Environnement.

Sylvain

L’article original est accessible ici