Personne ne peut nier le travail fantastique de Daniel Day Lewis (Oscar du meilleur acteur) dans « Lincoln ». Sa date de sortie était si proche de celle de « Django Unchained » que les deux films viennent attester que « tout peut servir » dans la lutte contre l’esclavage. Argo est plus proche dans le temps, c’est aussi un film sur la bravoure. On s’assied et on se détend, ces films tant vantés, si bien faits … Nous laissons leur message pénétrer notre conscience sans esprit critique puisque c’est sur l’héroïsme, la justice, les fins heureuses… A moins que ?

Quel est le message ?

Dans « Lincoln », nous voyons l’homme qui a mis fin à l’esclavage aux États-Unis et le premier président assassiné (premier d’une série singulièrement longue pour un pays civilisé). Afin de parvenir à ses fins, selon le film, il justifie le recours à la corruption, l’extorsion, le chantage et les menaces pour faire plier certains membres du Congrès et faire adopter son amendement. Sans parler de la guerre civile et de ses 620.000 morts (l’estimation la plus conservatrice). Lincoln représente ce que les États-Unis ont comme personnalité la plus proche d’un saint politique, d’une figure idéalisée présentée comme un exemple à suivre par tous. La question est de savoir si nous regardons un film biographique sur une époque où la déshumanisation d’un groupe ethnique a exigé des mesures extrêmes ou une allégorie du présent, illustrant que « la fin justifie les moyens » dans la politique étrangère américaine, des moyens comme la torture, les drones et les guerres contre des groupes ethniques et / ou religieux tout aussi déshumanisés qui sont assez malchanceux pour être assis sur les réserves de pétrole.

Thaddeus Stevens, interprété par Tommy Lee Jones (Oscar du meilleur second rôle) a « consacré l’essentiel de son énorme énergie à la destruction de ce qu’il considérait comme le Pouvoir basé sur l’esclavage : le complot des propriétaires d’esclaves pour prendre le contrôle du gouvernement fédéral et bloquer les progrès de la liberté. Il a défendu et soutenu les Amérindiens, les Adventistes du septième jour, les Mormons, les Juifs, les Chinois et les femmes. Toutefois, la défense des esclaves errants ou fugitifs a progressivement occupé la plus grande partie de son temps, jusqu’à ce que l’abolition de l’esclavage devienne son principal objectif politique et personnel. Stevens a pris la tête de la faction républicaine radicale dans sa lutte contre les banquiers concernant l’émission de monnaie pendant la guerre civile. Stevens a averti qu’un système monétaire basé sur la dette et contrôlé par les banques à but lucratif conduirait finalement à la faillite du peuple. Il a dit :  » c’est le gouvernement qui devrait avoir le bénéfice de la création d’un moyen d’échange et non les banques ». Mais après l’assassinat de Lincoln, les Républicains radicaux ont perdu cette bataille, et un monopole bancaire national a émergé dans les années qui ont suivi. » (Wikipedia)

Il n’est pas fait mention de cette information aussi prophétique qu’intéressante dans le film qui fait plutôt état de la conversion apparente de Stevens au pragmatisme quand il accepte de diluer quelque peu son  ardente défense des Noirs méritant les mêmes droits que les Blancs dans le seul but de faire passer l’amendement de Lincoln. Le pragmatisme se préparait déjà aux États-Unis et  seulement 5 ans plus tard, il a été officiellement présenté par Dewey, Pierce et James, devenant plus tard le mode de pensée préféré et la justification de l’agenda économique néolibéral. Encore une fois, on peut se demander si le poids donné dans le film à Stevens est un souci historique ou de la pénétration idéologique.

Par ailleurs, aucune mention n’est faite non plus des efforts abolitionnistes non-violents de Henry David Thoreau, William Lloyd Garrison, de l’ancien esclave Frederick Douglass et de beaucoup d’autres tentatives de mettre fin à l’esclavage sans effusion de sang ni politique tordue. Il est très difficile d’évaluer s’il y avait à cette époque d’autres alternatives, de nombreux pays ont réussi à mettre fin à l’esclavage par des moyens plus politiques.

