La cérémonie annuelle du prix Nobel de la paix a lieu le 10 décembre à Oslo, en Norvège. Symbole de l’hypocrisie occidentale, le prix Nobel de la paix 2025 a été attribué, non sans controverse, à María Corina Machado, dirigeante de l’opposition de droite radicale vénézuélienne. Face à la nomination controversée de Trump et à la perte de crédibilité de ce prix, il est temps d’examiner la pertinence et l’efficacité de cette distinction autrefois prestigieuse.

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Feu Fredrik S. Heffermehl, avocat et écrivain norvégien, a longtemps milité pour un examen critique du prix Nobel de la paix et de sa conformité avec le testament d’Alfred Nobel : « … la personne qui a le plus ou le mieux œuvré pour la fraternité entre les nations et pour l’abolition ou la réduction des armées permanentes, ainsi que pour la tenue et la promotion de congrès pour la paix. »

En 2014, il a fondé l’organisation suédoise pour la paix Lay Down Your Arms « Déposez vos armes », qui lutte contre la guerre et les armements et honore chaque année un·e « champion·e de la paix ». La lauréate de 2025 est Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation dans les territoires palestiniens occupés.

Ce que Nobel voulait vraiment

Les critiques du prix Nobel de la paix se sont intensifiées ces dernières années, la politique semblant avoir perverti la subjectivité de cette distinction. L’exemple le plus frappant est la campagne éhontée de Trump pour l’obtention du prix en 2025.

En 2021, seuls 33 lauréats répondaient aux critères fondateurs de Nobel en 120 ans d’existence. Plus le prix s’est éloigné de la paix, plus il a perdu de son prestige et, surtout, de sa capacité à promouvoir une paix durable.

Il existe de nombreux cas où les lauréats défendent des causes nobles qui, bien que louables, ne sont pas directement liées à la paix, mais plutôt aux droits humains, à la démocratie, à l’environnement ou au développement durable. Dans les cas les plus graves, les récipiendaires étaient d’anciens bellicistes, et le prix était soit motivé par des considérations politiques, soit décerné prématurément. Parmi les lauréats controversés du prix Nobel de la paix figurent Henry Kissinger, Menahem Begin, Yasser Arafat, Barack Obama, et Abiy Ahmed.

L’eurocentrisme croissant est un autre sujet de débat, car un nombre disproportionné de lauréats sont originaires d’Europe et d’Amérique du Nord. Le prix semble privilégier les valeurs et les structures de pouvoir occidentales au détriment de celles des pays du Sud. Les biais sexistes sont également flagrants, les efforts des femmes en faveur de la paix ayant historiquement été largement sous-représentés. Durant la période s’étendant jusqu’à 2025, seulement 16 % des lauréats individuels du prix Nobel de la paix étaient des femmes.

Le souhait de Nobel était que ses prix récompensent ceux qui ont apporté le plus grand bienfait à l’humanité. Parmi les lauréats du prix Nobel de la paix qui se distinguent par leur contribution remarquable à la construction d’un monde plus pacifique figurent le Comité international de la Croix-Rouge, Martin Luther King Jr., le Dalaï Lama, Nelson Mandela, F.W. de Klerk, l’IPPNW[International physicians for the prevention of nuclear war, Médecins internationaux pour la prévention de la guerre nucléaire], la Campagne contre les mines antipersonnel et Jody Williams, Médecins Sans Frontières, les Nations Unies et Kofi Annan, Martti Ahtisaari, ICAN, et Nihon Hidankyo.

Le prix pour la Paix ‘Déposez vos armes’

Créé en 2024, ce prix, alternative au prix Nobel de la paix, honore ceux qui incarnent véritablement la volonté originelle d’Alfred Nobel et célèbre leurs réalisations.

Le premier lauréat, en 2024, était David Swanson. Cet auteur, militant et journaliste étasunien est notamment connu pour son engagement au sein du mouvement pacifiste avec World Beyond War[un monde au-delà des guerres]. Il est le cofondateur, directeur exécutif et membre du conseil d’administration de cette organisation internationale qui œuvre pour la fin de la guerre et l’instauration d’une paix juste et durable.

