Note de Pressenza : Nous publions cet article en français – initialement paru en anglais en novembre 2024 – afin de permettre à nos lecteurs de comparer le bilan de l’actuelle administration américaine, après une année de mandat présidentiel, avec les attentes qui étaient les siennes.
Le monde avait déjà changé avant le 5 novembre 2024
Même si beaucoup d’entre vous auront du mal à le croire, une série d’événements qui se sont déroulés cette année (2024) et l’année dernière ont, par leur niveau d’importance mondiale et leur impact futur, éclipsé l’élection récente de Donald Trump. Alors que les médias traditionnels occidentaux maintenaient notre attention presque exclusivement sur la question qui a refait surface de la vache à lait de l’audimat, « Trump ou pas Trump ? », un changement mondial des allégeances étatiques s’est opéré parmi de nombreuses nations les plus riches et les plus influentes du monde. Ce changement a redéfini l’ordre mondial. En bref, le monde a déjà considérablement changé et la plupart des Américains ne sont pas encore conscients de ce qui s’est passé.
Les alliances existantes et celles en cours de formation
Un sérieux défi à l’hégémonie mondiale des États-Unis a émergé et ne cesse de prendre de l’ampleur. Ce défi est le résultat d’un certain nombre de facteurs, principalement celui de l’émergence de la Chine en tant que superpuissance économique, associée à ses nouvelles alliances renforcées avec la Russie, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud. L’intérêt mondial croissant pour l’adhésion à cette alliance de pays connue sous le nom de partenariat économique des BRICS a augmenté de manière exponentielle au cours de la période 2022 – 2024. En effet, plus de 40 nouveaux pays ont demandé à rejoindre les BRICS, qui viennent d’ajouter l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis à leur charte. (1)
Un autre facteur important qui a contribué à l’effondrement récent de l’ère unipolaire a été l’énorme échec militaire et économique de la guerre par procuration financée par les États-Unis et l’OTAN en Ukraine(2), (3). L’échec lamentable du « Projet Ukraine » a engendré une crise économique mondiale encore plus importante. Cet échec a également engendré une reconnaissance désormais généralisée de la précarité de l’hégémonie américaine et occidentale, que beaucoup considéraient auparavant comme monolithique à l’apogée de l’ère unipolaire, qui a débuté en 1990.
Il est devenu très clair que deux ans et demi de sanctions américaines à l’encontre de la Russie (12 séries de sanctions) ont eu un effet boomerang. La Russie a récemment dépassé le Japon et l’Allemagne, devenant ainsi la quatrième puissance économique mondiale.(4) C’est l’autre facteur clé qui a encouragé l’actuel « tournant mondial vers les BRICS ». (5)
Une coalition économique et militaire mondiale qui ne peut pas être intimidée par les États-Unis
Ces nouvelles conditions et révélations ont incité les membres actuels et potentiels des BRICS, un groupe qui représente plus de la moitié du PIB mondial et bien plus de la moitié de la population mondiale, à s’engager, entre autres, dans les prémices de la création d’une nouvelle monnaie collective. Cette nouvelle monnaie, qui est en cours de développement, finira très probablement par concurrencer le dollar en tant que monnaie centrale mondiale.
Ces alliances économiques et militaires nouvellement renforcées, qui comprennent trois des quatre nations les plus puissantes au monde sur le plan économique et militaire (la Chine, la Russie et l’Inde), ont créé un nouveau terrain de jeu mondial sur lequel les États-Unis ne sont plus le seul grand détenteur de puissance.
En bref, une nouvelle coalition mondiale, indéniablement redoutable, est maintenant en train de se former. Les pays partageant les mêmes idées au sein du mouvement des BRICS ont très récemment pris conscience qu’ensemble, ils sont capables d’atteindre un niveau d’interdépendance économique et militaire qui ne peut être entravé ou anéanti par les menaces économiques et/ou militaires des États-Unis.
