Suite de l’interview. La première partie se trouve ici

Si je vois des retours en arrière, évidemment en ce qui concerne les libertés, je ne peux pas éviter de mentionner le cas de Milagro Sala, prisonnière politique et maintenant s’y sont ajoutés d’autres militants, d’autres dirigeants sociaux parmi lesquels son mari. Ce qui a commencé à se développer en donnant carte blanche aux licenciements. Aujourd’hui, le chômage figure parmi une des… avec l’insécurité et l’inflation, parmi les principales préoccupations des Argentins. Le chômage n’était pas un problème sous notre gouvernement. L’inflation, qui a agité de façon permanente les médias hégémoniques, je me rappelle des émissions qui duraient 1 heure sur le prix de la tomate, par exemple. Il semblait que le prix de la tomate avait explosé et que tout le monde était sur le point de ne plus pouvoir acheter de tomates… Aujourd’hui, l’inflation et la fluctuation des prix des aliments sont constants et c’est une inflation dont je crois qu’elle doit dépasser les 50%, de ce que donnent les indicateurs. Les indicateurs qui ont toujours été très critiquées sous notre gestion, nous avons été 6, 7 mois sans indicateurs et curieusement, ceux que nous ne pouvions pas mesurer par l’INDEC, avec 700, 800, 1 000 employés et tous les instruments propres à un organisme de cette nature, étaient ceux dont ils parlaient tous les mois sous notre gestion quand il y avait l’inflation. L’actuel directeur de l’INDEC est l’un de ceux qui se sont joints aux gens au Congrès et il disait l’inflation est de tant et il y avait des consultants qui avaient 2 emplois ou aucun. Et ensuite avec l’INDEC à sa disposition et toutes les directions des statistiques des provinces, parce que vous savez qu’il y a des accords entre l’INDEC et chacune des statistiques… des directions des statistiques des gouvernements de province d’où sont fournis les indices du chômage.

Le chômage est mesuré dans les provinces par les directions des statistiques qui ensuite communiquent ces nouveautés à l’INDEC. Alors, bon, je crois que oui, il y a un retour en arrière, je crois qu’il y a souvent eu une mauvaise évaluation du gouvernement entrant concernant ce qu’allait être le résultat de leurs négociations, entre guillemets, avec les vautours. Soit ils arriveront à ordonner au Congrès, presque en faisant la queue et en prenant leurs distances pour qu’ils votent un accord dont je crois qu’il a été très mauvais avec les vautours, qui est allé au-delà en janvier, si je me souviens bien. Et non, les investissements se gèrent par rapport à d’autres questions bien que nous, nous supportions une attaque féroce au niveau mondial, financier, parce qu’aujourd’hui, il y a, je dis, il y a 3 étapes essentielles dans tout ce nouveau processus que vit le monde et en particulier la région. Une étape médiatique, un parti médiatique, un parti judiciaire et d’un autre côté, le secteur financier, non ? Qui se répand comme une tache d’huile sur le monde et marque les limites de ces 2 secteurs.

Et bon, nous avons été attaqués pendant toute notre gestion parce que nous ne voulions pas arriver à payer les 1600% en dollars, ce qui nous semblait déjà dépasser le concept d’usure pour entrer dans la spoliation, non ? Et je crois que bon, le fait qu’il y ait eu division entre les partis qui pouvaient accéder au pouvoir est ce qui a précisément encouragé les vautours à continuer d’exiger parce qu’il y avait des gens qui leur disaient par-dessus la tête du gouvernement que s’ils arrivaient au pouvoir, ils allaient s’arranger avec eux et allaient leur payer quelque chose. Cela, évidemment, leur a donné une force inhabituelle pour que les vautours s’entêtent et disent que non, que c’était ça ou rien. Et je me demande quelle aurait été la solution pour les Argentins si tous les partis politiques qui ont toujours beaucoup parlé d’unité nationale et d’arriver à un grand accord, avaient pu arriver à un grand accord entre tous pour dire « qui que ce soit qui gagne, ce que nous allons payer, ce sera ça. » Je suis absolument convaincue que si ça avait été l’attitude de toutes les forces politiques, qui n’avaient pas nécessairement besoin d’avoir une couleur progressiste ou de gauche, ça suffit avec leur amour du pays et qu’ils conçoivent la dette extérieure comme l’un des principaux problèmes sinon le principal problème que pendant des décennies, notre pays et la région ont traversé. Et aujourd’hui, c’est aussi un problème terrible en Grèce et dans d’autres endroits du monde.

