Image : Agustisol

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Par Richard Le Hir

La crise financière mondiale, qui en est maintenant à sa cinquième année, s’apprête à entrer dans une nouvelle phase critique. Non seulement les mesures d’assouplissement quantitatif ne sont-elles pas parvenues à relancer la croissance, mais plusieurs spécialistes, et non des moindres, croient de plus en plus qu’elles ont contribué à aggraver la situation, et ils craignent que les banques centrales ne se soient engagées à l’aveuglette dans des manoeuvres aussi inédites que dangereuses.

Le résultat ? Au delà des constatations immédiates à la portée de toute personne attentive à l’évolution de la conjoncture quant au niveau du chômage et de l’activité économique, on observe désormais se multiplier toute une série de phénomènes dont le nombre, la diversité, la gravité et la co-occurrence, constituent autant de signes annonciateurs d’une très forte turbulence.

Au cours des dernières semaines, nous avons appris que la récession en Europe s’intensifiait, que des pays dont on croyait l’économie forte, comme la Hollande ou la Finlande, étaient en très mauvaise posture, que les banques européennes en général, mais plus particulièrement les banques italiennes, ne parvenaient pas à débarrasser leurs bilans de tous leurs mauvais prêts et investissements mal avisés dans des titres hautement spéculatifs, et que leurs problèmes pourraient même entraîner un effondrement de la zone euro.

Cette semaine également, la Banque d’Angleterre est allé jusqu’à admettre, en termes aussi prudents que possible, que le marché des actions ne reflétait plus correctement la réalité, et que les investisseurs négligeaient de prendre en compte les tensions sous-jacentes.

Au Japon, aux prises depuis dix ans avec une situation désastreuse que la banque centrale n’est pas parvenue à juguler, le nouveau gouvernement Abe a exigé et obtenu de celle-ci qu’elle ouvre toutes grandes les vannes monétaires avec des taux à 0 % et un programme agressif d’achat d’actifs pour faire baisser le yen et favoriser une relance des exportations qui stagnent depuis plusieurs années face à la concurrence d’autres pays asiatiques comme la Corée.

Mais la dette japonaise attendra bientôt les 245 % de son PIB (oui, vous avez bien lu), et même le gouverneur de la banque centrale du pays juge qu’elle est intenable, un point de vue que partagent entièrement les grands financiers internationaux George Soros et Kyle Bass qui ont exprimé cette semaine leurs plus grandes inquiétudes quant aux risques que cette situation fait courir au système financier international.

La situation mondiale est tellement grave et les conséquences d’un arrêt de ces interventions tellement lourdes qu’un observateur aussi érudit et attentif que Ambrose Evans-Pritchard, directeur des pages économiques et financières internationales duTelegraph de Londres, chroniqueur en ces matières depuis plus de 30 ans, est désormais convaincu que les banques centrales ne remettront jamais en question ces pratiques, la fuite en avant dans la voie « créditiste » leur paraissant infiniment préférable à l’effondrement économique mondial qu’occasionnerait inévitablement tout retour à des pratiques plus saines.

Au Canada et au Québec, l’évocation du créditisme étonnera sûrement la génération des baby-boomers qui se souviennent des théories fumeuses du Major Douglas, reprises au Québec par Réal Caouette, Camille Samson et les Bérets blancs. « Rendre financièrement possible ce qui est socialement désirable », disaient-ils. Et bien nous y sommes, et Caouette doit jubiler dans sa tombe devant une adhésion aussi généralisée à ses thèses.

Mais tous ceux qui ont les pieds fermement ancrés sur terre ne peuvent pas ne pas être à la fois effarés et consternés par une telle dérive, et ne pas ressentir dans le creux du ventre le genre de contraction qui vous pince les ouïes en cas de danger imminent. Et ils ont raison.

Lors du dépôt du budget fédéral il y a une dizaine de jours, le ministre des Finances Flaherty a déposé simultanément un document intitulé « Plan d’action économique 2013 ». Vous en trouverez les morceaux éparpillés à cette adresse.

Bien cachée complètement au bas du Chapitre 3.2 dont le titre « Aider les fabricants et les entreprises à prospérer dans l’économie mondiale » est sans rapport avec le sujet traité, se trouve une section intitulée :

Instaurer un cadre de gestion des risques pour les banques nationales d’importance systémique

Le Plan d’action économique de 2013 instaurera un cadre exhaustif de gestion des risques pour les banques canadiennes d’importance systémique.

Les grandes banques canadiennes sont une source de vigueur pour l’économie du pays. Elles connaissent de plus en plus de succès sur les marchés internationaux et créent des emplois au pays.

Le gouvernement reconnaît aussi qu’il faut gérer les risques associés aux banques d’importance systémique – celles dont les difficultés ou la faillite pourraient perturber le système financier et, partant, nuire à l’économie. Cela exige une supervision prudentielle solide, de même qu’un ensemble robuste d’options permettant la résolution de ces institutions sans faire appel à l’argent des contribuables dans le cas peu probable où l’une d’elles ne serait plus viable. [Mes caractères gras]

Le gouvernement compte mettre en place un cadre exhaustif de gestion des risques pour les banques canadiennes d’importance systémique. Ce cadre s’harmonisera avec les réformes instaurées par d’autres pays et les principales normes internationales, comme les Caractéristiques essentielles de systèmes performants de résolution pour les établissements financiers (Key Attributes of Effective Resolution Regimes for Financial Institutions) du Conseil de stabilité financière, et fonctionnera en parallèle avec le régime canadien des fonds propres réglementaires déjà en place. Le cadre de gestion des risques comprendra les éléments suivants :

• Les banques d’importance systémique seront assujetties aux normes de fonds propres plus élevées que déterminera le surintendant des institutions financières.

