L’équipe de rédaction de Pressenza a rencontré le secrétaire d’Etat tunisien, Ridha Kazdaghli pendant le Global Média Forum organisé par la Deutsche Welle à Bonn, en Allemagne, le 17 juin dernier. Profitant de l’occasion, nous l’avons interrogé sur la situation dans son pays.

Pressenza : Comment est née la révolution tunisienne?

Ridha Kazdaghli : « La révolution tunisienne a pris son élan au départ dans la surprise générale, y compris pour les tunisiens. Il fallait s’organiser pour garder les acquis et objectifs de la révolution. La révolution de 2011 n’est pas une révolution similaire aux autres, mais une révolution qui prend naissance sur les réseaux sociaux. Avec une énorme répercussion sur le processus d’évolution de la société tunisienne. La révolution tunisienne est passée par différentes étapes:

Allant de l’effet de surprise jusqu’à un processus complet de rénovation de notre société. De nouvelles valeurs comme la dignité, la liberté et la justice sociale y ont pris leur place. La force sociale de la révolution a finalement amené les forces politiques à se mettre d’accord sur un processus commun de métamorphose ; ils ont créé une assemblée nationale constituante.

Cette assemblée a pour but de se mettre d’accord sur le texte et la rédaction d’une nouvelle Constitution. Elle aura également la tâche de désigner un nouveau gouvernement. »

Selon Ridha Kazdaghli, la Tunisie a connu à ce jour trois gouvernements de transition, qui ont abouti à la mise en place de cette assemblée constituante.

P : Quelle est la cause de l’augmentation du nombre de manifestations?

R.K. : « Le gouvernement actuel est un gouvernement qui, pour la première fois, en Tunisie est élu de manière libre et légitime. Ce gouvernement a pour fonction de gérer cette phase transitoire jusqu’à l’écriture de la nouvelle constitution et son application. Il vient surtout occuper l’espace vide du pays.

Si nous n’occupons pas ce vide politique, d’autres s’approprieront cet espace, par manque d’information. Et aussi parce qu’il est fondamental de respecter les pactes écrits engageant la Tunisie avec l’extérieur pour poursuivre les engagements commerciaux. »

Selon le secrétaire, ce qui a provoqué l’arrivée des manifestations, est dû en partie, au décalage entre le processus de transformation politique et l’aspect social. L’impatience sociale face aux conflits : comme les conflits géopolitiques d’inégalités régionales, de chômage. Tous atteints par les contraintes budgétaires et la situation critique généralisée des amis européens, et qui ne font qu’accentuer le désespoir social. Le gouvernement souhaite avant tout restreindre pour la Tunisie les dégâts subis dans les autres révolutions des printemps arabes.

P : N’y a-t-il pas une contradiction entre ce que vous proposez et ce que vous faites : l’exemple le plus clair, est lors de la mort de Belaid Chokri… Pourquoi avez vous empêché que la voix du peuple s’exprime librement?

R.K. : « Pour nous, toute forme de violence est condamnable, et malheureusement elle sort de tous les coins de la Tunisie. Pour avancer vers une démocratie, le peuple tunisien est condamné à vivre dans le consensus de l’acceptation de l’autre, qu’il soit de droite ou de gauche. La population a besoin de comprendre et d’arriver à s’entendre pour conclure les objectifs de cette révolution.

Dans le cas de Belaid Chokri, la violence qui a envahi la Tunisie le 6 février 2013, a créé un climat de tensions. Climat étrange pour les tunisiens. On était sur le point de tomber dans une spirale de violences. On en est plus là aujourd’hui!

Hamadi Jebali le premier ministre de l’époque a montré l’exemple et s’est sacrifié avec sa démission. Pour permettre la création d’un gouvernement par la suite plus démocratique. La mort de Belaid Chokri a apporté aussi un Conseil de sages, pour la première fois, le 12 février, il s’est réuni au palais Dar Dhiafa, à Carthage. C’est plutôt cela l’important de toute cette situation de chaos.

Il est vrai que les armes sont présentes dans le pays, mais grâce à dieu …pas d’utilisation directe. L’Etat punit sévèrement toute forme de violence et, par conséquent, l’utilisation d’armes.

Pour les tunisiens toute violence quelque soit le clan est condamnable. Si on prend l’exemple du vaccin on vous injecte un vaccin, parfois la fièvre se manifeste. De même avec les révolutions, on essaie d’obtenir le meilleur et ensuite on peut avoir des effets inattendus. »

« La révolution tunisienne, nous oblige aussi à nous regarder depuis l’intérieur. »

P : Pourquoi avoir choisi comme allié le FMI sachant les conséquences néfastes que celui-ci a dans les pays européens?

R.K : « Je vais vous répondre directement comme membre, ayant suivi personnellement, le dossier depuis le début. Il y a eu un déficit de communication, on aurait dû communiquer plus ou mieux communiquer nos limites. Mais nous ne pouvons pas comparer la relation des pays européens avec celle de la Tunisie et nous n’avons pas de raison de rompre les relations avec le FMI.

Notre transparence, aujourd’hui, est totale tout comme nos communications avec la BCE (banque centrale européenne) et le ministère des affaires étrangères.

Nous sommes fiers de notre souveraineté et nous n’accepterons pas de recevoir des sommations du FMI pour influencer négativement notre pays.

Notre intérêt principal est de développer notre politique extérieure, de nous rapprocher de l’opinion publique internationale et plus particulièrement des pays comme l’Allemagne, la France, l’Espagne, le Portugal et l’Italie.

Car 80% de nos exportations sont destinés aux 4/5 de ces pays européens.

P : Comment définir l’avant et l’après de la Révolution par rapport aux thèmes comme la famille, l’éducation ou les biens communs?

« Avant la Révolution, la corruption atteignait tous les secteurs. Les services administratifs et éducatifs allaient être privatisés. C’était le vieux régime sous la coupe de Ben Ali qui menait le pays d’une main ferme. Un pays où la liberté n’existait plus. Les familles par exemple rentraient chez elles directement à 19 heures et la police contrôlait les rues le soir.

Après le changement, un nouveau paysage de liberté s’est installé. Une liberté qui, à mon goût, est devenue excessive. Excessive dans la volonté de construire des lois qui détruisent l’autorité de l’État ou qui pourrait fragiliser le système de sécurité actuel du pays. Pour nous, il est impensable de faire omission de l’État. Ce serait accepter le retour au chaos.

Par contre, nous avons banni la corruption à l’aide d’un ministère que nous avons nommé « Ministère de la bonne gouvernance » qui collabore étroitement avec l’Académie tuniso-allemande portant le même nom de bonne gouvernance.

Pour le droit des femmes nous avons progressé également. Les femmes avec ou sans voile peuvent se retrouver ensemble, avant ce n’était pas possible.

Nous gardons l’espoir d’une continuité des objectifs de la révolution car le risque d’une contre-révolution pèse encore lourd.

Le terrain est propice pour les anciens régimes qui peuvent encore se repositionner grâce aux lobbies financiers et aux médias qui les soutiennent.

Aujourd’hui “ l’argent sale” provenant de la presse corrompue est en voie d’être banni.

Le futur de la Tunisie se trouve plus lié à l’expansion de la conscience collective et vers le consensus pour appliquer une démocratie, où règne le respect des uns pour les autres. Dans le cas contraire, la Tunisie se retrouverait perdante ».

P : Pour terminer quelques mots pour les tunisiens?

R.K. : « Le futur est dans la pratique de la patience, travailler plus pour intégrer cette Révolution comme une culture et non pas uniquement comme une phase historique que traverse le pays et qui s’estompera deux ans après !«