En Espagne, où aujourd’hui, elle est pratiquement à 100% du PIB et dont l’endettement et je lisais dans les rapports de presse qui m’arrivent tous les jours, que pendant cette dernière année 2015, 36 000 familles ont perdu leur maison à cause d’hypothèques en Espagne. Le gouvernement a pu être formé à grand peine. Maintenant, le PP et Ciudadanos mais avec 30 % et quelques, 40% et avec une économie en débâcle. Convenons que c’est un moment complexe pour le pays dans un moment complexe pour le monde. Parce que nous ne pouvons jamais, nous, les Argentins, comme je le dis, nous parlons toujours comme si c’était la planète Argentine, comme si nous étions isolés du monde… et qu’il n’y ait rien à voir que… Bon, je crois que tout cela influe, le Brexit, la sortie de l’Angleterre de l’Union Européenne, la situation mondiale, la désintégration aussi des organes régionaux. Le MERCOSUR est très affaibli, l’UNASUR aussi. Nous voyons que l’Union Européenne s’affaiblit aussi, la sortie de l’Angleterre a été un coup dur pour l’Union Européenne. Les BRICS qui se présentaient comme une alternative, ont encore tout frais le souvenir de la présidente Dilma Rousseff convoquant à Brasilia l’UNASUR et les BRICS, se mettant d’accord pour former ce groupe… le fonds spécial des BRICS qui allait être une sorte de fonds alternatif, bon, après, il y a eu des difficultés. Evidemment, au Brésil, celles que nous connaissons, la Russie aussi a eu des difficultés dans son économie. Par quoi on voit qu’en termes d’économie et de blocs économiques, il semblait que naissait une multi-polarité plus importante dans le monde… La situation de la région au MERCOSUR, la situation des BRICS eux-mêmes, la situation d’affaiblissement de l’Union Européenne, à partir du fait objectif de la séparation de l’Angleterre, nous révèlent comment cette multi-polarité qui semblait augmenter a subi un préjudice et nous avons à nouveau, je ne dis pas un monde unipolaire mais quelque chose qui lui ressemble assez.

Et qui n’est bon pour personne, pas même pour ceux qui semblent être les bénéficiaires apparents de cette renaissance de l’uni-polarité, non ? C’est un moment difficile. Je disais, le gouvernement a fait une évaluation, je crois qu’elle est erronée, que les dollars allaient pleuvoir, je crois qu’en plus, le sujet de… remarquez que le 13 avril, personne ne parlait des tarifs du gaz et de l’électricité et je me souviens avoir dit quand cet acte a eu lieu à Comodoro Py, avoir parlé d’un Front Citoyen dans lequel de nouvelles majorités allaient être construites, pas sur les bases sur lesquelles étaient organisés les partis mais sur la façon dont ils allaient être agressés ou non par la politique économique. Et j’ai parlé de la facture du gaz et de l’électricité et du garçon du supermarché, le 13 avril, quand il n’y avait aucun dirigeant politique en Argentine qui constatait ça. Ils étaient tous très enthousiasmés parce qu’ils avaient approuvé l’accord avec les vautours et que tout allait être résolu. Et cela n’a pas fait de moi une visionnaire, ni quelqu’un de clairvoyant, d’intelligent mais simplement une personne qui avait été assise pendant 8 ans dans le fauteuil de la Casa Rosada. Je savais que ces arguments auxquels personne n’avait prêté suffisamment d’attention, annoncés fin janvier et fin février quand ils sont arrivés, quand ils sont arrivés, allaient avoir un impact phénoménal sur l’inflation, sur la qualité de vie et sur toute l’activité économique. Parce que là, il y avait une idée de la façon dont les subventions étaient pour les gens de couleur, de la façon dont les subventions étaient pour les pauvres, pour les habitants des bidonvilles, pour les noirs, que sais-je, comme ils aiment les appeler… pour les « cabezas1 » comme disaient auparavant de façon méprisante. Et non, les subventions étaient pour toute l’économie, elles étaient pour les petites et moyennes industries et aussi pour les grandes.