• Le gouvernement propose d’établir un régime de recapitalisation interne pour les banques d’importance systémique. Ce régime sera conçu de manière que, dans le cas peu probable où une banque d’importance systémique épuiserait ses fonds propres, elle pourra être recapitalisée et redevenir viable grâce à la conversion très rapide de certains de ses passifs en fonds propres réglementaires. Cette mesure réduira les risques pour les contribuables. Le gouvernement consultera les intervenants sur la meilleure façon d’instaurer un régime de recapitalisation interne au Canada. Le calendrier de mise en œuvre assurera une transition en douceur pour les institutions touchées, les investisseurs et les autres participants au marché. [Mes caractères gras]

• Les banques d’importance systémique demeureront assujetties aux exigences existantes sur la gestion des risques, y compris une surveillance plus étroite et l’obligation de préparer des plans de reprise des activités et de résolution. Ce cadre de gestion des risques limitera l’avantage injuste dont profiteraient les banques canadiennes d’importance systémique du fait que les investisseurs et les autres participants au marché croiraient, à tort, que ces institutions sont trop grandes pour faire faillite.

Dans un langage tout ce qui a de plus aseptisé, le gouvernement fédéral explique le plus banalement du monde que dans le cas où une banque d’importance systémique comme l’une des cinq grandes banques canadiennes (RBC, TD, CIBC, BMO, ou Scotia et dans certaines circonstances possiblement aussi la BN et certaines autres banques régionales importantes), épuiserait ses fonds propres, elle pourrait être recapitalisée et redevenir viable grâce à la conversion très rapide de certains de ses passifs en fonds propres réglementaires, dans le but de réduire les risques pour les contribuables.

Cela veut tout simplement dire que les dépôts de ses déposants (passifs pour elle) pourraient être convertis (quel euphémisme !) en fonds propres de la banque, sans le consentement des intéressés, pour éviter que le gouvernement ne soit lui-même obligé de la recapitaliser. Il s’agit d’une expropriation, d’une confiscation des dépôts, d’un vol au sens du code criminel (aller au delà de l’intérêt spécifique qu’on a dans la chose), en toute légalité. On croit rêver !

Voilà ce que le gouvernement fédéral concocte dans votre dos, bien à l’abri dans les méandres de ses textes « d’information » sur ses plates-formes Internet. Et si vous croyez que cela ressemble à ce qui vient de se produire à Chypre comme le soulignait hier notre ami Alain Maronani ici-même sur Vigile, vous n’avez pas tort.

Mais la meilleure, dans le cas de Chypre, c’est la lettre que faisait parvenir le 11 février dernier le Cabinet du gouverneur de la Banque de Chypre au président de la Banque Laïki suite aux inquiétudes qu’il avait partagées avec le Financial Times de Londres sur les intentions de celles-ci à l’égard de ses déposants.

Comme cette lettre va sûrement passer à l’histoire, je prends la peine de vous la traduire en plus de vous offrir une copie de l’original :

BANQUE CENTRALE DE CHYPRE

EUROSYSTEM

11 février 2013

M. Takis Phedias

Directeur général par intérim

Banque Laïki

Monsieur Phedias,

Pour faire suite à la publication dans le Financial Times le 10 février 2013 d’un article intitulé « Un sauvetage radical envisagé à Chypre », la Banque centrale de Chypre souhaite souligner que toute mesure visant à réduire l’avoir des déposants, les en déposséder, ou à en restreindre l’accès de quelque façon, contrevient aux dispositions de la Constitution de la République de Chypre et de l’Article 1 du Protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, dispositions qui protègent la propriété individuelle, si essentielle au bon fonctionnement d’une économie de marché.

Dès lors, toute suggestion à l’effet contraire est non seulement dépourvue de tout fondement juridique, mais elle ne mérite même pas d’être prise en compte.

Salutations distinguées,

Dr George M. Georgiou

Directeur, Cabinet du Gouverneur

et Communications

Un mois et demi plus tard, les autorités européennes appelées à la rescousse imposaient aux autorités cypriotes (oui, cypriotes sans « h », vérifiez !) la confiscation partielle de l’avoir des déposants, l’échange d’une autre partie de leur dépôts en actions de l’entité recapitalisée, et la transformation du solde de leurs dépôts en prêts à long terme portant intérêt au taux actuel (exceptionnellement bas) sans garantie de remboursement du principal, en violation de leur Constitution et de la Convention européenne des Droits de l’Homme !

Constitution ? Droits de l’Homme ? Rien à cirer !

Et votre gouvernement fédéral, qui a déjà les deux mains dans votre poche, s’apprête à en faire autant. Le « plusse beau pays du monde »… Sweet Canada !

Un p’tit peu de pommade avec ça ?

Richard Le Hir

Titre original :

LES BANQUES VEULENT VOTRE BIEN
Le gouvernement fédéral s’apprête à le leur donner
Elles vont pouvoir piger dans votre compte de banque sans votre permission