Cette année, le prix est décerné à Francesca Albanese, qui « a lutté avec force et constance contre la guerre à grande échelle menée par Israël contre les territoires palestiniens occupés, et en particulier contre le génocide perpétré par Israël contre le peuple palestinien ».

Albanese n’a cessé de plaider pour que les nations imposent un embargo sur les ventes d’armes à Israël, mettent fin à tous les accords commerciaux, garantissent la responsabilité des auteurs de crimes de guerre et exigent le retrait complet des troupes israéliennes des territoires occupés. Elle souligne la responsabilité de la communauté internationale de cesser d’armer, de financer et de tirer profit des atrocités commises par Israël à Gaza.

Depuis le début de cette guerre, il y a maintenant deux ans, qui a coûté la vie à plus de 70 000 Palestiniens, Albanese a été l’une des plus ferventes défenseures des droits des Palestiniens. L’offensive israélienne contre Gaza a plongé 2,2 millions de personnes dans une situation d’insécurité alimentaire critique et a fait plus de 170 000 blessés, dont beaucoup souffrent de séquelles invalidantes.

Fredrik S. Heffermehl

Le plaidoyer de Heffermehl en faveur d’un retour aux critères originaux du prix Nobel a suscité un débat international. Ses travaux remettent en question l’influence des intérêts politiques et commerciaux sur le processus de sélection. En instaurant une plus grande transparence des critères et du processus de sélection, Heffermehl entend garantir que le prix Nobel de la paix soit fidèle à l’héritage de son fondateur et continue de jouer un rôle déterminant dans l’instauration d’une paix mondiale durable.

Dans son ouvrage « Le prix Nobel de la paix : ce que Nobel voulait vraiment », Heffermehl explique que le prix s’est souvent écarté des critères originaux de Nobel pour récompenser ceux qui œuvrent pour le désarmement, la démilitarisation, les négociations de paix, la médiation, le journalisme de paix et la résolution des conflits.

Au cours de sa carrière, il a occupé des postes prestigieux, notamment celui de vice-président du Bureau international pour la paix (BIP) et de l’Association internationale des juristes contre les armes nucléaires (IALANA). Il a également dirigé le Conseil norvégien pour la paix de 1985 à 2000 et est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la paix reconnus internationalement.

La nécessité d’une réforme

Le prix Nobel de la paix est devenu un prix politique et est trop souvent décerné à des défenseurs de la démocratie, de l’environnement ou des droits humains. Afin de célébrer les véritables artisans de la paix, il est impératif de revenir à l’intention première d’Alfred Nobel concernant ce prix.

Les membres du Comité Nobel norvégien, chargés de sélectionner les lauréats du prix Nobel de la paix, sont choisis par le Parlement norvégien. Il s’agit le plus souvent d’anciens hommes et femmes politiques issus des principaux partis, ou, à défaut, de personnes étroitement liées à ces derniers. N’oublions pas que la Norvège est membre fondateur de l’OTAN et qu’elle est étroitement associée à l’UE et à ses idéologies.

Il ne s’agit pas seulement de réputation et de prestige ; si le prix Nobel perd de sa crédibilité, il perd également de son impact sur la paix mondiale. Nous devons veiller à ce que, avant tout, une paix durable demeure l’objectif premier de cette prestigieuse distinction.

Comme l’a dit Fredrik Heffermehl : « La paix n’est pas qu’un rêve, c’est une possibilité à notre portée. »

 

À propos des auteur.e.s : Rachael Mellor et Dr Norbert Stute, Better World Info

Rachael est une rédactrice clé de la plateforme à but non lucratif Better World Info, qui se concentre sur les enjeux mondiaux tels que la paix, les droits humains, l’environnement et la justice sociale. Ses articles sont également publiés dans The EcologistResilience Magazine, Common Dreams, Transnational, Peace News, Pace e Bene, et Sonnenseite. Suivez son travail sur www.betterworld.info et @BetterWorldInfo.

Le Dr Norbert Stute est médecin, hématologue et fondateur et coordinateur de la plateforme d’information à but non lucratif Better World Info.

 

Traduit de l’anglais par Evelyn Tischer