Pressenza présente une série de textes qui montrent personnages et/ou situations qui ont apporté des réponses à des questions sur le sens du monde, sur qui nous sommes et vers où nous allons.

 A partir du IIIe siècle, un message universaliste et non-violent se répandit dans tout le monde connu de l’époque. Dans cette époque chaotique, Mani cherchait une réponse à la question de notre origine, de notre condition violente et une issue pour que l’être humain sorte de l’obscurité… Son message retentit de nouveau aujourd’hui et aidera probablement toutes les personnes recherchant la paix, l’enthousiasme ou la justice.

Mani naît en Perse, près de Babylone au début du IIIe siècle. Il initia le phénomène important et inspirateur que fût la foi manichéenne et qui se diffusa d’Europe en Chine probablement jusqu’au XVIe siècle. Mani, « apôtre de Jésus », étudia et synthétisa les grandes religions de son temps : le zoroastrisme, le bouddhisme et le christianisme naissant. Le manichéisme est une tentative qui veut donner une réponse au problème du mal et de l’origine de la violence. Cependant, les pouvoirs chrétiens, musulmans ou l’empire chinois vont le considérer comme la plus grande hérésie. Ils vont tout faire pour que disparaissent la religion de lumière et ses écrits, et ils vont détourner et pervertir l’idée même du manichéisme.

Mani vit dans une période comparable à la nôtre : l’Empire Romain est déclinant alors que l’Empire Perse s’accroche à son passé. C’est une période de bouillonnement et de crise spirituelle. Les Églises chrétiennes tentent de se développer mais ne sont pas unifiées, il existe une tendance à se libérer des origines juives, et les premiers Chrétiens sont persécutés dans tout l’Empire Romain. La Perse est un carrefour, où des croyances très variées se côtoient, en opposition à cela, le nationalisme tend à redonner le pouvoir aux mages ; ceux-ci sont très éloignés de l’expérience originelle de Zoroastre qui vécut près de 1000 ans auparavant. Mani appartient au courant gnostique, mais, à la différence des autres gnoses, il va développer un message universaliste qui se développa sans violence et de manière structurée. Quel était ce « cri » lancé par l’humble prophète, qui conduisit les empires de l’époque à engager l’une des persécutions religieuses les plus atroces ? Il reste peu de choses pour en témoigner, cependant, aujourd’hui, les grottes et les sables livrent de nouveau le secret et l’on découvre enfin le visage de Mani.

Toute sa vie, Mani va d’abord rejeter toute religion qui s’impose par la « Loi » en édictant des comportements. Dans sa jeunesse il se sent seul, mais son « compagnon céleste » le protège et l’inspire. Sa pensée est basée sur l’Expérience, Il développe une capacité d’observation de la nature et des astres. Il sera peintre, musicien, poète et médecin. Il découvre qu’il existe des points communs dans les expériences des prophètes de son époque (Bouddha, Zoroastre et Jésus). Comme eux, il cherche un procédé qui permette de se libérer, d’échapper à la souffrance, à la violence et à l’obscurcissement de l’âme et d’approcher les états de compassion qui sont les signaux chez l’être humain d’un changement essentiel. Ses modèles sont Saint Paul et Saint-Thomas[1], comme eux il erre sur les routes, humblement et sans autre moyen que sa foi, il parcourt les routes du Moyen‑Orient, de l’Asie Centrale ou de l’Inde. Il témoigne, étudie, perfectionne son message et regroupe quelques compagnons.

En étudiant le fonctionnement du psychisme ou, par exemple, des centres de réponse[2], Il construit un mythe universel qui permet à celui qui en fait l’expérience intérieure, de se libérer. Le fonctionnement de l’être humain, de par son origine « sacrée » est en quelque sorte le miroir de l’univers. Il diffuse cette doctrine par l’envoi de missionnaires et avec les livres dont il est l’auteur, de manière à ce que sa pensée ne soit pas détournée. Son livre « l’image » et ses peintures, permettaient l’accès à la Connaissance du plus grand nombre. Il développe une Ecole de traduction, d’écriture, d’étude, de production de livres d’une perfection rare pour son époque.

Image : Représentation de Mani | Wikimedia Commons

Il considérera lui-même sa tentative comme un échec. Cependant, malgré les persécutions, son église se développera pendant plus de mille ans et aura une influence sur de nombreux courants basés sur l’expérience spirituelle. Ainsi, par la précision de sa doctrine, Mani oblige les religions à se définir. Par exemple, Augustin qui fut Manichéen dans sa jeunesse, entame ensuite une polémique anti-manichéenne ; cependant sa pensée restera influencée, ainsi que celle de l’Église chrétienne et par conséquent toute la pensée occidentale. Dans le monde musulman, alors que l’islam s’éloigne de l’expérience, le chiisme ou le soufisme chercheront à leur tour dans le zoroastrisme ou le manichéisme la source de la sagesse.