Les subventions étaient un salaire indirect pour les travailleurs, pour la classe moyenne qui pouvait consommer et qui pouvait voyager, qui pouvait acheter une voiture ou la changer ou acheter une maison. Et il me semble que cela n’a pas été correctement visualisé et je me souviens que le Ministre de l’Economie a dit que l’augmentation représentait la valeur de 2 pizzas. C’est enregistré. Je n’ai pas l’habitude de faire des évaluations subjectives mais des évaluations de faits objectifs. Et je me souviens que quand un journaliste, un de vos collègues, lui a posé des questions sur l’impact de l’augmentation des tarifs sur l’économie, le Ministre de l’Economie dont on suppose qu’il doit avoir une idée de ce qui va se passer, a dit que c’était le prix de 2 pizzas. C’est comme je le dis, non ? Bon, ça a été un peu plus que 2 pizzas, pas des plus chères avec des poivrons rouges, du jambon et des olives de toutes sortes, qui a été atteint pour payer la facture maintenant. Alors, je crois que là aussi, il y a eu une très mauvaise évaluation. Et je crois qu’il y a eu aussi une mauvaise évaluation pour éliminer les revenus de l’Etat qui pesaient sur les secteurs les plus regroupés de l’économie qui étaient très rentables et il s’est dessiné un déficit qui n’existait pas parce que l’INDEC lui-même a indiqué que le déficit était de 1,9 point et non des 7 points qui étaient indiqués par le Ministre de l’Economie, ce qui, en outre, était incohérent… S’il y avait un déficit, réduire précisément les secteurs comme le secteur minier, les retenues, ou les secteurs de production de base hautement regroupés… et aussi les fameux droits à l’exportation, on pense toujours que la première chose à faire, c’est d’équilibrer le pays au niveau fiscal, si on pense que le problème est fiscal et ensuite récent… Mais dire qu’on a 7 points de déficit, réduire les secteurs qui apportent le plus de revenus : les droits à l’exportation ou les impôts ou si on veut les impôts sur les voitures importées et d’un autre côté augmenter de 100% et plus des tarifs qui ont un impact sur toute l’économie, depuis les secteurs informels jusqu’aux grandes entreprises… c’est comme un cocktail de choses qui ne vont pas ensemble. Parce que l’un est opposé à l’autre. Alors, je crois qu’il y a eu une mauvaise évaluation, je crois qu’il y a eu un mauvais calcul ou une faute de calcul ou non, ou peut-être, ce qu’on voulait, c’était provoquer un choc pour qu’ensuite les travailleurs acceptent n’importe quel salaire par peur de n’avoir plus de salaire.

Soit une sorte d’assouplissement ou de précarisation obligée grâce à la peur de ne plus avoir de salaire ou parce que l’argent n’arrive pas. Est-ce que ça a provoqué un choc ? Bon, ça, ce sont des hypothèses que je n’aime pas aborder mais ce qui est sûr, c’est qu’au-delà des hypothèses ou des intentions, personne ne doute des bonnes intentions de personne, le résultat me semble avoir été le résultat attendu. Pas celui attendu par la société à laquelle ils avaient dit qu’il n’y aurait pas d’augmentation de tarifs, qu’il n’y aurait pas de dévaluation, qu’on n’allait poursuivre personne, qu’il n’y aurait pas de licenciements, que tout allait aller mieux, même que le football serait conservé, le Football pour Tous2. Je ne parle pas de ça, je parle simplement du fait que ça n’a pas été le résultat attendu par l’équipe même qui s’est auto-définie comme la meilleure équipe de ces 50 dernières années, non ?

