Par Virginie de Romanet

Une annulation de dette est-elle possible ?

Elle l’est. L’Allemagne qui aujourd’hui est le pays qui s’oppose le plus à tout effort sur la dette grecque a bénéficié lors de l’accord de Londres de 1953, d’une annulation de 62,5% de sa dette et de conditions tout à fait favorables pour régler le reste.

-les taux d’intérêt étaient réduits : entre 0 et 5%

-le service de sa dette ne devait pas dépasser 5% de ses recettes d’exportation

-l’Allemagne pouvait rembourser dans sa propre monnaie, qui à l’époque ne valait rien ce qui fait qu’avec l’argent ses créanciers ne pouvaient qu’acheter des produits allemands, ce qui stimulait son économie.

-L’Allemagne avait la possibilité de suspendre les remboursements.

Et pourtant, l’Allemagne nazie avait été responsable d’un drame sans précédent !
Elle a d’ailleurs occupé la Grèce et obligé la Grèce à lui prêter 3,5 milliards de dollars de l’époque que l’Allemagne n’a jamais remboursé. Ce qui ferait 54 milliards d’euros d’aujourd’hui en tenant compte de l’inflation. Par ailleurs, à la conférence de Paris de 1946, il avait été prévu une indemnisation de 7 milliards de dollars pour la Grèce que l’Allemagne n’a jamais payée. Ce qui ferait à la valeur d’aujourd’hui 108 milliards d’euros. Ce qui fait que l’Allemagne doit en fait 162 milliards à la Grèce. Et ceci ne compte pas les intérêts. Si on comptait un intérêt de 3%/an l’Allemagne devrait plus de 1000 milliards à la Grèce !
Par ailleurs, l’Allemagne avait également reçu des sommes très importantes, plus de 5 milliards de dollars de dons dans le cadre du Plan Marshall.
Grâce à ces conditions favorables, l’Allemagne a terminé de rembourser le reste de sa dette en 1960. C’est ainsi qu’elle a pu devenir le pays européen le plus puissant.
Cela a été possible grâce au contexte de l’époque avec la guerre froide et la menace soviétique. Le contexte d’aujourd’hui est bien sûr complètement différent. Les Etats européens n’envisagent nullement un soutien semblable à la Grèce. C’est donc à la Grèce de prendre des mesures pour s’imposer.

Comment la Grèce peut-elle alors imposer cela à l’Europe ?

En suspendant les remboursements et en organisant un audit qui montrera toutes les irrégularités dans la constitution de cette énorme dette qui représente 175% de la richesse produite en une année, la Grèce peut changer le rapport de force en sa faveur pour décider de ne rembourser que la partie légitime de sa dette en ayant donné la priorité à la satisfaction fondamentale des besoins de sa population comme le droit international le prévoit.
D’ailleurs, Syriza peut s’appuyer sur l’article 7 d’un règlement européen adopté en mai 2013 qui stipule qu’ »un État membre faisant l’objet d’un programme d’ajustement macroéconomique réalise un audit complet de ses finances publiques afin, notamment, d’évaluer les raisons qui ont entraîné l’accumulation de niveaux d’endettement excessifs ainsi que de déceler toute éventuelle irrégularité ». Il s’agit ainsi de prendre au mot l’Union européenne.
L’audit a un objectif pédagogique. Il s’agit de montrer que l’argent n’a pas servi à la population et de montrer qu’il est possible de désobéir aux créanciers qui profitent de leur position de force. L’audit grec pourra représenter un exemple puissant pour tous les pays endettés en Europe.
En Espagne, par exemple, le pays était complètement dans les critères de Maastricht avec une dette publique représentant moins de 60% du PIB. En 2012, l’Espagne a sauvé ses banques et a présenté la facture à la population. En Belgique aussi les sauvetages bancaires ont coûté fort cher, ils ont fait augmenter la dette de plus de 32 milliards d’euros.
Syriza préconise l’organisation d’une conférence européenne sur la dette. Cette revendication tout à fait légitime devrait s’appuyer sur la mise en place d’un moratoire pour avoir une quelconque chance d’aboutir étant donné que la Troïka et les gouvernements européens vont essayer de bloquer au maximum les mesures prises par Syriza.

Sur quels arguments la Grèce peut-elle s’appuyer ?

Le droit international prévoit que les droits humains doivent prévaloir sur les droits des créanciers. Il existe par exemple ce qui est reconnu en droit international comme l’« état de nécessité ». « On ne peut attendre d’un État qu’il ferme ses écoles et ses universités et ses tribunaux, qu’il abandonne les services publics de telle sorte qu’il livre sa communauté au chaos […] simplement pour ainsi disposer de l’argent pour rembourser ses créanciers étrangers ou nationaux. Il y a des limites à ce qu’on peut raisonnablement attendre d’un État, de la même façon que pour un individu».
Par ailleurs, le FMI, la BCE n’ont pas de mandat pour intervenir dans la politique grecque pour légiférer dans le droit du travail pour supprimer de l’emploi et réduire les salaires comme ils l’ont fait en violation de la légalité du pays. Le FMI viole même l’article 3 de ses propres statuts qui prévoit qu’il a pour mission de « contribuer à l’instauration et au maintien de niveaux élevés d’emploi et de revenu réel et au développement des ressources productives de tous les États membres ».
Le premier mémorandum a été imposé sans que le parlement ne soit consulté.

Comment les mesures prises par Syriza annoncent-elles le début d’un nouveau rapport de forces ?

Les premières mesures prises par Syriza inaugurent une désobéissance salutaire vis-à-vis des diktats et du chantage de la Troïka et des représentants européens.
En opposition à la Troïka, Syriza a bloqué la privatisation prévue du port du Pirée ainsi que de la compagnie nationale d’électricité. Syriza a également rétabli le salaire minimum à 750 euros (contre 580 sous les mémorandums) et annoncé le réengagement de 3500 fonctionnaires licenciés.