L’idéal de partage des manichéens qui partageaient une grande part de leurs revenus, a influencé des révoltes comme celle du Mazdakisme. Ce mouvement religieux aux idées révolutionnaires qui se développe entre 488 et 496 en Perse est souvent considéré comme un précurseur du socialisme et du pacifisme. D’autres rébellions, en Perse, en Chine ou en Égypte semblent avoir eu l’idéal manichéen comme source.

La pensée universaliste de Mani

Aujourd’hui, Mani nous tend un miroir afin que l’on reconnaisse notre être véritable, qui n’est pas le « moi » du quotidien. Il nous parle non pas comme un penseur, mais à partir de l’expérience intérieure, d’un temps chaotique, de son expérience et de son art de peintre, de musicien, de poète et de médecin… Son message s’adresse à tous les amis aux quatre coins du monde, qui, comme lui, sont si malheureux de vivre dans un monde qui n’est pas le nôtre, mais aussi tellement enthousiastes quand nous nous préoccupons des autres et menons des actions cohérentes et belles…

Pour Mani, ces expériences nous révèlent la véritable nature de l’humain, le Sens de l’existence et de l’univers : Quand nous exprimons le don et l’inspiration, nous sommes guidés mais nous ne nous en rendons pas compte. Car quelque chose de spécial est « posé » en nous et en tout, qui n’est pas le corps physique, qui nous relie, et nous permet de nous détacher de nos conditions. En effet, en entrant dans le mythe que Mani décrivit, nous pouvons trouver des réponses que la « raison » et la science ne nous fournissaient pas, sur le sens de notre existence et sur ce qui l’empêche d’être joyeuse et calme. Nous pouvons reconnaître en nous la présence de substances opposées, et nous cherchons un procédé afin d’échapper à la contradiction qui génère souffrance et violence en nous et autour de nous. Nous reconnaissons l’échec de cette existence et paradoxalement celui-ci donne naissance à une sensibilité qui nous protège. Nous avons compris la nécessité d’échapper aux lois et à la morale, et nous avons compris que ce que les autres considéraient comme des « fautes » ou des « pêchés » (culpabilisateurs) n’étaient pas de notre fait car il y avait eu une Intention antérieure. Nous avons écouté les guides ; ils sont venus nous soulager, nous prenant la main sur le chemin de notre libération. Mani en synthétisant l’expérience de son temps nous proposait un procédé de libération intérieure et sociale.

 Pour Mani, il existe des prérequis pour permettre la libération de la souffrance et de la violence qu’elle génère :

–        Connaître l’origine d’où provient notre Moi véritable, reconnaître la condition de souffrance et notre situation d’échec dans ce monde où nous vivons actuellement, ainsi que le chemin et le dessein vers lequel nous pouvons aller pour nous libérer de notre conditionnement.

–        Entendre un appel et lui répondre; engager un dialogue avec le guide, ou l’ange protecteur. C’est ce dialogue avec la source lumineuse qui permet à l’être humain de développer l’Esprit et d’élever son niveau de conscience et les réponses profondes qu’il donne face à la violence de sa condition.

–        Comprendre que l’expérience intérieure (ésotérique) ne peut être traduite que par l’allégorisation, c’est-à-dire par un mythe, car la compréhension du chemin qui conduit à la reconnaissance de notre origine et destinée n’est pas facilement dicible. On peut aujourd’hui encore mémoriser et internaliser toutes les situations complexes du mythe dans lequel les différentes émanations du Dieu sont des guides pour accompagner le croyant dans son processus de libération. Il y a différents pas qui décrivent un procédé et des indicateurs qui témoignent de l’avancée. Il se produit alors une reconnaissance puis une conversion du sujet qui peut voir son « monde » changer et avoir une sensation différente de lui-même et une compréhension nouvelle des phénomènes. Il développe la compassion et se renforce dans sa nécessité d’aider au dépassement de la souffrance et de la violence, en lui et autour de lui.

 Conséquences sur le moment actuel

 Nous vivons dans un monde où l’accélération des changements produit un grand déséquilibre chez l’être humain. Un style de vie nous a été imposé selon lequel compte seulement l’accumulation d’objets et de pouvoir. Les modèles et les références sociales actuelles ne valorisent pas la Connaissance et le progrès humain. Tout ce qui concerne la beauté réelle, c’est-à-dire l’inspiration, la poésie, l’amour de la nature ou le monde intérieur, est soit écarté ou diffamé, soit considéré comme une marchandise ou un loisir. Puisque rien ne compte de ce qui est profond et beau, il n’y a plus de soin pour les belles choses, ni pour les relations amicales et amoureuses, qui demandent pourtant tellement d’attention à ce qui nous parvient de l’intérieur !

