Par Hélène Michaud

“Justice’’. C’est ce que réclament Eric Dooh et trois autres paysans nigérians de la part du tribunal de La Haye, ce mercredi 30 janvier. Ces fermiers poursuivent en justice la Royal Dutch Shell, l’une des plus grandes multinationales au monde, pour pollution de leurs terres et leurs eaux poissonnières suite à des déversements de pétrole. Radio Nederland couvre ce procès qui est en mesure de créer des précédents.

Mise à jour, 29/01/2013 : le verdict de cette affaire sera rendu le 30 janvier. Nous republions donc cet article en une, initialement publié en octobre 2012. Si vous voulez suivre l’annonce du verdict en direct, suivez-nous sur Twitter : @RNWAfrique.

Faire 9.000 kilomètres pour réclamer justice peut sembler exceptionnel. Mais, comme le dit Eric Dooh : « Les gens de Shell ont parcouru la même distance pour aller chercher du pétrole dans le Delta du Niger il y a 50 ans. » Ici, aux Pays-Bas, il pense que la vraie justice peut être rendue. « Au Nigéria, notre système judiciaire est corrompu », affirme-t-il, entouré par les médias avant le début du procès.

Devant une salle d’audience pleine à craquer, Channa Samkalden, l’avocate de Dooh, avance l’argument que Shell aurait pu prévenir les fuites de pétrole de ses oléoducs et donc la dégradation de l’environnement. Elle affirme que le siège de la compagnie, installé à La Haye, n’a pas fait remplacer les oléoducs qu’il savait déficients.Selon Shell, le sabotage serait à l’origine de 75% de tous les déversements de pétrole au Nigéria, mais les rapports établissant les sabotages ne sont pas fiables dans un pays corrompu, poursuit l’avocate. Et de toutes façons, la compagnie a la responsabilité de prévenir le sabotage afin d’éviter la pollution. Channa Samkalden insiste à plusieurs reprises sur ce qu’elle appelle la « grande contradiction » entre ce que Shell veut montrer sur papier et la réalité sur le terrain dans le Delta du Niger.

Conclusion : Shell a failli dans son devoir de protection, appelé « duty of care » dans le langage juridique du droit civil.

Lors d’une pause pendant le procès, Dooh semble visiblement impressionné par son avocat, après avoir entendu comment Channa Samkalden a réussi à citer tant de sources dont il n’avait jamais entendu. « Son argument le plus fort, dit-il à RNW, est que Shell n’est pas en mesure de prouver que la pollution de mon village était causée par des sabotages.’’

Plaidoirie finale de Shell
Dans sa plaidoirie finale, l’avocat de Shell, Jan de Bie Leuveling Tjeenk, commence par souligner l’immensité des problèmes du Delta du Niger, qui rend leur résolution impossible par des procès comme celui-ci. Ce procès est initié par les 4 Nigérians présents et la branche néerlandaise de l’ONG internationale Les Amis de la Terre.

Un par un, Tjeenk expose et réfute les arguments des plaignants. Tjeenk recherche des faits. Les plaignants doivent énumérer exactement quelles mesures aurait du prendre Shell pour éviter les actes de sabotage, argumente-t-il. Les Amis de la Terre devraient prouver qui sont les propriétaires légitimes des terres contaminées et des eaux poissonnières, et devraient aussi démontrer que les plaignants sont les représentants légitimes de leurs communautés.

Conclusion : Les Amis de la Terre, affirme-t-il, n’ont pas étayé de manière suffisante les raisons pour laquelle SPDC, la filiale de Shell au Nigéria, et la compagnie Royal Dutch Shell pourraient être tenues responsables de la pollution dans le Delta du Niger causée par les fuites de pétrole. Une preuve de responsabilité est exigée dans des affaires civiles comme celle-ci.

Et que pense-t-il de la plaidoirie finale de Shell ? « Ils auraient dû parler de la manière avec laquelle ils ont l’intention de développer la région, et pas de sabotage, de sabotage, et encore de sabotage », termine-t-il.
RNW demande à Dooh pourquoi, à un moment donné du procès, il semble avoir ricané. « Oh. C’était quand l’avocat de Shell a dit qu’il n’y avait pas de preuve que notre propriété avait était détruite. »  Ensuite, le Nigérian sort sa mallette remplie de documents, et en montre certains qu’il estime utiles pour son avocat.Devoir de protection
Liesbeth Enneking, chercheuse juridique néerlandaise, qui a suivi l’affaire, affirme que le tribunal, en tenant compte de la législation nigériane, devra peser les intérêts en jeu. Les risques découlant des activités de l’exploitation de pétrole de Shell sont à mettre en parallèle avec les besoins des paysans d’être protégés contre les déversements de pétrole.

« Finalement, il sera question de la réglementation non écrite concernant le devoir de protection », estime Liesbeth Enneking. « Le tribunal va demander : considérant la règlementation non écrite, Shell a-t-elle agi avec suffisamment de souci de protection dans cette affaire ? Si le tribunal conclut que Shell aurait pu faire davantage pour éviter les déversements de pétrole, il jugera que Shell est responsable et devrait payer des dommages et intérêts aux plaignants.

Si la multinationale n’est pas jugée responsable, cela ne signifie pas pour autant que des cas similaires ne seront pas présentés dans le futur. C’est un peu comme si le génie était sorti de la lampe. Les gens ont vu que c’est une manière de trouver réparations pour les préjudices causés par les multinationales dans les pays-hôtes où cela est souvent difficile. »

Dooh ne doute pas que justice sera faite. Ainsi dit-il : « Le juge ne prend pas parti. »

L’annonce du verdict est attendue le 30 janvier 2013.