Gislaine Duboc,nous aborde la mort en tant que tabou, au salon de la mort ce samedi 9 avril au Carrousel du Louvre-Paris.
Pour elle, le fait que la mort soit considérée comme un tabou, met toute l’espèce humaine en danger pour le futur et plus spécialement les enfants. Durant la conférence, elle nous fait voyager dans le temps et nous montre la mort à travers le regard d’un petit garçon de 10 ans qui vit la mort autour de lui à différentes époques. La mort déclenche des conséquences sur son comportement et sa façon de comprendre le monde.
« Dans notre société moderne la mort est devenue taboue, moins on en parle, moins on y est confronté, mieux on croit se porter » dit-elle.
« Le temps où l’on accompagnait l’agonie de ceux que l’on aimait sans terreur a disparu… les enfants ne sont plus conviés au chevet du mort car ce spectacle est considéré comme un traumatisme ».

Aujourd’hui dans la société où nous vivons, les signes externes symbolisant les décès, ont pratiquement disparus, considérés comme quasi indécents. Plus de maisons drapées en noir, volets fermés en signe de deuil, petite table installée à l’extérieur où il y avait un livre central, on pouvait souhaiter nos condoléances et quelques paroles de soutien à la famille du défunt. Les personnes en deuil osaient pleurer devant tout le monde, l’entourage le respectait et les saluait.
Il nous est répondu, lorsque nous voyons quelqu’un qui pleure : « ne t’approches pas, tu ne vois pas que tu le déranges dans son malheur! » comme si on pouvait déranger le malheur ?

Elle nous a confié quelques paroles que sa grand-mère lui avait légué pour traverser les étapes du deuil : « n’aies pas peur des larmes, elles nettoient l’âme, c’est bon de pleurer » ou « ils sont dans la misère(…) ne t’inquiète pas, même le malheur passe, c’est la vie » en parlant d’un voisin qui venait de mourir.

Elle nous fait réfléchir sur l’importance de la disparition de certaines terminologies qui peuvent cacher une négation, un déni de la réalité : « c’est comme placer un voile émotionnel quand le regard rencontre l’interdit ou le tabou ».
Un exemple clair est celui du mot « agonie » qui définissait la fin de la vie et est aujourd’hui remplacé par une nouvelle terminologie on dit « pronostic vital engagé ».

Ressentez-vous la même chose si vous utilisez un terme et l’autre ?

Pour les enfants c’est aussi un autre monde, ils ne voient plus les personnes chéries mourir à la maison mais à l’hôpital, ou après 15 jours, lorsque l’état physique est un choc. Tandis qu’auparavant lorsque la personne restait à la maison la dégradation physique était lente et des liens se créaient jour après jour avec la personne, on parlait, ce qui adoucissait la vision de la dégradation physique.
C’est pourquoi beaucoup de jeunes ne veulent plus aller voir les personnes à l’hôpital où elles meurent souvent seules, sans leur entourage familial.
Le fait de voir le père ou la mère s’effondrer à la maison et d’associer ces émotions avec le chemin douloureux du deuil, les rend plus humains et leur permettent d’être préparés à recevoir leurs émotions lorsqu’ ils les rencontrent en grandissant.

L’explosion du virtuel pourrait être une manière de se mettre à l’abri dans un monde d’illusions pour survivre. Elle nous montre avec quelle facilité, les plus jeunes ajoutent un ami de plus sur une liste de Facebook, qu’il n’a jamais vu et probablement ne verra jamais et sur un simple clic de l’effacer ou l’éliminer en quelques secondes. Envahi par le monde « du maintenant » et « du tout de suite » ou de la consommation compulsive, de nombreuses personnes vivent derrière leur écran car il est de plus en plus difficile d’exister dans le monde réel ou d’y avoir sa place.
Ces enfants vivent le monde du défi permanent, avec toujours plus de nouveau : nouvel iPhone, nouveau téléphone. Il n’est pas étonnant que certains étudiants dans les universités sont de véritables handicapés sociaux, qui ne savent plus attendre, en coupant constamment la parole, « ils ne voient pas leur déchets, ils n’ont que du nouveau ! »
Sur les réseaux sociaux d’internet, la technologie envoie le message de la « puissance absolue ». C’est pourquoi Gislaine Duboc pense que le monde est en danger.

Et elle demande à la salle ce que nous ressentons. Le plus triste, c’est que la perte du Monde nous fait seulement réfléchir tandis que la disparition d’internet ou du téléphone nous a tout de suite mobilisés, nous fait réagir. « Être un demi- dieu », c’est mettre le monde à distance. En fait, c’est être est un voyeur qui jouit en regardant. Cette attitude de spectateur ne produit pas les mêmes sensations que celle d’être acteur, nous dit-elle.
Cette distance détruit les liens: le manque de lien entre les grands-parents et les enfants, empêche de transmettre que vieillir n’est pas une catastrophe et qu’ils ont beaucoup de choses à leur apprendre.

« Combien de temps accordez-vous au lien dans votre vie quotidienne ? » demande- t-elle.

Réhabiliter la mort est tout un travail personnel, les émotions nous transforment et nous construisent. Elles peuvent faire peur quand elles se manifestent par la haine, c’est tout un travail de les reconnaitre et les intégrer dans la vie. « Ce tumulte qui bouleverse et renverse vous rend vivant. Le plus terrible pour l’homme est de ne rien éprouver, c’est être un mort-vivant.»
L’épanouissement personnel est devenu une urgence dans notre monde en crise. De lui, dépend l’épanouissement de la collectivité. Jamais nous n’avons eu autant de besoin de trouver l’essence de notre humanité pour préserver la vie. Nous en avons le devoir envers les générations futures.

Quels conseils pouvez-vous donner aux générations à venir pour une culture de paix et de non-violence ?

D’oser sortir du ghetto d’internet, de l’abri des écrans, de retrouver les liens entre les individus, de devenir plus humains car aujourd’hui on ne sait plus comprendre les autres.

Sa devise: « Pour « Mourir vivant » il faut oser aimer, encore et toujours, jusqu’au dernier instant , c’est l’apprentissage d’une vie . »