Le 7 décembre 2012 doit marquer la pleine entrée en vigueur de la loi de Services de communication audiovisuelle (SCA), autrement appelée Ley de Medios (http://fr.rsf.org/argentine-la-petite-revolution-mediatique-de-14-10-2009,34708.html). Reporters sans frontières réaffirme son soutien aux principes généraux de la loi et approuve son application. L’organisation regrette néanmoins que celle-ci intervienne au prix d’un climat préjudiciable aux journalistes eux-mêmes (http://fr.rsf.org/argentine-augmentation-preoccupante-des-30-11-2012,43736.html), entretenu tant du côté gouvernemental que des groupes de presse – Clarín en tête – hostiles à la loi. La SCA n’aurait pas dû devenir l’otage de l’actuelle polarisation du pays.  

 

A la date du 7 décembre expire le délai du recours en inconstitutionnalité déposé contre la législation par le groupe Clarín depuis plus d’un an. Ce recours  – dont la prorogation sollicitée par Clarín au-delà du 7 décembre a été rejetée par la Cour suprême de Justice de la Nation (SCJN), le 28 novembre dernier – suspendait l’application de deux dispositions clés de la nouvelle loi :

-l’une (article 45) limitant la concentration des médias (notamment par la réduction du seuil de fréquences radios hertziennes concédées à un même groupe, ou l’interdiction à une même entreprise média de posséder une chaîne hertzienne et d’être opérateur du câble dans la même localité) ; 

-l’autre (article 161) imposant la cession à terme de licences de chaînes de télévision et de radio – réseaux câblés et satellite compris – par les principaux groupes de médias, au nom de la déconcentration du spectre audiovisuel.

A compter du 7 décembre, les groupes médias argentins ou étrangers diffusant en Argentine devront céder une part de leurs licences. Faute de quoi, celles-ci seront reprises et soumises à appel d’offre par l’Autorité fédérale de services de communication audiovisuelle (AFCSA), l’autorité administrative en charge de faire appliquer la loi.

 

Les raisons d’un soutien

 

A l’invitation de l’Association mondiale des radios communautaires (AMARC), Reporters sans frontières avait participé, en novembre 2008 à Buenos Aires, aux débats préliminaires sur une future législation destinée à remplacer la loi de radiodiffusion de 1980, héritée de la dictature militaire (1976-1983). Ces discussions avaient été menées en présence des rapporteurs spéciaux pour la liberté d’expression de l’ONU et de l’OEA, lesquels ont manifesté leur appui à la nouvelle loi, approuvée à une large majorité au Congrès en septembre et octobre 2009.

 

Reporters sans frontières estime que la loi SCA constitue un modèle à au moins trois titres :

 

-cette loi est la première en son genre à réserver 33% des fréquences aux organisations à but non lucratif. Il s’agit d’un gage important d’équité et de pluralisme. Cette règle a, depuis, inspiré d’autres législations ou projets de loi sur le continent, en Équateur et en Bolivie ;

-ce faisant, la SCA ménage une vraie place aux radios et télévisions communautaires, très présentes en Amérique latine mais souvent discriminées et exclues de l’espace de diffusion dans de nombreux pays. Seul l’Uruguay a précédé l’Argentine avec une loi adoptée en 2007 instaurant un réel statut, garantie d’indépendance, pour ces voix de la société civile (http://fr.rsf.org/uruguay-adoption-definitive-de-la-loi-sur-14-12-2007,24758.html). Un statut de même nature gagnerait sans doute à être inclus à la SCA.

-la loi SCA ne cherche en aucun cas à contrôler ou censurer les contenus diffusés. Elle n’impose que la seule contrainte d’un quota de production audiovisuelle nationale à hauteur de 60 %. Une telle disposition, en vigueur dans de nombreux pays, ne contrevient en rien à la liberté d’informer.

 

Affrontements contre-productifs

 

La liberté de presse ou d’information ne saurait s’assimiler à la défense d’intérêts commerciaux. Le groupe Clarín a, selon nous, eu le tort de batailler contre la loi SCA en entretenant délibérément cette confusion. De la même manière, Reporters sans frontières récuse le propos selon lequel la loi SCA aurait été adoptée dans le seul but de démanteler ou pire, de fermer, le principal groupe de presse du pays. Dix ans de tensions, parfois fortes, entre les gouvernements Kirchner et une partie de la presse privée n’ont jamais mené à cette extrémité et rien dans la loi SCA ne prévoit un tel cas de figure. Reporters sans frontières n’en condamne pas moins les entraves répétées à la distribution d’exemplaires des quotidiens Clarín et La Nación à la sortie des imprimeries (http://fr.rsf.org/argentine-entrave-a-la-distribution-des-29-03-2011,39907.html).

 

L’organisation estime, en revanche, que le gouvernement de Cristina Kirchner a lui-même compliqué les conditions d’application de la loi qu’il entendait promouvoir. En cause : la très nette augmentation du volume de publicité officielle destiné à subventionner des groupes de presse favorables à sa politique. Même si elle n’a pas affecté le chiffre d’affaires du groupe Clarín (de 9,7 milliards de pesos en 2011 – 1,6 milliards d’euros –, en hausse de plus de 25 % par rapport à 2010) ni modifié l’audience globale des médias, la manne publicitaire publique ne saurait être attribuée de manière discrétionnaire ou selon des critères idéologiques légalement inacceptables, ainsi que vient de le confirmer la Cour suprême dans un arrêt du 4 décembre en faveur du groupe Perfil. Cette situation, dénoncée auprès de Reporters sans frontières par certains observateurs pourtant favorables à la SCA, ne pouvait que jeter le doute sur les intentions des promoteurs de celle-ci. Elle ne fait qu’alimenter un climat de “guerre médiatique”, peu en phase avec les desseins de la nouvelle loi.

 

Plus déplorable encore est, hélas, cet affrontement direct de média à média, de journaliste à journaliste, qui définit un contexte de polarisation. Vindictes publiques, stigmatisations entre confrères selon leur média d’appartenance, accusations mutuelles de “déstabilisation” ou d’“incitation au délit” – comme celles récemment proférées par Clarín contre six journalistes du secteur public – minent à la fois le débat public et la solidarité professionnelle. Un État impartial et garant de la paix public doit, à notre sens, se tenir à l’écart de ces polémiques et cesser d’utiliser les médias publics pour contrer systématiquement la presse privée, elle aussi responsable. A cet égard, de nouvelles règles de transparence dans la communication officielle et le vote d’une loi d’accès à l’information publique pourraient compléter utilement le dispositif engagé avec la loi SCA. L’équité et le pluralisme des supports d’information ne vont pas sans le partage de l’information elle-même.