Image: http://bit.ly/JVvZ9g

Cela ressemble à une plaisanterie puisque Watford n’est pas un endroit très glamour. Mais la rencontre se déroule dans un manoir / hôtel coûteux de la campagne, avec tout le luxe auquel ses membres riches et puissants sont habitués.

Ils le font chaque année et chaque année, les théoriciens de la conspiration sortent du bois pour fustiger quelque chose qui semble mystérieux et secret. Il n’y a pas de secret. C’est le gratin économique international (surtout occidental). Les riches banquiers et industriels, des membres de famille royale, des sociétés et des hommes politiques parmi les plus puissants du monde se réunissent pour décider comment tout le monde va vivre sa vie.

Comme la torture, toujours le secret le moins bien gardé (parce que si personne n’était au courant de la torture, elle affecterait seulement ceux qui sont torturés mais si tout le monde le sait, alors elle devient un instrument de contrôle social qui affecte tout le monde par la peur), le Club de Bilderberg annonce publiquement (et plus ils se montrent secrets, plus ils suscitent l’intérêt public) qu’ils vont se rencontrer loin des yeux de la presse et ensuite ils invitent les responsables politiques et tous ceux qu’ils souhaitent manipuler, contraindre et soudoyer afin d’exercer leur pouvoir. Ils ne sont pas discriminatoires. Parmi les invités cette année, on peut trouver à la fois le chancelier de l’Échiquier (ministre britannique de l’économie) et son homologue de l’opposition. Leur influence est constante, mais ne se donne en spectacle qu’une fois par an. Juste au cas où il y aurait quelqu’un qui n’est pas encore au courant.

Nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de craindre ce réseau de magnats assoiffés de pouvoir car eux aussi sont humains et eux aussi éprouvent la peur. Par exemple, ils craignent toute personne capable de penser de façon indépendante, ils craignent Springs, ils craignent Occupy, les Indignés et ceux qu’on a dépouillés, ils ont peur des gens qui ne sont pas trop attachés aux choses matérielles ou qui refusent de se définir exclusivement par l’argent.

Mais la peur n’est pas bonne. Ils craignent peut-être le désir de vengeance de ceux à qui ils savent qu’ils nuisent et leur plus grande peur est un des facteurs, et pas seulement l’avidité pure, qui fait qu’ils se comportent de manière déshumanisée, comme s’ils ne voyaient vraiment personne d’autre ou ne se souciaient de personne.

Bien que le désir de vengeance soit compréhensible de personnes qui ont été piétinées par la règle de « 1% » et soit même justifiée, ce n’est pas la bonne stratégie. Les raisons sont de deux ordres :

1. Un désir de vengeance rend sa propre vie interne plus violente. Nous sommes définis comme « ennemi » et n’avons pas la liberté intérieure de mettre au point une existence qui ait du sens, que ce soit socialement, psychologiquement ou spirituellement. Nous cessons simplement d’exister et devenons « le Vengeur », un étranger qui vit exclusivement pour faire payer quelqu’un pour ce qu’il a fait. Mais plus souvent qu’à son tour, le succès de la quête est vide parce que notre perte est irrémédiable et a englouti tant de temps et d’énergie dont nous avions besoin pour devenir la personne que nous voulions être.

2. La menace de la Vengeance mène à la peur chez « l’autre » qui devient encore moins capable de compassion et plus enclin à consolider leur position de pouvoir pour que leur richesse protégée ne puisse pas leur être enlevée. La vengeance nous enferme dans une lutte éternelle, dans une sorte de cauchemar dialectique matérialiste duquel nous sommes tous prisonniers. Il y a quelques années, j’ai entendu en Amérique latine un petit poème de la gauche révolutionnaire (violente) adressé aux très riches : « quand la révolution se lèvera, vous serez les premiers à être fusillés par des pelotons d’exécution ». J’ai alors pensé que si j’étais riche, je voudrais investir la totalité de ma fortune à faire vachement attention que la révolution ne se lève pas. La peur détournerait égoïstement et exclusivement tout désir de compassion pour améliorer le sort d’autres personnes vers ma propre sécurité. C’est là que le modèle Mandela-Tutu de la Vérité et de la Réconciliation serait un bon point de départ pour réfléchir à la façon de planifier un changement dans la division entre les nantis et les démunis afin d’émerger dans un monde d’égalité des droits et des chances pour tous . Alors que les riches cachent leur argent dans des paradis fiscaux, inutile dans un monde en pleine crise économique et en grande partie inutile à eux-mêmes, utile seulement comme une sorte de couverture de confort psychologique, nous sommes tous coincés dans ce capitalisme néolibéral déshumanisé et moribond. La violence économique est à son sommet.

