Thomas Plassard anime l’association Tripalium, qui forme des néophytes et des curieux à l’auto-construction d’éolienne Piggott. Une façon pour lui de se réapproprier l’énergie du vent et les énergies en général. Rencontre avec un homme passionné et engagé.

 

Thomas Plassard est un passionné d’éolienne, il en a fabriqué une cinquantaine dans sa vie. Depuis 2005, il forme des débutants, des bricoleurs, des curieux, des retraités, des étudiants, bref, tous ceux qui le souhaitent, à la construction d’éolienne Piggott, cette éolienne robuste, accessible à tous et inventée par un Ecossais il y a quarante ans. Il participe ainsi à une démarche encourageant les gens à se réapproprier les énergies, trop souvent monopolisées par les grandes entreprises.

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Thomas Plassard

Reporterre – Comment avez-vous commencé à vous intéresser à l’éolien ?

Thomas Plassard – Ma passion pour l’éolien est née en Bretagne sur une réflexion autour du nucléaire. En Bretagne, on a réfusé les centrales mais rien n’a été mis en place. Alors que c’est une région où le vent tourne tout le temps, il a même un côté oppressant. Avec les éoliennes, on transforme quelque chose qui nous oppresse en énergie. C’est une façon de faire d’un obstacle un passage. En plus de ça, j’adore tout ce qui tourne. L’éolienne a un côté très ludique, un peu comparable à une bicyclette.

Comment cette passion vous a conduit à Tripalium ?

J’ai travaillé quelques temps en Afrique pour une ONG qui installait des éoliennes manufacturées là-bas. Quand j’ai découvert le principe des éoliennes Piggott, j’ai essayé de développer ça là-bas, mais l’ONG n’y était pas favorable. Alors j’ai participé au premier stage animé en France par Hugh Piggott, et par la suite, avec les anciens stagiaires, on a essayé d’organiser nous-mêmes des stages sur le même principe, en créant Tripalium. Depuis 2007, on organise des stages de cinq jours dans lesquels on construit des éoliennes Piggott.

Quelle est la particularité de l’éolienne Piggott ?

Elle est, avant tout, faite par quelqu’un qui n’est pas un ingénieur. Hugh Piggott est un Ecossais qui vivait sur une presqu’île. Un pur autodidacte, un mec qui n’a ni un bagage technique, ni un matériel très sophistiqué. Quand il a décidé de la construire, il en a fabriqué sept avant de réussir la sienne. Il est parvenu à un compromis très fort sur sa machine : elle est moins performante mais très robuste. Elle a été fabriquée directement, et pas conçue dans un bureau. Depuis sa création, elle a sans cesse été améliorée parce qu’Hugh Piggott l’a conçue dans un esprit coopératif. Quand ses voisins lui ont demandé de leur en construire une, Hugh a préféré leur montrer comment faire plutôt que de la faire à leur place. Il n’a jamais été dans une logique de production.

C’est dans le même esprit que se déroulent les stages Tripalium ?

Tout à fait, les améliorations viennent souvent des gens qui n’y connaissent rien. Un expert doit rendre un travail qui correspond à plein de cadres mais il n’a pas une vision globale qui peut lui permettre d’inventer. L’autorité et la hiérarchie brident ces personnes dans leur créativité. Alors que les néophytes, vont commettre des erreurs, des transversalités, ce qui se révèle, à la fin, être une forme d’amélioration.

Et au-delà de ces aspects collaboratifs, c’est important de construire sa propre éolienne. Quand tu veux être gentil et en offrir une à quelqu’un, ça ne marche pas. Une éolienne, c’est un peu comme le renard du Petit Prince, tu passes du temps pour l’apprivoiser et c’est ce qui fait sa valeur. En stage, on sculpte autant l’outil que le processus de formation du pilote. Une machine bien entretenue peut tourner pendant vingt ans, à condition de vérifier régulièrement si tout va bien, de la réparer… parce qu’elle est mise à l’épreuve du vent continuellement.

En quelque sorte, le pilote d’éolienne (le propriétaire de l’éolienne, selon Tripalium) est lié à sa machine ?

