Mastodon

L’Équateur n’est pas en protestation. Il est en état de défense ancestrale

Cet article est aussi disponible en: Espagnol, Italien, Allemand

Paro Nacional Ecuador 2025
Grève nationale Équateur 2025. (Crédit image: Gisela Vallejo)

« Lorsque l’État réprime la vie, la résistance cesse d’être une protestation et redevient un mandat. »

Il ne s’agit pas d’un conflit relatif aux subventions. C’est la résurgence d’une histoire que l’Amérique latine connaît malheureusement trop bien. En Équateur, les peuples autochtones ne réclament pas d’aides sociales. Ils défendent leur droit à l’existence face à un gouvernement qui a choisi de militariser la faim, de protéger l’extractivisme et de criminaliser la mémoire.

Il ne s’agit pas d’une manifestation. Il s’agit d’un acte historique d’autodéfense contre un État qui n’écoute plus et qui répond à la pauvreté par les armes.

Ce n’est pas seulement Noboa. C’est le modèle

Le président Daniel Noboa a supprimé la subvention au diesel en sachant pertinemment que cette mesure pénaliserait avant tout les plus démunis. Dans les zones rurales, où la pauvreté touche 41 % de la population, un litre de carburant peut faire la différence entre manger et mourir de faim. Noboa n’a pas corrigé une injustice ; il a mis en œuvre un choix idéologique : celui de considérer la vie rurale comme superflue et de laisser le marché décider de la survie de chacun.

Il a procédé en reprenant la même méthode qui avait déjà été utilisée au Pérou, au Chili et en Colombie. Le mode d’emploi est clair.

  • Le coût de la survie augmente.
  • L’armée est envoyée avant même le dialogue.
  • Ceux qui résistent sont accusés de terrorisme.
  • On promet l’ordre sur les marchés tandis que la peur est normalisée.

Rien n’est plus moderne que la violence administrée.

Le gouvernement croit pouvoir maîtriser la crise par des discours sur la stabilité macroéconomique et le soutien des organisations multilatérales. Mais l’économie qu’il prône ne mesure pas les vies humaines, elle mesure les investissements. C’est cette logique de chiffres impersonnels qui ravive les tensions sur le continent.

Les peuples autochtones n’ont pas marché, ils se sont soulevés

La Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur CONAIE n’a pas appelé à une manifestation symbolique. Elle a proclamé la défense de son territoire. Des routes ont été fermées et des voies logistiques stratégiques bloquées. Non pas par geste, mais pour ériger une barricade. Quand les peuples autochtones agissent, ce n’est pas par idéologie, c’est pour survivre.

La réaction du gouvernement fut immédiate et brutale. Des milliers de policiers et de militaires furent déployés. Noboa lança une menace télévisée : ouvrir toutes les routes à tout prix. Comme si un pays n’était qu’une autoroute et non une nation dotée d’une mémoire. Comme si laisser le peuple s’exprimer était un acte de faiblesse.

Ces chiffres ne sont plus de simples rumeurs. Trois morts, des centaines de blessés et deux cents arrestations. Des communautés entières assiégées par les forces armées, et pourtant la résistance n’a pas cédé. Elle s’est repliée pour se réorganiser. Ce n’est pas une défaite, c’est une stratégie.

Aujourd’hui, depuis la jungle et les montagnes, les leaders autochtones, reliés par des radios et des téléphones communautaires, s’expriment et reconstruisent l’unité malgré la précarité. Ce que le gouvernement qualifie de « retraite » est en réalité un acte de résistance.

L’Équateur n’est pas seul ; le continent tout entier contemple son propre reflet

Ce qui se passe en Équateur s’inscrit dans cette même fracture. Nous la constatons en Bolivie, au Chili et au Pérou, avec des morts qui restent impunies. Des gouvernements qui parlent de progrès tout en assiégeant des territoires ancestraux. Qui qualifient de « modernisation » le pillage des rivières, des montagnes et des langues, et qui instaurent la répression plutôt que le respect de la dignité.

Les peuples autochtones ne sont pas des acteurs sociaux. Ils représentent le dernier rempart entre la vie et la dépossession. C’est pourquoi on souhaite leur démobilisation et pourquoi ils sont considérés comme un problème. Car s’ils cessent leurs activités, l’Amazonie sera détruite, le lithium sera bradé et le cuivre sera privatisé à jamais. Dans la logique du pouvoir, ils ne peuvent exister, mais dans la logique planétaire, ils ne peuvent disparaître.

Le silence international fait partie du même pacte ; les gouvernements du Nord applaudissent la « stabilité » tout en achetant des ressources nées de la violence, et les élites locales, bien installées dans leurs capitales, préfèrent qualifier de trouble ce qui relève de la défense.

Ce que ceux qui gouvernent d’en haut ne comprennent jamais

Noboa croit pouvoir gagner par la répression, il croit que détruire une route, c’est détruire une culture, il croit que se soumettre par la peur efface l’histoire et il commet l’erreur classique de tous les gouvernements qui considèrent un peuple comme une menace.

Ils ne comprennent pas que ces luttes ne sont pas tactiques, elles sont spirituelles, et que le corps autochtone peut tomber, mais que ce qui se bat, ce n’est pas le corps, c’est la mémoire, et cela ne peut être négocié avec des balles.

Les peuples peuvent être appauvris, déplacés ou réduits au silence, mais jamais vaincus. Car leur lutte ne se mesure pas aux sondages ou aux cycles électoraux, mais à des siècles de résistance. C’est pourquoi, chaque fois que l’État réprime, il réveille ce qu’il croyait endormi : l’essence même du peuple.

L’Équateur ne brûle pas. Il se réveille

Et lorsqu’un peuple se soulève non pas pour revendiquer, mais pour défendre ce qui est sacré, les gouvernements devraient cesser de se demander comment l’arrêter et commencer à se poser la seule question qui compte : quelle légitimité a un pouvoir qui a besoin de fusils pour se maintenir ?

Car si la réponse est « aucune », alors ce n’est pas l’ordre qui est en crise, mais le droit de l’État à continuer de se dire démocratique.

Aujourd’hui, le pays semble vivre entre couvre-feux et allocutions nationales, entre discours d’unité et gaz lacrymogènes. Mais dans les communautés, où les enfants continuent d’aller à l’école malgré les barricades, une certitude demeure, qu’aucun décret ne saurait effacer : la vie n’est pas négociable, elle se défend.

L’écho du continent

Ce qui se passe aujourd’hui en Équateur n’est pas une exception ; c’est un phénomène courant dans la région. Des Andes au Cône Sud, les gouvernements répondent au mécontentement par des boucliers et des décrets, tandis que le peuple, une fois de plus, s’exprime depuis la terre, et non depuis les hauteurs du pouvoir.

La résistance équatorienne n’est pas un mouvement isolé, mais plutôt une autre page de la même histoire qui se déroule au Pérou, au Chili et en Bolivie.

L’Amérique latine n’est pas en train de brûler, elle est en train de se souvenir de qui elle est.

Et quand un continent se souvient, le pouvoir tremble…

Newsletter

Indiquez votre adresse e-mail pour vous abonner à notre service de news quotidien.

Don

Soutenez le journalisme pour la paix et la non-violence avec un don

Articles recommandés