Le choix du peuple grec qui, en accordant la victoire à Syriza a marqué sa volonté de rompre avec les politiques d’austérité imposées en Europe, doit être salué.

La dépression dans laquelle la Grèce s’est enfoncée à partir de 2009 traduit certes les limites de son modèle socio-économique,  mais surtout le fiasco de la gouvernance économique de l’Europe. Après le choc de la crise financière, l’Europe a refusé d’assurer la solidarité nécessaire aux pays attaqués par la spéculation financière. Pire, elle y a ajouté un choc d’austérité. La Grèce a reçu une aide du FMI, de la BCE, du FESF, mais celle-ci était destinée à lui permettre de continuer à rembourser sa dette pour préserver les banques européennes et américaines de la faillite. L’aide a été conditionnée à des « plans d’ajustement économique » dictés par la troïka (BCE, Commission européenne, FMI), autrement dit à une austérité dramatique qui a mené au désastre économique et social. De 2010 à 2014, la baisse du PIB a été de 25%, celle de l’emploi de près de 20%. Le taux de chômage dépasse les 26%. Les salaires ont chuté et la demande intérieure s’est effondrée de plus de 30%. Le taux de pauvreté atteint 36%. Les services publics, les services de santé, les retraites ont été fortement affectés. Quant à la dette souveraine, elle est passée de 103% du PIB en 2007 à 178%  aujourd’hui, malgré la décote de 2012. Le remède administré par la troïka a été pire que le mal.

Le programme économique de Syriza vise à rompre avec ces politiques d’austérité qui ont failli. Face à une situation sociale très dégradée et au développement de la pauvreté, il prévoit une remise à niveau de la protection sociale et des services publics, la création de 300 000 emplois publics ou associatifs, une hausse du salaire minimum, la réduction des impôts des ménages pauvres, la refonte de l’imposition du patrimoine immobilier ainsi qu’un moratoire sur les dettes des ménages surendettés. Il prévoit également de lutter contre l’évasion fiscale, contre la corruption et contre la mauvaise gouvernance. Au-delà de mesures qui devraient permettre de renouer avec la croissance à court terme, la Grèce est confrontée au défi du développement de ses capacités productives. Elle aura à mettre la politique industrielle, les politiques d’éducation, de formation, d’emploi, au service de cet objectif. Il lui faudra dégager des ressources à long terme, à la fois en interne (via une réforme fiscale) et en mobilisant des financements européens (prêts de la Banque européenne d’investissement notamment). C’est un chemin ambitieux et difficile, qui suppose de lutter contre l’inertie des classes dominantes et de mobiliser la société tout entière, mais c’est le seul qui soit porteur d’avenir.

Les économistes atterrés soutiennent la proposition de Syriza d’une conférence européenne de la dette. La mise en place des politiques que le peuple grec a démocratiquement choisies implique que les institutions européennes acceptent de négocier une restructuration de la dette grecque. Cette dette de 320 milliards est aujourd’hui détenue pour 32 milliards par le FMI, pour 223 milliards par la BCE, le FESF, les autres États membres, soit à 80% par des institutions publiques. Elle n’est de toute façon pas remboursable : aucun pays ne peut consacrer pendant 20 ans plus de 6 % de son PIB à rembourser une dette insoutenable. Il est nécessaire d’accorder un moratoire au peuple grec, d’annuler une partie de la dette et de rendre soutenable le reste, en la transformant en dette à très long terme, éventuellement cantonnée au Mécanisme européen de stabilité ou à la BCE, de sorte qu’elle soit protégée de la spéculation.

Mais il faut aller au-delà. L’expérience grecque illustre les dysfonctionnements structurels de la gouvernance économique de l’Europe et les défis auxquels sont confrontés tous les États membres. Comme nous le soutenons dans notre Nouveau manifeste, une transformation de cette gouvernance s’impose pour redonner aux États membres la possibilité de décider de leurs politiques économiques et sociales. C’est une exigence démocratique autant qu’un prérequis pour sortir de la crise économique, sociale et politique, dans laquelle est engluée la zone euro.

Le premier défi est de réguler la finance et de réorienter la politique monétaire en la mettant au service des économies. Cela suppose d’abord que la BCE garantisse les dettes publiques et que les taux d’intérêt pesant sur les États soient maintenus à de très bas niveaux. Cela suppose aussi que la BCE intègre à ses objectifs le plein emploi et le soutien à l’activité par des crédits productifs. Mieux vaut chercher à réduire la dette par une hausse des impôts des plus riches et une contribution du secteur financier plutôt que par des coupes dans les dépenses sociales. L’expérience grecque souligne aussi un deuxième défi, celui de la discipline budgétaire insoutenable imposée par les traités, en particulier par l’objectif de la dette de ne pas dépasser 60% du PIB. Le Pacte de stabilité et de croissance, la règle d’or budgétaire ou le pacte budgétaire européen corsètent les politiques économiques dans une discipline budgétaire mortifère en temps de crise. La dépense publique doit être réhabilitée et orientée vers un modèle socialement, économiquement et écologiquement soutenable. La dette publique n’est pas un problème, à condition que les taux d’intérêt soient maintenus à un niveau inférieur au taux de croissance, que des circuits financiers publics permettent de la définanciariser et de la renationaliser, et qu’elle finance des investissements publics satisfaisant les besoins sociaux, le développement économique et la transition écologique. Ce sont bien là les « réformes structurelles » à mener, plutôt que la réduction des dépenses publiques et sociales ou la précarisation de l’emploi.

Bien sûr, aucun État ne peut décider seul de changer l’Europe. L’élection de François Hollande à la présidence de la république avait représenté un espoir de renégociation des traités européens. Celui-ci a été déçu. La victoire de Syriza porte aujourd’hui l’espoir d’un tel changement.

Les demandes de la Grèce doivent être soutenues. Le risque est grand que la BCE, la Commission et le Conseil refusent une négociation ouverte qui créerait un précédent, qu’ils s’opposent à la demande de restructuration de la dette ou  cherchent à imposer la poursuite de l’austérité acceptée par le gouvernement précédent. Les institutions européennes portent une lourde responsabilité dans la situation actuelle de la Grèce et de la zone Euro. Leur intransigeance ouvrirait une crise grave si elle contraignait la Grèce à annoncer la répudiation unilatérale de sa dette.

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