Par Jean-Marie Collin, “Blog Défense et Géopolitique, Alternatives-Internationales

Voilà un livre qui mérite d’être lu. Son auteur, Ward Wilson, vient tout simplement déconstruire les mythes qui « protègent les arsenaux nucléaires ». Son livre, est un succès, car depuis sa publication en janvier dernier, il ne cesse de parcourir le monde et les grandes instances internationales pour exposer ses réflexions. D’ailleurs, ce 20 février, il est invité par le bureau des affaires du désarmement des Nations Unies à exposer ses thèses. Si vous êtes à New York, n’hésitez pas !

C’est un fait, malgré la diminution des arsenaux nucléaires depuis une trentaine d’années, les puissances nucléaires résistent aux appels d’un désarmement nucléaire général et complet. Ce type d’armes « manifestement dangereuses, mais apparemment nécessaires », pose, pour autant de sérieux problèmes de sécurité, pour la communauté internationale. À travers cette analyse concise des idées reçues, des 5 mythes, sur les armes nucléaires, W. Wilson montre que depuis les bombardements des villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki, tout a été fait pour affirmer des valeurs et des atouts politico-militaires à ces armements.

Le premier mythe (« Nuclear weapons shock and awe opponents ») est d’affirmer que les armes nucléaires ont permis de mettre fin à la seconde guerre mondiale. Bien évidemment à travers cette pensée, il n’y a nulle place pour la moralité de tuer sciemment des populations civiles ! De nombreuses recherches montrent clairement que le Japon a capitulé, non pas à cause de la bombe atomique, mais parce que les soviétiques ont renoncé à leur neutralité, en entrant en guerre et en envahissant la Mandchourie. Attribuer cette victoire à cette seule arme « miraculeuse », était un mensonge commode pour les deux puissances nucléaires en devenir ; mais attribuer cette défaite, à cause de cette arme miraculeuse, fut également un moyen pour le Japon d’écarter tout sentiment de honte.

Le second mythe (« H-bomb quantum leap ») est celui du pouvoir destructeur de l’arme, qui est un pouvoir décisif. Mais la destruction massive, ne permet pas de gagner des guerres, mais uniquement de tuer des soldats et des populations civiles. W. Wilson prend comme exemple, le siège de la ville de Stalingrad par les Nazis qui n’a en rien, découragé les forces soviétiques de faire front. Construire des armes de plus en plus destructrices ne fait qu’augmenter l’horreur de la guerre, et ne donne absolument pas la certitude d’y mettre fin.

Le  troisième mythe (« Nuclear deterrence works in a crisis »), repose sur la fiabilité de la force de dissuasion nucléaire. L’exemple généralement usité est celui de la crise de Cuba où les dirigeants soviétiques et américains n’ont cessé de rester sur leur position, au risque de faire éclater une guerre nucléaire. Cette possibilité de guerre nucléaire a été mentionnée par les responsables de ces deux pays, plusieurs dizaines de fois, au cours même de cette crise. Les partisans de la dissuasion pourraient soutenir le fait que finalement, cela n’a pas débouché sur un conflit nucléaire, accréditant ainsi la théorie de la dissuasion nucléaire. Mais penser ainsi, ne signifie rien d‘autre que de prendre le problème à l’envers et de se voiler la face, devant le danger réel que provoquerait l’utilisation de ce type d’arme. De même, originellement, il était affirmé que la possession d‘arsenaux nucléaires permettrait d’éviter toute attaque contre les pays possesseurs ou contre les pays qui bénéficient de ce que l’on nomme le « parapluie nucléaire ». Pourtant, la possession de cette force ne garantit rien. Les guerres de Kippour et des Malouines ont bien montré qu’un Etat non-doté pouvait attaquer une puissance nucléaire. Enfin, cela remet en cause cette notion de protection créée par ce « parapluie ». En effet, si une force nucléaire ne peut défendre son propre territoire, même éloigné (îles), comment pourrait-elle défendre d’autre pays ?

Le quatrième mythe (« Nuclear weapons keep us safe ») consiste à dire que la bombe, assure la paix. D’ailleurs pour preuve, il n’y a pas eu de guerre nucléaire depuis 1945. Mais en quoi cette preuve par l’absence vérifie t-elle cette théorie ? Comment peut-on affirmer que seule cette présence d’arme nucléaire a fait naître une paix et éviter une guerre entre américains et soviétiques ? Se reposer simplement sur cette absence de preuve, c’est-à-dire une hypothèse,  pour garantir la paix, semble bien difficile à entériner, alors que dans le même temps, nous risquons la vie de millions d’êtres humains.

Le dernier et cinquième mythe (« There is no alternative ») est celui de l’irréversibilité. Les réalistes disent aux idéalistes (ceux qui veulent désarmer) que non, d’un « ton condescendant, vous ne pouvez pas remettre le génie nucléaire dans sa bouteille ». Il est vrai qu’il est difficile de désinventer une technologie, ici la bombe. Pour autant, celle-ci peut disparaître soit parce qu’une technologie plus moderne a été trouvée, soit parce que celle-ci n’a pas d’utilité. Concernant les armes nucléaires, la question est donc, non pas de savoir si elles peuvent être désinventées mais plutôt de savoir qu’elle est leur utilité ? Force est de constater que personne n’a trouvé à les utiliser depuis 1945 ; au contraire les armées recherchent aujourd’hui des armes très précises, miniatures et non pas des armes de destruction de masse.

À travers cet ouvrage Ward Wilson envoie donc un signe fort, celui de repenser complètement et concrètement les armes nucléaires, dans le but de parvenir à un désarmement nucléaire mondial.

Wilson Ward, Five Myths about Nuclear Weapons, Boston, Houghton Mifflin Harcourt, 2013 (205 pp.)

Source : http://alternatives-economiques.fr/blogs/collin/2013/02/20/five-myths-about-nuclear-weapons/#more-308