Quand la communication visuelle et le design soutiennent la déshumanisation dans les transports ou comment être incohérent (ou pas) dans son comportement, avec charme et discrétion.

 L’élégance et la couleur de ce siège apparaissent sur certains quais du métro parisien comme une rose sur une friche industrielle.  D’autant qu’il remplace un mobilier urbain classique, connu pour sa solidité métallière et son confort incertain : rouge pompier, de formes carrées et plutôt quelconque dans sa massivité d’acier. Les nouveaux sièges, quant à eux, étalent leurs douces rondeurs d’un vert printemps : leur large demi-sphère tronquée évoque une corolle florale ou un nid, dans laquelle l’usager du métro s’attend à patienter douillettement. Cependant, le voyageur métropolitain constate rapidement leur faible nombre. En effet, la largeur de ce siège design ne permet pas d’en installer un grand nombre sur les quais. Une taille disproportionnée par rapport à la surface utile (à moins d’accueillir un postérieur surdimensionné). Comme si la largeur n’était qu’un prétexte pour éloigner leurs occupants les uns des autres. Déjà, l’espace entre les sièges rouge primaire précédents rendait difficile la conversation entre amis. Mais ils permettaient de s’allonger, contrairement au banc dans la même couleur, alignés à leur côté, et dont l’inclinaison et la hauteur inconfortable interdisaient toute sieste. C’est-à-dire, qu’ils rendaient la nuit impossible aux sans-abris réfugiés dans le métro. Ces vertes corolles florales semblent répondre à la même logique : exclure les sans-domiciles en interdisant de s’y allonger. Pendant ce temps, les américains découvrent qu’héberger les sans-abris coûtent moins cher à une société que de les réprimer (cf : article Pressenza). Il apparait donc que, sous des dehors d’élégance, le mobilier urbain est conçu pour empêcher le contact entre les voyageurs, nuire au dialogue entre les personnes. Comme si en l’autre résidait un ennemi potentiel. Ou pour le moins un gêneur potentiel. Comme si les gêneurs et les pickpockets dominaient en nombre parmi les usagers du métro. Comme si l’usage social de la convivialité, sans naïveté excessive, s’était perdu. Que voilà d’excellents concepts, renforcés par le mobilier urbain, pour déshumaniser la ville. Le parisien, fatigué de sa journée de travail, n’en remarquera peut-être que l’esthétique.

 Dans la même équipe, on trouvera le discounter ferroviaire Ouigo. Il fleurit en cyan et magenta dans quelques gares, direction la méditerranée. Ces bleu et rose primaires pourraient évoquer à certains un design à trois francs six sous, à l’image des enfants utilisant directement les couleurs de leurs tubes de peintures. Côté communication visuelle, à bord du train, les concepts de « partage », « communauté » et « solidarité » sont mis en avant par le texte des affiches. Comme dans le métro, à première vue, les apparences sont sympathiques. Une lecture plus attentive notera qu’il s’agit simplement des rappels habituels concernant l’espace public (nuisance sonore, poubelles). Ces sympathiques concepts semblent, de toute façon, assez éloignés des pratiques de la compagnie. En effet, elle  contrôle systématiquement les titres de transport sur le quai, mais aussi les papiers d’identité, le tout pour des trajets en France. Pas très efficace pour la convivialité, à moins d’aimer papoter en faisant la queue. Ces pratiques de contrôle visent sans doute à interdire une revente massive des billets qui casserait son marché. C’est-à-dire qu’elle souhaite probablement interdire à d’autres ses propres pratiques. Démarches peu cohérentes, mais commercialement compréhensible. Tout cela dénote tout de même d’un étonnant sens de la « communauté » et du « partage ». Elle interdit aussi aux accompagnateurs l’accès au quai : encore une pratique peu cohérente avec « la solidarité » annoncée. A moins qu’elle demande aux voyageurs d’être solidaires pour pallier aux carences induites par leurs propres pratiques d’interdiction des accompagnateurs.

 Tout se passe comme si ces sociétés de transport prenaient note de la déshumanisation croissante tout en continuant de l’alimenter sous des apparences esthétiques ou déclarations de pure forme. Que les français sont poétiques lorsqu’ils nomment communication visuelle et design cette promotion de l’incommunication et de la défiance !

Finalement, les publicitaires ont bien noté le besoin et l’aspiration des voyageurs à des rapports plus humains. Les voyageurs restent responsables de leurs comportements et libres de promouvoir (ou pas) de tels rapports.