Image : El Ciudadano

Par Mauricio Becerra R.

Pendant les dernières décades, la Colombie a été une scène importante de la politique anti-drogue. Ce pays, subissant un conflit interne et a des bases militaires américaines sur son territoire compte des dizaines d’années de lutte contre les drogues interdites. Il est analysé par le sociologue Ricardo Vargas qui attire l’attention sur l’emphase mise pendant le gouvernement de Álvaro Uribe, les intérêts derrière la récupération de territoires sur la guérilla et l’échec de la guerre des drogues.

Même si en Uruguay il ne manque plus que l’approbation du Sénat pour légaliser un marché régulé de cannabis, les politiques des drogues en Amérique Latine continuent d’être traitées avec la répression et la ‘pathologie de la consommation’. La Colombie est un acteur clé dans la région : ce pays fut pionnier dans les années ‘90’ pour permettre le port personnel de substances déclarées illicites, même si cette norme n’est pas très respectée par la police.

Il y a quelque temps, nous avons parlé avec Ricardo Vargas Meza, sociologue et directeur de Action Andine Colombie, qui s’est dédié à analyser les divers aspects du narcotrafic, les fumigations associées au Plan Colombia et les politiques anti-drogues. Chercheur associé au Transnational Institute, il a publié Fumigation et Conflit : Politique Antidrogues et délégitimassions de l’État en Colombie (1999); Drogues, Conflit Armé et Développement Alternatif (2003); Narcotrafic, guerre et politique anti-drogues (2005) ; Développement Alternatif en Colombie et Participation Sociale: Propositions vers un changement se stratégie (2010).

Q. En Colombie, l’exgouvernement d’Alvaro Uribe ainsi que celui du président Juan Manuel Santos aujourd’hui, concentrent la politique des drogues et son évaluation sur la suppression des cultures. Est-ce la variable la plus pertinente ?

Évaluer l’efficacité de la politique des drogues sur l’ampleur ou la réduction des cultures est un piège. Il y a d’autres aspects tels que  l’ampleur du trafic, le blanchiment d’argent, le contrôle du territoire, qui ont aussi leur importance. Je crois que centrer la mesure dans l’augmentation ou la réduction des cultures est une manipulation politique des données où ce qui compte est de montrer des bons résultats qui avalisent et garantissent la continuité de la politique répressive. C’est seulement pour assurer la réussite de la stratégie menée.

Le gouvernement d’Uribe appuya son supposé triomphe sur la suppression des cultures…

Le gouvernement d’Uribe fit une réforme pour destiner des terres où la coca était cultivée vers d’autres types de cultures. Ce fut un échec manifeste. Une grande partie des saisies vient de ces mêmes terrains.

Actuellement, les narcotrafiquants ont acheté beaucoup de terres pour blanchir l’argent. C’est une donnée réelle même s’il n’y a pas de chiffres exacts et si les limites des terres achetées par ces narcotrafiquants n’ont pas pu être établies.

Quels sont les éléments laissés de côté dans l’analyse ?

La politique anti-drogue est en interrelation avec des aspects économiques, politiques, socioculturelles complexes ainsi qu’avec les conflits internes.

Quelles expectatives avez-vous sur les mutations dans le régime de contrôle du cannabis ?

C’est positif mais je vois aussi qu’à la longue le changement de régime par rapport au cannabis pourrait créer un effet de stigmatisation et plus grande radicalisation contre l’héroïne et la cocaïne. Ceci implique qu’on ne change en rien l’idée de guerre contre la culture, le traitement, le trafic et l’utilisation.

Quels aspects du Plan Colombie sont cachés ?

La puissance des organisations du trafic qui a augmenté ces derniers temps ; de même que la capacité d’envoyer des drogues est en augmentation sur les routes vers les Etats-Unis et l’Europe. Le blanchiment d’argent également.

CONFLIT ARME

Dans votre étude, vous mettez beaucoup l’accent sur la relation entre le conflit armé en Colombie et l’économie des drogues.