Le héros solitaire qui s’attaque au système et gagne. Maintenant en noir.

« Unchained Django » est une sorte de suite au Western Spaghetti de 1966 mettant en vedette Franco Nero (qui apparaît aussi dans ce nouveau film de Tarantino) sur les horreurs auxquelles ont été soumis les esclaves et la lutte de deux personnes, l’une noire et l’autre blanche (Oscar du meilleur second rôle) pour gagner leur vie (comme les chasseurs de primes sans aucun cœur qui, invariablement, tuent leurs victimes mises à prix) et pour redresser quelques tors racistes à l’occasion.  C’est Tarantino, donc pas de surprise : violence gratuite, caricaturale, absolument déshumanisée. C’est le compagnon idéal pour sortir en même temps que « Lincoln » et ainsi justifier les mesures extrêmes susmentionnées pour mettre fin à l’esclavage. C’est un film étrange à propos de l’égalité. Il essaie de prouver que toute personne noire peut faire la même chose qu’une personne de race blanche, mais il choisit le plus haut degré de la violence comme exemple. Lamentable.

Encore de la propagande de la politique étrangère américaine se faisant passer pour un fait historique.

L’Oscar du meilleur film est allé à « Argo » de Ben Affleck, la « véritable » histoire de six employés de l’ambassade américaine en Iran qui ont réussi à quitter le bâtiment pris par la révolution iranienne en 1979 et à s’échapper d’Iran en se faisant passer pour des membres d’une équipe de production cinématographique canadienne.

Le film commence par un commentaire sur la façon dont Mohammad Mosaddegh, qui avait été le premier ministre d’Iran démocratiquement élu  de 1951 à 1953 a été renversé par un coup d’Etat orchestré par les Britanniques et les Américains. Son administration avait mis en place un large éventail de réformes progressistes sociales et politiques, mais avait également nationalisé l’industrie pétrolière iranienne, sous contrôle britannique depuis 1913. Le coup d’État établit le Shah Mohammad Reza Pahlavi, mais son gouvernement est peu à peu entaché par l’oppression, la persécution et la torture, menant à la révolution islamique de 1979 et le retour d’exil de l’ayatollah Khomeiny. Pas mal pour un contexte qui tente d’expliquer l’attitude « déraisonnable » de l’Iran à l’égard de l’Occident. Mais ça s’arrête là. Le reste est un film de suspense construit sur des situations de danger largement fictives qui présentent les Iraniens comme des fous inutilement fanatiques. Absolument aucune mention n’est faite de la façon dont les 52 personnes retenues en otage dans l’ambassade ont été relâchées 444 jours plus tard après beaucoup de magouilles (et une rançon payée en or), quelques tentatives ratées de sauvetage et une petite guerre (entre un demi et un million de victimes) qui a commencé par l’invasion  de l’Iran par l’Irak avec les Etats-Unis soutenant les troupes de Saddam Husain.

En lisant entre les lignes ou entre les cadres.

« Comment lire Donald Duck en Espagnol » (Para leer al Pato Donald en espagnol) est une analyse politique d’Ariel Dorfman et Armand Mattelart, publiée au Chili en 1972. Elle analyse les dessins animés Disney publiés pour le marché latino-américain. Elle est l’une des premières études sociales du divertissement et de l’industrie des loisirs sous un angle politico-idéologique, et le livre traite en détail du rôle politique de la littérature enfantine. Les industries du cinéma et de la télévision ont progressé depuis lors dans leur capacité à influencer la subjectivité de la population mondiale. La sortie de films Hollywoodiens est un phénomène mondial et la cérémonie des Oscars une garantie de leur distribution sur toute la planète. Le couvert artistique est utilisé sans honte et sans limites pour donner un point de vue particulièrement avantageux pour l’installation d’un pouvoir, et c’est ce qu’on appelle la propagande. Nous devons nous entraîner nous-mêmes et nos enfants à la bonne façon de voir des films, et à regarder la télévision de façon adéquate plutôt que de laisser le message entrer sans critique par le coin de l’œil.