Si la Grèce ne paie pas, comment pourra-t-elle trouver l’argent pour mener à bien son programme ?

Avec la mise en place d’un moratoire, la Grèce économisera des sommes importantes qu’elle pourra utiliser pour mener à bien son programme. En 2015, la Grèce devait rembourser un peu moins de 22 milliards d’euros dont elle pourrait utiliser une partie importante pour financer son programme en plus de financer ses dépenses actuelles. Mais ce n’est bien sûr pas tout, la Grèce pourrait décider la mise en place d’un impôt exceptionnel sur la fortune pour les particuliers les plus fortunés et de faire également payer les grosses entreprises. La Grèce pourrait ainsi montrer une nouvelle voie en Europe qui serait un stimulant pour les autres peuples européens et au-delà. Cette mesure devrait s’accompagner d’un contrôle des mouvements de capitaux.

Si Grèce ne paie pas,  pourra-t-elle quand même continuer à obtenir des financements ?

Certainement que dans un premier temps elle n’en aura plus mais l’expérience a montré par exemple dans le cas de l’Equateur qui a fait un audit de sa dette en 2007-2008,  que trois ans plus tard elle avait à nouveau accès aux marchés financiers à un taux similaire à celui des pays voisins qui n’avaient pas remis en cause la dette.
Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie et ancien économiste en chef à la Banque mondiale, le pense aussi « Empiriquement, il y a très peu de preuves accréditant l’idée qu’un défaut de paiement entraîne une longue période d’exclusion d’accès aux marchés financiers (….) Dès lors, en pratique, la menace de voir le robinet du crédit fermé n’est pas réelle ».

Pourquoi la Grèce ne sort-elle pas de l’Euro ? Ne serait-ce pas plus simple pour mener une politique économique autonome ?

Ce n’est pas la voie choisie par Syriza qui veut négocier mais ils y seront peut-être contraints par l’intolérance des représentants européens. Le retour à la monnaie nationale présente au moins deux désavantages à savoir une inflation importée car l’économie grecque est hautement dépendante des importations.  Or comme la monnaie grecque sera plus faible que l’euro, ce sera très préjudiciable pour l’importation et par ailleurs la nouvelle monnaie pourrait faire l’objet de fortes attaques spéculatives.

Qui doit payer alors ?

On entend dire que si la Grèce ne paie pas, chaque citoyen en Belgique va perdre 650 euros est-ce vrai ? Ce n’est bien sûr pas à la population belge, ni française ni aucune autre de payer. Les banques européennes ont énormément prêté à la Grèce sans s’assurer que la Grèce pourrait rembourser parce qu’elles savaient qu’elles seraient sauvées par l’Union européenne et les gouvernements européens si les choses tournaient mal.
Ce qui a été le cas. Maintenant ce sont les États européens et la Troïka qui détiennent 80% de la dette grecque mais c’est aux banques qui sont les responsables de l’augmentation de la dette grecque d’éponger les pertes sur les patrimoines de leurs grands actionnaires et de leurs administrateurs.

Est-ce que ce ne sont pas les Grecs qui ont vécu au-dessus de leurs moyens ?

Comme dans les autres pays, l’immense majorité de la population n’est pas responsable de la crise mais c’est elle qui en fait les frais. Les grandes entreprises et les particuliers fortunés qui ne paient pas les impôts qu’ils devraient payer ont une lourde responsabilité dans la situation. Cela représente chaque année des pertes de milliards d’euros pour le gouvernement qui pour compenser ces recettes fiscales manquantes est obligé de s’endetter.
Ni les armateurs, qui sont à la tête de la principale flotte mondiale, ni l’Église qui est le second propriétaire foncier du pays qui possède en plus du patrimoine religieux, des hôtels, des restaurants, des plages etc ne paie aucun impôt. Et encore bien d’autres qui devraient en payer et qui n’en payaient pas.

La Grèce a maquillé ses comptes pour être dans la zone Euro.

Ça s’est effectivement passé en 2001. La banque Goldman Sachs a proposé à la Grèce d’arranger ses comptes et a fait d’importants bénéfices sur cette opération. La population grecque qui aujourd’hui est celle qui a été écrasée depuis bientôt 5 ans par les mesures d’austérité n’a pas été informée de cela.
Ce n’est pas à la population grecque ni d’aucun autre pays de payer pour les malversations de ses dirigeants. C’est aux responsables de payer les pots cassés.

Mais les JO et d’autres dépenses de la sorte ?

Ce genre de grands événements, ce ne sont pas les peuples qui décident. Il n’y a pas eu un référendum pour savoir s’ ils voudraient des JO ou non en étant informés réellement des coûts et des conséquences. Ce sont les élites et les représentants politiques qui décident ce genre d’événements et ce sont les peuples qui ensuite paient la dette.

Pourtant, ce sont nos représentants politiques qui votent ce genre de décision ?

C’est exact mais nous savons tous que les partis font des promesses pendant les campagnes électorales mais renient leurs promesses une fois qu’ils sont au pouvoir. S’ils présentaient ce qu’ils allaient réellement faire, ils ne seraient pas élus.

Oui, mais c’est nous qui avons voté pour eux.

C’est bien là toute la force du système avec les médias qui appartiennent aux groupes économiques importants, les luttes sociales sont systématiquement présentées comme illégitimes et la population est incitée à se reposer sur les politiques or ceux-ci prennent des engagements qu’ils ne respectent pas et ils ne sont pas sanctionnés – à part éventuellement de perdre les élections.

L’article original est accessible ici