La particularité des drogues et le conflit armé dans le Caraïbe colombien se produit à 3 niveaux : il y a un lien avec ce qui s’appelle le circuit des drogues qui sont les zones de contrôle pour établir les cultures, des structures de sécurité qui sont prêtées par la guérilla ou les groupes para-militaires. Ils ont eu des bénéfices économiques avec cela. Un autre problème est celui de comment cela affecte les ressources de Colombie, le thème du contrôle politique local, des élections des maires et dans les assemblées. Il y a un poids très important dans ces facteurs. Ainsi la gouvernabilité se voit sérieusement affectée par la capacité de contrôle qu’ils ont, qui à son tour se base sur les investissements qu’ils ont fait et les contrôles des routes par où sort la production.

La stratégie a été d’enlever des territoires aux guérillas.

L’appui des Etats-Unis dans le combat contre la drogue en Colombie a orienté les ressources ‘d’aide sociale et économique’ vers l’articulation avec la Stratégie de Consolidation de Territoires, idée conçue et mise en place par Uribe pour gagner du terrain sur la guérilla. Ceci implique que plutôt que de mettre la priorité sur des zones avec des cultures déclarées illicites, ce qui est fort est de privilégier l’action militaire de l’Etat sur le contrôle des territoires riches en ressources minières ou bien qui servent pour consolider une agro-industrie exportatrice.

NARCOPOLITIQUE

Dans le début des années 90 on disait que 30% du Congrès arrivait avec le Cartel de Cali. A t-on aujourd’hui une estimation ?

Mancuso, l’un des paramilitaires qui témoigna raconte cela. Aujourd’hui, je crois que 30% d’influence est maintenue.

Malgré le plan d’Uribe…

C’est parce que, comme je viens de le dire, le Plan Colombie n’a pas de politique pour le thème du trafic, il s’est centré sur les cultures et sur l’argent que la guérilla ramasse. Donc, il y a un discours très radical sur les cultures mais il y a le silence sur la relation entre les narcotrafiquants et la politique.

Comment s’établit cette relation ?

Dans les campagnes électorales. Tout le monde sait que le PIN a un lien très fort avec les narcotrafiquants.

Uribe s’est préoccupé de produire le discours sur le narcotrafic qui finance la guérilla.

Cela cache d’autres aspects du problème. Ce fut un prétexte pour appliquer l’objectif idéologique du gouvernement d’Uribe, centré sur la lutte contre la guérilla. Dans ce contexte, les narcotrafiquants se renforcèrent en association avec les paramilitaires.

Le Cartel de Medellin fut remplacé par le Cartel de Cali et ainsi de suite. L’application de politiques répressives crée l’effet globe, qui en faisant pression d’un côté, renforce l’autre. De quel côté le globe est-il plein aujourd’hui ?

Il y aura toujours quelqu’un qui se chargera des affaires. Il y a beaucoup de têtes. Je crois qu’il y a une quinzaine de têtes régionales, en plus d’une quantité de trafiquants qui sont invisibles, qui n’ont pas été identifiés. Il y a un effet d’expansion en Colombie et à l’extérieur, à partir de Panama en Amérique centrale, un effet domino.

Les routes du trafic se sont-elles déplacées ?

Plus que se déplacer elles se sont amplifiées, elles ont davantage de possibilités par les routes.

Applique-t-on en Colombie le permis pour le port et consommation personnelle sanctionnée par la Cour Constitutionnelle dans les années 90 ?

Cette norme est restée dans le document. Jamais on ne fit une réglementation, on gâcha la possibilité de la mettre en pratique. C’est resté en l’air.

Et quel rôle ont joué les média dans cette situation ?

Il y a une grande ignorance dans le sujet, il n’y a pas d’appropriation d’information scientifique sur l’affaire, je crois qu’il y a beaucoup de préjugés de la part des médias. Il y a peu de temps que certains s’ouvrent à donner des points de vue alternatifs.