Nous avons beaucoup d’incertitudes quant à l’avenir. Ce modèle est en train d’exploser et c’est quelquefois inquiétant de constater que cette folie pourrait pour la première fois produire une destruction de l’humanité, qui a créé par son esprit obscur, les armes nucléaires, psychologiques, financières et chimiques suffisantes pour le faire. Tout n’est pas perdu puisque simultanément une nouvelle sensibilité surgit de ce dégoût. Nous sommes comme Mani « étrangers à ce monde ». Mais nous ne savons pas trop comment faire. Alors, écoutons les faibles signaux qui peuvent nous aider à faire dévier la direction des évènements. Pour cela, la Connaissance est essentielle et il est important d’écouter dans le passé et dans ce moment présent, les personnes courageuses. Elles se reconnaissent au fait qu’elles ont été persécutées et effacées des mémoires par ceux qui prétendent aujourd’hui détenir la « vérité ». Mani était comme un compagnon, un miroir où se projettent les guides, les bonnes personnes qui dans l’histoire apportent compréhension, protection, soulagement, enthousiasme…

Mani et « les rédempteurs » nous rappellent ce que nous avons oublié : J’ai quelque chose de très spécial en moi qui fait que je suis un être humain, entre monde naturel et monde divin. Je peux décider de ce que je ferai demain, changer ma propre nature, changer le monde… D’où vient cette capacité extraordinaire qu’on appelle Intention ? Je peux vivre indifférent aux autres, je peux souffrir parce que l’autre souffre… D’où vient cette sensibilité qui s’appelle empathie, amour ou compassion ? Moi, humain, je suis le seul, je crois, à pouvoir observer une fleur, la trouver parfaite dans sa forme et sa couleur, la mémoriser et la dessiner… D’où vient cette capacité extraordinaire ?

Mani nous répond et nous explique comment procéder pour séparer lumière et obscurité. Dans les moments où cela est nécessaire, ils sont descendus à nouveau, les anges et les messagers, pour nous rappeler à notre propre nature qui est double. Nous avons « oublié » aujourd’hui la moitié de nous-mêmes : notre double, notre âme, notre Esprit. C’est elle qui souffre dans ce monde, c’est elle que nous nourrissons par la bonne Connaissance, c’est elle qui, lorsqu’elle est nourrie, nous donne la sensation de force, de liberté, de joie ou de douceur…

Bibliographie :

 A lire pour approfondir le sujet :

  • Mani Monographie par l’auteur de cet article sur le site du parc la Belle Idée, page monographies. http://www.parclabelleidee.fr/
  • Decret, François, Mani et la tradition manichéenne, Éditions du Seuil, Points Sagesses, Paris, 2005.
  • Favre, François, Mani, Christ d’Orient, Bouddha d’Occident, Éditions du Septénaire, Strasbourg, 2002.
  • Maalouf, Amin, Les jardins de lumière (roman), Éditions Lattès, Paris, 1991.
  • Puech, Henri-Charles, Le manichéisme, in Histoire des religions, II, sous la direction de H.-Ch. Puech (Encyclopédie de la Pléiade), Éditions Gallimard, Paris, 1970, pp.523-645.
  • Puech, Henri-Charles, Sur le manichéisme et autres essais (Idées et recherches), Éditions Flammarion, Paris, 1979.
  • Stroumsa Gedaliahu, Guy, Savoir et salut, Éditions du Cerf, Paris, collection Patrimoines, 1992.
  • Tajadod, Nahal, Mani le bouddha de lumière, catéchisme manichéen chinois, Éditions du Cerf, collection Sources gnostiques et manichéennes, Paris, 1991.
  • Tardieu, Michel, Le manichéisme (Que sais-je ? N°1940), Presses Universitaires de France, 2e édition, Paris, 1997.
  • Villey, Andre, Psaumes des Errants. Écrits manichéens du Fayyum, Éditions du Cerf, collection Sources gnostiques et manichéennes, Paris, 1994.

 

Notes

[1] Thomas était considéré comme le frère jumeau de Jésus. L’apôtre fut envoyé pour prêcher en Inde. C’est cette mission qui est racontée dans les actes de Thomas. Dans ce livre, le Chant de la Perle est un hymne gnostique au « sauveur – sauvé » où l’on trouve les thèmes qui seront développés dans le mythe et les hymnes manichéens : l’origine lumineuse, la chute dans le monde matériel, l’amnésie et l’ignorance, l’appel et la réponse, la reconnaissance de sa véritable nature et la rédemption.

[2] Silo, Notes de Psychologie, Psychologie II, Éditions Références, Paris, 2012, pp.41-42.