Chefferie traditionnelle à la rescousse
Jamais la chefferie traditionnelle ne s’est vu accorder autant d’importance que maintenant. Longtemps négligée et sans véritable statut administratif, elle doit désormais travailler aux côtés des politiciens à la réconciliation des Ivoiriens, à partir de mécanismes et de méthodes qui lui sont propres.

Quelques jours après sa nomination à la tête de la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation, l’ex-Premier ministre Charles Konan Banny demande le soutien d’environ 200 rois, notables et chefs de village et ne manque pas de solliciter leur concours pour la réussite de sa mission. * »Soyez des ambassadeurs de la réconciliation dans vos ressorts respectifs, soyez des relais de la commission de réconciliation qui se met en place »*, lance-t-il à leur endroit.

Le Toupkè ivoirien, comme la juridiction Gacaca rwandaise.
Si au Rwanda la réconciliation et la cohésion sociale ont pu être restaurées par les Gacaca – les tribunaux populaires traditionnels -, en Côte d’Ivoire elles pourront bien l’être par  »Toupkè ».

« Toupkè » est un terme ivoirien qui désigne les parentés à plaisanterie, les alliances interethniques et interculturelles auxquelles les sociétés traditionnelles ont recours pour préserver ou restaurer la paix sociale.

« Toupkè » veut dire « nous sommes en alliance avec ». Plus qu’un mot, c’est une prescription sociale qui rappelle l’idée de communion avec l’autre et qui contraint à des exigences telles le respect de la non-agression et le bon comportement envers l’autre.

* »Pour atteindre l’objectif escompté qui est de réconcilier tout le peuple, la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation doit s’appuyer sur la richesse traditionnelle qu’est Toupkè »*, suggère le professeur Amoa Urbain, Recteur de l’Université privée Charles-Louis Montesquieu à Abidjan.
« C’est une convention sociale traditionnelle entre les peuples de Côte d’Ivoire et un principe de vie communautaire qui a toute son importance dans l’actuel contexte social ivoirien », reconnaît le professeur Amoa.

La méthode Toukpè
Toukpè consiste à désamorcer ou à dédramatiser tout conflit naissant ou en cours et à réhabiliter les bonnes mœurs. Cette méthode consiste par la communication sociale, par la plaisanterie et par le jeu à dénaturer volontairement le fait initial troublant pour le vêtir du comique, du ridicule. Toupkè altère ainsi la nature tragique des faits par le comique et les rend banals.

Pourquoi les modes traditionnels de règlement des conflits
* »En dépit des avantages qu’offrent les modèles modernes de gestion de conflit, aucun n’est vraiment idéal pour couvrir entièrement toute la situation de crise post-électorale. Cela exige de recourir à la combinaison de plusieurs approches, des approches traditionnelles notamment, pour créer un système exhaustif de gestion des conflits et donner ainsi une chance à la réconciliation »*, fait remarquer Sylvère Koré, spécialiste en gestion des conflits et négociation. Cet espoir est également partagé par la société civile.

Soro Alphonse, président de l’APC – Alliance Pour le Changement-, l’une des plus importantes organisations de la société civile ivoirienne, affirme : « Nous croyons que le dialogue des cultures constituera un levain pour une Côte d’Ivoire réconciliée, pour peu que ce dialogue soit cadré dans son contexte traditionnel »
Institutionnalisation de la méthode traditionnelle.

Le professeur Amoa plaide pour que les alliances interethniques sur lesquelles repose Toupkè soient enseignées dès l’école primaire. * »On permettra ainsi aux générations montantes et futures de prévenir les conflits et d’entretenir des rapports de bon voisinage »*, soutient-il.

Déjà, une émission radiophonique diffusée sur la chaîne nationale, dénommée Toupkè et dédiée à cette réalité sociale, fait la promotion de la réconciliation nationale par le rappel des alliances inter ethniques et des parentés à plaisanterie.

Le professeur Amoa pense aussi qu’il faudra organiser une émission télévisée consacrée à cette « richesse traditionnelle » et l’institutionnaliser.

Aucun effort n’est de trop dans la quête des moyens pour réconcilier les populations vivant en Côte d’Ivoire. Les politiciens semblent l’avoir bien compris. Ils ont décidé d’appeler les autorités traditionnelles à la rescousse.