La semaine dernière [N.d.T. Deuxième semaine de mars], le peuple kenyan se déplaçait aux urnes en grand nombre pour voter pour la première fois sous la nouvelle constitution, elle-même votée par les kenyans par référendum suite aux élections dévastatrices de 2007 qui avaient fait 1500 morts et 250 000 réfugiés, parmi lesquels nombreux sont ceux qui ne sont pas rentrés chez eux et se sont définitivement installés autre part.

 

L’élection avait été largement contestée, pacifiquement, par deux factions : la Jubilee Alliance et son candidat, Uhuru Kenyatta, issu de la tribu des Kikuyu et fils du premier président du Kenya élu en 1964, Jomo Kenyatta ; et l’Alliance Cord et son candidat, Raila Odinga, de la tribu des Luos et fils du premier vice-président, Jarimogi Oginga Odinga.

 

D’autres partis plus petits ont participé, comme celui de Musalia Mudavadi de la tribu des Luhya, dont la campagne, selon les partisans du Cord, a été financée par la Jubilee Alliance dans le but de saper le résultat du Cord.

 

Au Kenya, le domaine politique est largement tribal et très corrompu. Dans le dernier rapport publié par Transparency International, le Kenya était classé parmi les pays les plus corrompus, avec une note de 139 sur 174. Les kenyans s’intéressent rarement aux politiques économiques des candidats et votent davantage en fonction de considérations tribales. En période d’élection, les candidats eux-mêmes jettent l’argent par les fenêtres, particulièrement au moment des primaires, lorsque les partis choisissent leur candidat, et une population malheureusement peu instruite vote généralement selon le principe : « Montrez-moi l’argent ».

 

Lors de l’élection présidentielle, les résultats annoncés le 8 mars par la Commission indépendante de délimitation des circonscriptions électorales (IEBC) déclaraient Uhuru vainqueur avec 50,07 % des voix et Raila arrivait second avec 43,31 % des voix.

 

Raila et ses collègues du Cord ont immédiatement crié au scandale, soulevant un certain nombre de problèmes :

– dans certains bureaux de vote, le nombre total de voix était supérieur au nombre d’électeurs enregistrés ;

– le système électrique choisi et mis en place pour l’élection est brusquement tombé en panne en plein milieu du processus de comptage des résultats, réalisé à la main, et certains bulletins ont été ouverts et falsifiés ;

– un premier dépouillement des bulletins de vote annulés les réduisait d’un facteur 8 en raison d’une présumée panne logicielle ;

– chaque électeur devait déposer six bulletins : pour le Président, le Sénateur, les membres du Parlement, le Représentant des femmes, le Gouverneur et le Représentant des comtés. L’ensemble des voix pour le Président aurait dépassé le total des voix pour les autres postes (les totaux réels doivent être publiés par l’IEBC) ;

– le processus électoral a été réalisé grâce à trois formulaires différents : le premier devait être rempli au bureau de vote, un autre servait à comptabiliser tous les votes présidentiels du bureau, un troisième pour tous les autres postes. En théorie, les chiffres devraient concilier mais l’IEBC a refusé aux agents du Cord l’accès aux formulaires.

Ces points ont mené l’Alliance Cord à saisir la justice et, l’affaire ayant été rapidement portée devant les tribunaux, le serment du Président a été repoussé pour que la cause soit entendue.

 

Le camp de Raila tente de prouver que l’élection n’était pas fiable pour qu’une nouvelle élection ait lieu. Selon les règles de l’élection sous la nouvelle constitution, si les deux concurrents récoltent moins de 50 % des voix, une nouvelle élection aura lieu courant avril.

 

L’affaire est désormais entre les mains de la justice, elle-même particulièrement corrompue, l’issue n’est donc pas prononcée.

 

Les kenyans retiennent désormais leur souffle en attendant la décision de justice. Même si la violence a été moindre jusqu’à présent, le Kenya n’est pas au bout de ses peines et la transition pacifique vers un nouveau gouvernement est loin d’être assurée. La cour a 14 jours pour prendre sa décision.

 

Au Kenya, d’aucuns ont une soif démesurée de pouvoir. Uhuru lui-même a été inculpé par la Cour pénale internationale de La Haye, pour des accusations concernant les élections précédentes et son rôle dans l’incitation à la violence. Il semblerait qu’il voit la victoire électorale comme la seule manière d’échapper à la justice internationale.

 

Raila, de son côté, est le témoin de décennies de marginalisation et du sous-développement de sa tribu ; il a lui-même passé du temps en prison, été torturé sous le régime de Daniel Arap Moi et il veut à tout prix accomplir la destinée que son peuple et lui voient pour lui-même.

 

Quant aux Kikuyus, ils sont terrifiés à l’idée que la transition du pouvoir à une autre tribu les conduise à leur propre marginalisation et les empêche d’accéder aux contrats lucratifs qui ont rendu riches un grand nombre d’entre eux.

 

Boniface Ogutu, porte-parole national de Monde sans Guerres et sans Violence, a expliqué :

« Le Kenya est sur le fil du rasoir. Nous pouvons tout autant connaître la paix que plonger dans une guerre civile. Nous avons travaillé d’arrache-pied avec la majorité des kenyans pour promouvoir la paix et les citoyens écoutent notre message. Dans notre projet intitulé « No More Stone Throwing », nous avons apaisé la tension électorale à Kisumu et Nairobi. Quoi qu’il en soit, si les politiciens le veulent, ils peuvent donner quelques shillings aux malfrats et provoquer un nouveau bain de sang, qui rivaliserait avec celui de 2008. La situation est très critique. »

 

Traduction de l’anglais : Jordana Do Rosário