C’est le bon moment pour inventer des utopies, de nouvelles (certaines en fait très anciennes, comme le partage) formes d’organisation de la production doivent aller main dans la main avec les accords pour récupérer les coffres des Iles au Trésor (bien que nous comprenions que les gouvernements aient l’intention de rafistoler le système plutôt que de le changer) et une image forte de la façon dont une telle richesse investie dans l’avenir de l’humanité tout entière nous aiderait à faire un bond énorme dans la lutte contre les véritables ennemis de toute l’humanité : la maladie, la solitude, l’absurdité, la vieillesse et la mort.

C’est une proposition de perspectives beaucoup plus positives à vivre ensemble dans le nouveau monde, dans cette nation humaine universelle où il n’y a plus une ligne en pointillé entre 1% et 99% mais une prise de conscience que « le progrès pour quelques-uns finit par n’être un progrès pour personne » (Silo).

Si peu des immenses richesses créées (presque toujours en créant aussi la pauvreté) et stockées sont investies dans la résolution des problèmes les plus importants de l’humanité et tant de richesses sont gaspillées dans le domaine de la vacuité et du trivial, sans parler de la véritable fuite des cerveaux qui consacre les meilleurs intelligences de l’humanité à la conception de machines à tuer, à la spéculation sur le marché boursier et au développement des gadgets publicitaires les plus efficaces pour nous faire acheter des choses inutiles, que seule une campagne massive de sensibilisation sur les possibilités énormes de l’humanité pour dépasser les maladies les plus horribles et la pauvreté la plus terrible créera une prise de conscience. Les êtres humains pourraient alors passer l’essentiel de leur vie incroyablement longue à prendre des loisirs, à apprendre des choses merveilleuses, à s’enrichir d’autres expériences et cultures, à découvrir et explorer les traditions spirituelles les plus diverses ainsi que d’autres mondes, si seulement nous pouvions éliminer la cupidité et la peur qui favorisent l’accumulation et la concentration. C’est une erreur par ignorance et manque d’imagination de penser que les riches se rassurent en acquérant « la meilleure santé que l’argent puisse acheter », en fait un niveau très primitif de santé comparé à celui qu’une humanité réellement développée pourrait mettre à la disposition de tous les habitants de la planète. Nous pourrions tout aussi bien changer le nom de Bilderberg en Club du Suicide.

Tant de ceux qui se consacrent à l’accumulation de richesses atteignent le point où ils se sentent soit vraiment en « sécurité » soit vraiment « écœurés » et puis ils commencent à créer des fondations et des organisations caritatives pour aider les autres, les autres qu’ils ont souvent mis eux-mêmes dans une situation de besoin en raison de leurs pratiques commerciales sans scrupules. Mais pendant qu’ils avaient un sentiment d’insécurité, compensant parfaitement la peur par la prospérité, ils étaient aveugles à la souffrance d’autrui. La peur, encore une fois, nous empêche de ressentir de la compassion. La haine, la vengeance, la « justice » punitive et « eux contre nous » ne peut pas créer un nouveau système économique humanisé. Ceux qui ont été dépouillés doivent exprimer leurs revendications de manière créative, non violente et inclusive. Laisser émerger un désir de vengeance cathartique créerait, à nouveau, une autre couche de sous-groupe social cherchant la vengeance, à l’infini. Nous voulons créer un monde nouveau, pour tout le monde, parce que celui-ci ne fonctionne plus. Je n’ai aucun doute, en dépit du secret entourant les pourparlers de Watford, que l’une des questions que tous ces personnages puissants en apparence se poseront est « comment allons-nous sortir de ce pétrin ? »

La réponse est : « en réalisant qu’en fait nous sommes tous dans le même bateau ».