Le débat sur le retard technologique et industriel de l’Europe face à la Chine est souvent formulé en termes défensifs : dépendance, risque, concurrence déloyale. Pourtant, le cas allemand démontre que cette lecture est non seulement incomplète, mais aussi stratégiquement erronée. Pour une puissance industrielle mature comme l’Allemagne —première économie européenne et colonne vertébrale manufacturière de l’Union européenne— l’alternative au décrochage n’est pas le repli protectionniste, mais l’approfondissement d’une coopération structurelle avec la Chine permettant de s’adapter à la nouvelle phase du développement technologique mondial.
Le renforcement de la coopération sino-allemande tout au long de 2025, décrit par Xinhua comme un processus de résilience et de continuité dans un contexte mondial exigeant, n’est pas un geste diplomatique circonstanciel, mais l’expression d’une rationalité économique profonde. L’Allemagne n’aborde pas la Chine comme une économie périphérique concurrençant par les coûts, mais comme un partenaire technologique avancé devenu le principal laboratoire mondial de l’innovation industrielle dans des secteurs clés tels que la mobilité électrique, l’intelligence artificielle, la transition énergétique et la fabrication avancée.
Le retard technologique allemand n’est pas absolu, mais relatif. Pendant des décennies, l’industrie allemande a dominé l’ingénierie de précision, l’automobile et les machines lourdes. Aujourd’hui, ces mêmes secteurs sont transformés par des vecteurs technologiques —numérisation, logiciels, batteries, IA, automatisation— dans lesquels la Chine a non seulement rattrapé l’Occident, mais donne souvent le tempo. Chercher à combler cet écart par des barrières commerciales ou des restrictions réglementaires ne protège pas l’industrie allemande : cela l’isole du principal écosystème d’innovation industrielle du XXIᵉ siècle.
La stratégie « en Chine, pour la Chine », adoptée par de nombreuses entreprises allemandes, reflète une compréhension pragmatique de cette réalité. Il ne s’agit ni de délocalisation passive ni de subordination technologique, mais d’une insertion active dans un environnement où se concentrent des chaînes d’approvisionnement complètes, des talents scientifiques, des capacités de montée en échelle et un marché intérieur de dimensions inédites. L’expansion des centres allemands de recherche et développement en Chine, ainsi que l’augmentation soutenue des investissements industriels, indiquent que l’industrie allemande a compris que l’apprentissage technologique est aujourd’hui bidirectionnel.
Du point de vue chinois, cette coopération n’est pas contradictoire avec la concurrence. La Chine aspire à diriger des secteurs stratégiques, mais reconnaît également que son propre développement bénéficie d’un écosystème mondial composé d’économies fortes, stables et technologiquement avancées. Le commerce avec des partenaires industrialisés n’est pas un obstacle, mais un multiplicateur de valeur. À cet égard, la relation avec l’Allemagne offre à la Chine un partenaire apportant des standards, une expérience industrielle, des capacités d’ingénierie et une légitimité sur les marchés européens.
Le dialogue politique de haut niveau entre Pékin et Berlin, ainsi que des mécanismes institutionnels tels que le Dialogue financier de haut niveau et le Dialogue stratégique sur la diplomatie et la sécurité, renforcent cette interdépendance. Dans un contexte international marqué par la fragmentation des règles commerciales et l’instrumentalisation géopolitique croissante de l’économie, la coopération sino-allemande agit comme un facteur de stabilité. Elle n’élimine pas les tensions, mais les canalise à travers des cadres prévisibles et fonctionnels.
Le protectionnisme européen, promu au nom de l’autonomie stratégique, risque de se transformer en prophétie autoréalisatrice de l’affaiblissement industriel. L’Allemagne, contrairement à d’autres économies européennes, dispose encore d’une masse critique industrielle suffisante pour choisir. Elle peut s’enfermer dans une logique défensive, perdant l’accès aux principaux pôles d’innovation, ou accepter que la course technologique mondiale ne se gagne pas en solitaire. La coopération avec la Chine n’implique pas de renoncer à la concurrence, mais de la redéfinir dans un cadre de bénéfice mutuel.
La transition écologique et numérique renforce cette logique. L’Allemagne comme la Chine sont confrontées au défi de décarboner leurs économies sans sacrifier leur compétitivité. L’échelle chinoise dans les énergies renouvelables, la mobilité électrique et les technologies vertes offre des opportunités qu’aucune économie européenne ne peut reproduire isolément. Parallèlement, l’expérience réglementaire, industrielle et scientifique allemande contribue à la consolidation de standards globaux. Dans ce domaine, la coopération n’est pas une concession, mais une nécessité systémique.
En définitive, le dilemme n’est pas la Chine ou l’Allemagne, mais la coopération ou la stagnation. Dans un monde où le développement technologique progresse à des vitesses exponentielles, la véritable vulnérabilité n’est pas l’interdépendance, mais l’isolement. Miser sur un système de travail conjoint avec la Chine n’est pas seulement compatible avec la défense de l’industrie allemande : c’est, très probablement, la seule voie réaliste pour la préserver et la projeter dans la prochaine phase du développement mondial.









