Je suis depuis longtemps convaincu que notre civilisation occidentale moderne, généralement sécularisée, malgré notre rejet collectif des formes religieuses traditionnelles d’accès aux sphères sacrées et profondes (prêtres, rabbins, swamis, etc.), a, sans le savoir, réorienté un profond besoin instinctif de connexion au domaine transcendantal vers certains types de rock stars. Sans le savoir, nous avons cherché une sorte de « délivrance » auprès de ces chamans de facto de l’ère moderne.
On pourrait soutenir que cela a été le cas des stars de cinéma et du phénomène moderne de la « célébrité » en général – qu’elles ont aussi servi de substituts de facto aux idoles pré-modernes du clergé, aujourd’hui délaissées. Je dirais que c’est en partie vrai, mais pas au point que certaines rock stars ont exploité et utilisé des qualités quasi religieuses et chamaniques dans leurs présentations et dans les événements/spectacles de type sermons qu’elles organisent depuis plus de soixante ans… « Bien-aimés, nous sommes réunis ici aujourd’hui… etc. »
Les caractéristiques de présentation d’un Little Richard ou d’un David Bowie semblent transcender les spectres de genre et de sexe. Ces personnages trahissent une apparente proximité avec la folie par des costumes colorés et ostentatoires, souvent inspirés de formes présentes dans le monde animal. On observe également une attitude relâchée envers l’ingestion de substances psychotropes. Autant de caractéristiques, de traits et de méthodes répandus chez les chamans depuis des siècles.
Ces icônes musicales modernes ont été des guides efficaces à plusieurs égards. Elles ont assurément rempli une fonction cathartique en libérant certaines tensions culturelles liées aux blocages sexuels, aux concepts de genre inutilement rigides et aux tendances à l’autocensure. En revanche, elles ne constituent pas, et n’ont jamais prétendu, des guides fiables vers la transcendance individuelle pour leurs adeptes. En ce sens, elles ont agi comme des remplaçants superficiellement fiables, comblant une partie du vide spirituel laissé par l’absence des chamans de notre culture moderne.
Je ne prétends pas être le premier à souligner cette idée fondamentale. Je suis quasiment certain que Camille Paglia, ou quelqu’un de ce genre, l’a déjà évoquée. Ce que j’ajoute (éventuellement) à la discussion, c’est que je ne crois pas que cette tendance soit simplement une forme de mimétisme nostalgique lié à une période culturelle ou à une forme mythique en voie de disparition. Il existe une intention fondamentale chez notre espèce qui est, au fond, le moteur de l’histoire elle-même. Cette intention est de dépasser la limite apparente de la mort, de transcender l’apparente « donnée » de notre mortalité individuelle et collective.
Et aujourd’hui, au XXIe siècle, nos nouvelles (et anciennes) stars du rock et de la pop ne semblent plus capables de transmettre la même « charge » qu’à l’époque où ce média était encore nouveau. La question se pose donc : quelles formes, quels ensembles d’images surgiront pour nous motiver au point de dépasser le non-sens, la déshumanisation, la propagation des guerres et de la violence qui ont proliféré si largement au cours des dernières décennies ? Car ignorer et/ou étouffer l’impulsion transcendantale de notre espèce est impossible. La science est un domaine merveilleux, mais elle ne remplace pas et ne remplacera jamais le monde chamanique.









