Par Pierre Gottiniaux

Ce jeudi 15 janvier, la BNS (Banque Nationale de Suisse) a décidé de mettre fin au système qui liait la valeur du franc suisse et de l’euro (1,20 franc suisse pour 1 euro) qu’elle avait mis en place en 2011, dans un contexte de forte tourmente pour l’euro. Aussitôt la nouvelle annoncée, le choc en Suisse a été assez retentissant et la bourse Suisse a fortement plongé. L’activité de nombre d’entreprises repose sur l’exportation, et celle-ci a été rendue en un instant très compliquée par un franc suisse qui s’est envolé de 30 %. La mesure a également pris de court les opérateurs des marchés de change, qui parient d’énormes sommes d’argent sur de faibles variations des taux de changes, en faisant jouer l’effet de levier. Ils ont joué, ils ont perdu, et que leurs multimillionnaires de clients y laissent quelques plumes au passage ne devrait pas nous défriser d’un iota. Par contre, des millions de personnes en Europe, qui ne sont ni traders, ni millionnaires, ont commencé à sentir un vent de panique souffler à leurs oreilles – et à juste titre.

En France, environ 5000 communes sont concernées par des emprunts toxiques souscrits auprès de Dexia au cours des années 2000 |1|. Ces emprunts toxiques sont pour beaucoup indexés sur le franc suisse, ce qui va avoir pour effet d’en augmenter considérablement les taux d’intérêt. Selon Christophe Greffet, vice-président du conseil général de l’Ain et président de l’Association des acteurs publics contre les emprunts toxiques : « on a des taux d’intérêt qui doublent et dans certains cas triplent. Ce sont des sommes considérables pour les collectivités ». Et si l’on compare avec les taux pratiqués au moment où les contrats ont été émis, on constate que de nombreuses communes sont passés d’environ 3 % à 12, 13 voire 17 % |2| !

Beaucoup des collectivités concernées ont intenté des recours en justice pour faire annuler ces contrats de prêts, mais les décisions tardent à arriver et le gouvernement se montre extrêmement frileux dans cette affaire, pour ne pas dire carrément obscène – mais qui s’étonne encore de voir des gouvernements dits « de gauche » venir en aide aux banques plutôt qu’à la population |3|. Quoi qu’il en soit, les communes peuvent et doivent remettre en cause ces dettes, clairement illégitimes, en refusant de payer !

Dans plusieurs pays d’Europe de l’Est, la pilule suisse va aussi avoir beaucoup de mal à passer, comme en Pologne ou en Croatie ou de nombreuses familles sont endettées directement en francs suisses. En Croatie, ce sont plus de 70 000 foyers qui ont contracté des crédits hypothécaires en francs suisses pendant les années 2000, sous les conseils « avisés » des grandes banques étrangères qui dominent le marché. Depuis 2008, ces contrats avaient déjà été revalorisés plusieurs fois, largement en défaveur des emprunteurs qui avaient vu autant les taux d’intérêts que le capital de leur dette exploser |4|. L’annonce récente de la BNS a eu pour effet de faire décrocher la kuna Croate de près de 17 % face au franc suisse, impactant à nouveaux les victimes de ces prêts. L’association Franc (Udruga Franak), qui est en procès contre 8 grandes banques responsables, a appelé à une réunion d’urgence avec le gouvernement.

Les Hongrois qui connaissent une situation d’endettement similaire ne seront pas touchés de la même manière, le gouvernement d’Orban ayant pris en novembre dernier des mesures préventives assurant un taux de change fixe entre le franc suisse et le forint. Pour autant, cette mesure est largement insuffisante et les prêts en devises étrangères qui profitent grassement aux banques sur le dos de la population doivent être a minima totalement modifiés pour ne plus dépendre des évolutions de devises, voire tout simplement annulés : il faut savoir que de nombreux emprunteurs ont déjà remboursé plus que le capital emprunté au départ, sans voir au final leur prêt diminuer tant les intérêts ont explosé depuis 2008. En Autriche, bien que le gouvernement ait interdit en 2008 l’émission de contrats de prêts en devises étrangères – déjà à l’époque en raison de l’envolée du franc suisse – les ménages y détiennent encore pour 29 milliards de dollars (25 mds d’euros) d’emprunts en devise helvétique.