Le 12 décembre dernier, le Bondy Blog[1] a reçu David Thomson, journaliste au service Afrique de RFI et auteur du livre “les Français jihadistes” paru en 2014.

Pressenza a assisté à cette rencontre avec l’intention de recueillir et rapporter des informations susceptibles d’aider à comprendre ce qui sert l’idéologie jihadiste mais aussi bousculer quelques certitudes.

Le parcours de David Thomson l’a amené très tôt à rencontrer des militants jihadistes, depuis la révolution arabe de 2010 – où il est envoyé en Tunisie par RFI- à la couverture de la guerre en Lybie en 2011. Dans un premier temps, il sort un documentaire vidéo de trente-cinq minutes « Tunisie, la tentation du jihad » puis un livre « Les Français jihadistes »  dans lequel il retranscrit, grâce à de nombreux entretiens, les raisons qui ont poussées des candidats français au jihad.

Il précise qu’il n’est pas fait une analyse mais un travail clinique qui laisse le lecteur se faire sa propre opinion.

Il spécifie également que lire les communiqués et regarder les vidéos émis par la propagande jihadiste, permet de comprendre beaucoup de choses.

Le travail qu’il a effectué est de rendre plus intelligible le jihadisme pour un large public.

La proposition faite aux jeunes jihadistes qui ont accepté de livrer leur histoire est de dire “ce qu’ils ont dans la tête”.

A la question “pourquoi ont-ils accepté de parler à un journaliste ?” que vous allez bien entendu légitimement vous poser, il y a plusieurs réponses.

Pour certains, c’est de raconter, pour que leur entourage comprenne. Pour d’autres, c’est parce qu’ils pensent, avec beaucoup d’ego, que leur parcours a quelque chose d’exemplaire. Le raconter, pensent-ils, peut avoir valeur de prédication.

Il n’en reste pas moins clair pour eux que le journaliste fait partie des sources mécréantes et qu’il n’est pas un messager de leur idéologie.

Les entretiens ont été possibles car ils ont été fait sous couvert d’anonymat.

Les questions posées ont visé à comprendre qui ils sont, quelle est leur formation scolaire, leur milieu social, leurs origines religieuses, ou encore leur histoire familiale.

Qu’est-ce qui pousse les jeunes à partir sur des terres de jihad ?

 Eux-même n’arrivent pas à expliquer leurs raisons et parfois la banalité des parcours frappe. Il est cependant certain que le type de pensée du jihadisme répond à toutes les frustrations.

Quelqu’un qui se laisse convaincre va exprimer avoir ressenti un sentiment d’apaisement, de tranquillité, avec la toute-puissance de celui qui pense être le seul à avoir compris et qu’il détient la vérité.

Il y a aussi un effet “bande de potes”, les jeunes partent là-bas rejoindre un ami d’enfance ou un frère.

S’il faut prendre en compte la question de la pauvreté et du chômage qui sont des facteurs indéniablement favorables à l’engagement dans le jihad, il y a des cas – certes minoritaires – de personnes qui sont issues de classes moyennes et supérieures de notre société.

Il peut y avoir des frustrations d’ordre totalement personnelle comme le délaissement de la part des parents, suivi d’un enfermement sur soi-même et une rencontre presque fortuite avec le jihadisme sur internet.

Cela peut être faire un trait sur la Dounia, la vie terrestre matérialiste qui est méprisée parce que pas obtenue en France, pays où ils vivent.

Parfois la frustration n’est pas du tout perceptible depuis un point de vue extérieur. David Thomson donne l’exemple d’un jeune musulman né en France, inséré dans la vie active, qui a exprimé le sentiment qu’en tant que fils d’immigré, il avait atteint une sorte de “plafond de verre”, une limite dans ses possibilités d’évolution sociale. Il poursuit en expliquant que l’islam lui a rendu la dignité que la France lui a enlevée.

A noter également, qu’au sein des convertis, on retrouve des Antillais, des Franco-Portugais, des Français d’origine coréenne ou vietnamienne et d’anciens militaires français.

Le fait que la France soit aujourd’hui la principale cible de la guerre jihadiste est justifié selon leurs propres propos par la loi du talion en raison de la guerre que la France a faite sur les terres musulmanes.

Ils parlent aussi beaucoup du passé colonial de la France et de ses actes barbares en Algérie notamment.

Les jihadistes ont une démarche totalement politique.

 Il faut aussi comprendre qu’aussi bien en Tunisie qu’en Libye les régimes en place utilisaient le chantage : “c’est nous ou les jihadistes !”. La situation aujourd’hui est le résultat de dix, vingt voire trente années de régime arabe autoritaire.

De plus les jihadistes, en Tunisie par exemple, ont été sur des terrains où l’Etat était absent. Ils ont aidé les populations avec des actions concrètes.

A Tunis, le recrutement s’est fait dans les mosquées et avec des prédications dans la rue.

En France, il s’est développé via internet avec une propagande énorme faite de livres, de vidéos et de discours. Par exemple pour 2015, le bilan revendiqué fait état de 1500 rapports photos, de magazines en 11 langues, de 800 vidéos en multicaméras – avec par exemple des opérations suicides filmées par des drones – , des chants religieux en mandarin… On recense 3200 comptes anglophones sur Twitter qui soutiennent la cause du jihad.

Pourquoi rentrent-ils en France et que se passe-t-il à leur retour ?

 Aujourd’hui on compte 270 retours en France. Les premiers retours ont débuté en janvier 2014, au moment où en Syrie tous les groupes jihadistes ont commencé à se battre entre eux. Cela a provoqué le retour en France de certains qui se sont retrouvés à combattre leur cousin ou leurs frères. La plupart de ceux qui sont rentrés ne sont pas devenus anti-islamistes. Ils peuvent être déçus parce que là-bas les Emirs ont les grosses voitures, les beaux appartements qu’ils convoitaient, retrouvant ainsi une partie des frustrations qui ont motivé leur engagement. Parfois ils rentrent parce que leurs parents leur manquent. Les femmes qui rentrent sont moins inquiétées que les hommes étant considérées comme des victimes car elles ne combattent pas.

Ils ont peur d’être suivi par l’organisation même si ce n’est pas certain qu’ils le soient.

La réinsertion est compliquée, ils passent en justice et font de la prison puis vivent avec un bracelet électronique. Cette question se pose et va se poser de plus en plus.

Où cette radicalisation extrême prend-elle ses racines ? Qu’est-ce qui provoque une telle révolte ? Pourquoi ce nihilisme de la part des jeunes radicalisés?

Tout ne semble pas si simple et pour comprendre et il semble prudent de se garder de certaines idées reçues.

Sans doute qu’une piste de réponse se trouve pour eux (et pour nous tous ?) dans la recherche de sens et dans la réconciliation de leur propre histoire et de la souffrance qu’elle a pu générer.

[1] Le Bondy Blog est un média en ligne qui raconte les quartiers populaires et fait entendre leur voix dans le grand débat national. Pour cela, il publie le travail d’une cinquantaine de jeunes citoyens, en formation de journalisme, en début de carrière professionnelle ou en recherche d’emploi. La plupart résident en Seine-Saint-Denis. Le blog a été ouvert en novembre 2005 par le magazine suisse l’Hebdo, pendant les émeutes de banlieue.