Oui, comme par un processus d’addiction. J’ai une éolienne dans mon jardin, que j’ai fabriquée moi-même. La rotation des pales a quelque chose d’hypnotique et j’ai besoin de la voir tourner au rythme du vent. Lorsqu’elle s’arrête, ça m’obsède et je la répare aussi tôt que possible pour voir ce qui ne va plus, je dois bricoler dessus. Parfois même, lorsqu’elle est exposée au vent pendant une tempête, et que moi je suis au chaud dans mon lit, je l’imagine et me demande« mais qu’est-ce que j’ai été mettre une machine à cette hauteur en plein vent ? ».

Il faut que le pilote soit attaché à sa machine pour que ce rapport fonctionne. Une éolienne demande un tel investissement, aussi bien financier que temporel, qu’il faut cet attachement de l’homme à la machine. A chaque stage, des personnes viennent en espérant en faire leur activité principale, et à chaque fois, ils sont déçus. En plus, la production d’une éolienne n’est pas rentable. Son électricité ne peut être revendue que 10 centimes du kilowatt (contre 40 centimes pour un panneau photovoltaïque).

Comment expliquez-vous le succès de ces stages ?

Les gens veulent s’approprier l’énergie du vent, et se réapproprier les énergies en général. Certaines personnes luttent contre les grosses éoliennes, mais ce n’est pas contre l’objet qu’ils luttent. Les grandes éoliennes standardisées sont comme le symbole de l’arrogance des grandes entreprises. Je ne suis pas contre les grosses éoliennes, elles sont nécessaires car des gens vivent en ville. Mais c’est la récupération industrielle par les anciens acteurs de l’énergie des énergies renouvelables qui révolte.

On nous présente toujours les énergies comme quelque chose dont on devrait avoir peur. Je me souviens, enfant, la première chose que j’ai lu c’est : « défense de toucher au fil, danger de mort ». On nous donne l’image de l’électricité comme quelque chose d’inatteignable. Il y a une forme de tyrannie de l’énergie qui bloque les individus. Et pourtant, le seul moyen de développer les énergies renouvelables, c’est de manière sauvage.

Pourquoi les grandes entreprises ne pourraient-elles pas développer les énergies renouvelables ?

Parce que c’est contre-nature d’imaginer que ce sont les grosses entreprises, celles qui veulent le pouvoir, qui vont nous donner du pouvoir. Il n’y a pas de pertinence de développement des énergies renouvelables par le marché ou par la société. Jusqu’à présent, toutes les énergies fossiles sont nées dans la violence : creuser la terre pour en arracher le pétrole, exploser l’atome pour en tirer de l’énergie, sans compter les violences internationales… Les énergies renouvelables, c’est exactement l’inverse, c’est une logique d’adaptation et une logique de« cueillir ». Il n’y a pas moins de vent quand on utilise une éolienne, et il n’y a pas moins de soleil après avoir installé un panneau solaire sur le toit.

Pensez-vous qu’on parle assez des énergies renouvelables ?

On pourrait même dire qu’on en parle trop d’une certaine manière, parce que plus on en parle, moins on le fait. Le traitement des énergies renouvelables est, d’une certaine manière, comparable à celui de la femme au niveau médiatique. Dans les publicités, dans les médias, la femme est partout. On assiste à une sorte de déification de la femme et pourtant dans les faits, elle est dominée par l’homme. Il y a un fossé entre la théorie et la pratique.

C’est un effet de mode aussi, les énergies renouvelables. D’ailleurs, le terme « énergie renouvelable » en lui-même est problématique, parce que dans « renouvelable », il y a« nouvelle ». Or, elles n’ont rien de nouvelles. Qu’est-ce qui nous a permis de découvrir de nouveaux continents ? C’est le vent. Qu’est-ce qui nous a permis de cultiver nos champs ? C’est le soleil. On préfère dire aux gens de regarder l’avenir plutôt que le passé pour que les gens ne puissent pas se dire : « Mais, mon grand-père était meunier ? Pourquoi je ne développerais pas moi-même une éolienne ? »

– Propos recueillis par Natacha Delmotte


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Source et photos : Natacha Delmotte pour Reporterre

L’article original est accessible ici