Journaliste : On a remarqué que pendant ces dernières semaines, à la différence de mai 2010, le bicentenaire de l’indépendance a été très froid contrairement à celui de mai 2010. Curieux, la même saison d’hiver et 2 anniversaires célébrés d’une façon aussi différente. Cela met sur le tapis quelque chose qui m’inquiète et qui a aussi été souvent une motivation de votre gouvernement et aussi pendant les années de Néstor Kirchner, le thème de l’Etat, de la société, de notre histoire. Au Mexique, où j’ai résidé plusieurs années, beaucoup d’entre nous ont vérifié d’une façon préoccupante l’anéantissement systématique de l’histoire nationale d’un pays qui fut si importante pour nous. Et dans lequel Manuel Ugarte a été ambassadeur en 49-50, l’homme de la grande patrie fut peut-être le meilleur de tous. Et pour cela, je le remercie…

CFK: Un grand intellectuel, un grand intellectuel. Je ne sais pas si le meilleur me laisse le défendre, laissez-moi défendre Belgrano qui est à moi, mais un grand intellectuel.

Journaliste : (…) Alors, cet effort qui a été fait pour mettre l’histoire argentine à sa place3, pas dans le local d’un parti, dans un endroit qui mérite d’être l’endroit de la Grande Patrie a été non seulement occulté par les grands médias mais un motif de grande attention dans de nombreux médias non journalistiques mais intellectuels, politiques. C’est à dire… parce que cela était à la fois connecté avec ce qu’Hugo Chávez faisait avec la pensée Bolivarienne au Venezuela et Rafael Correa en Equateur en parlant de la révolution libérale et vous, en invoquant ou en rappelant Belgrano. Votre inquiétude au sujet de l’impact que cela a sur la conscience politique des peuples aujourd’hui, en ce moment si difficile que nous ne savons pas si c’est un lever de soleil ou un coucher de soleil.

CFK: Pour moi, l’histoire a toujours été très importante en tant que signifiant mais pas comme une… à voir comme un récit et un petit conte sur ce qui nous arrive mais comme une compréhension, une signification de ce qui est en train de nous arriver et de ce qui peut nous arriver. Parce que l’histoire n’est pas un conte à propos de qui a existé, de comment on a traversé les Andes, si Mariquita Sánchez de Thompson jouait l’hymne national sur un piano désaccordé ou avec un chignon ou non. L’histoire, c’est pour… pour au moins, pour nous, qui militons et faisons de la politique, l’instrument par lequel on peut changer le destin d’un pays et le destin d’un peuple… L’histoire est la façon que nous avons d’interpréter ce qui s’est passé, de comprendre ce qui s’est passé, de comprendre ce qui nous arrive et de pouvoir prévoir ce qui peut arriver. Mais en plus, c’est aussi une façon de savoir pourquoi nous sont arrivées les choses qui nous arrivent. Et l’une des questions que j’ai toujours trouvées centrales. Et c’est pourquoi la commémoration du 25 mai pour moi, était très importante, pour les Argentins, parce que le 25 mai 1810 était la propriété de l’historiographie libérale en Argentine.

1Métis d’Argentine aux cheveux très noirs et appartenant à la classe ouvrière (https://es.wikipedia.org/wiki/Cabecita_negra#Naturaleza_racista)

2Programme social mis en place par le gouvernement de Cristina Fernandez.

3Allusion au Parc de la Mémoire de Buenos Aires en hommage aux victimes de la dictaure militaire de 1976 à 1983 et inauguré en 2006 (https://fr.wikipedia.org/wiki/Parc_de_la_Mémoire_de_Buenos_Aires)

Interview complète (en espagnol)

Source en espagnol :

http://www.telesurtv.net/opinion/Entrevista-completa-a-Cristina-Fernandez-de-Kirchner-20160722-0075.html

Traduction : Françoise Lopez pour Bolivar Infos

 

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