Ce passage mondial de l’unipolarité à la multipolarité est non seulement inévitable, mais il est aussi déjà bien enclenché. (8) La question de savoir si cette transition sera difficile, facile ou quelque part entre les deux dépend des formes et des degrés de résistance et/ou d’acceptation avec lesquels nous y ferons face en tant que culture mondiale. Jusqu’à présent, l’Occident a réagi à ce changement par la peur, la compulsivité et la violence aveugle.(7)
La nouvelle administration de Donald Trump et le passage à un monde multipolaire
Malheureusement, à en juger par les choix effectués jusqu’à présent par Donald Trump pour former son cabinet, il est difficile de voir si son niveau de compréhension des implications des énormes changements mentionnés ci-dessus sera suffisant pour entreprendre le type de diplomatie nécessaire pour surfer sur la vague plutôt que de lui résister et de s’y opposer alors qu’elle se dirige maintenant vers l’Ouest.(8) Franchement, à première vue, beaucoup de ses choix pour son cabinet semblent problématiques, à part ceux de Tulsi Gabbard, chargée des renseignements et de RFK Jr. chargé de la santé.
Dans les années à venir, les dirigeants américains vont devoir ÉNORMÉMENT négocier avec les dirigeants du monde entier, y compris avec des gens comme Vladimir Poutine et Ji Jinping. Donald Trump a montré qu’il est capable de dialoguer efficacement avec ces prétendus « adversaires » des États-Unis. Alors que l’administration Biden a montré, à maintes reprises, qu’elle n’avait ni la volonté ni la capacité de le faire. Leur attitude anti-diplomatique, passionnée et belliqueuse sort tout droit du manuel néoconservateur de Rumsfeld, Cheney et Nuland. C’est une autre raison pour laquelle les démocrates ont perdu les élections de 2024.(9)
De son côté, Trump a prouvé qu’il savait négocier et conclure des accords. Espérons qu’il écoute l’ange sur son épaule, celui qui sait que les négociations et la diplomatie seront la seule voie vers une paix mondiale. Des gens comme Gabbard, RFK Jr. et quelques autres personnes dans son cercle connaissent l’impossibilité et de la stupidité de compter sur l’intimidation et la guerre comme moyen de parvenir à la paix au XXIe siècle.
Le choix à l’avenir
À l’avenir, le choix devra se faire entre la négociation et la coopération ou alors l’anéantissement mutuel, en tant que pays mais aussi en tant que culture mondiale.
Le complexe militaro-industriel et la classe politique des républicains et démocrates détenue par des donateurs du XXIe siècle ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour mentir, intimider, manipuler, sanctionner et tuer pour essayer d’éviter de devoir faire face à ce qui est désormais inévitable : la multipolarité. Le comble de cette situation résulte dans l’incapacité de la classe politique détenue par les donateurs d’écouter et de travailler pour les besoins, les souhaits et les mandats du public américain au cours des 25 dernières années. Les plans néolibéraux et néoconservateurs des États-Unis pour un « nouvel ordre mondial » unipolaire sont en train d’être abandonnés. L’ère unipolaire est terminée.
En conclusion
Pour être honnête, il serait négligent de ma part de ne pas m’exprimer sur le chemin très difficile que nous allons devoir parcourir au cours de cette décennie. Je ne suis pas encore du tout convaincu que Trump et son administration soient à la hauteur de l’énorme défi qu’ils vont devoir relever. Il ne s’agit pas de relever le défi lancé par des démocrates mécontents, mais plutôt de réaliser que l’hégémonie américaine s’affaiblit (pour de bon) et qu’une adaptation sérieuse doit être effectuée ici, aux États-Unis, sur le plan existentiel et idéologique. Nous allons devoir apprendre à travailler tous ensemble, avec nos voisins du monde entier comme avec nos « ennemis » présumés, au lieu de les intimider et de leur donner des ordres. Pour faire simple, cette approche ne fonctionnera plus.
J’aimerais beaucoup changer d’avis sur la capacité de Donald Trump et de son administration à relever les prochains défis auxquels ils vont être confrontés. J’aimerais bien qu’il(s) me surprenne(nt) ! Ce serait incroyable. Mettons les confessions et les avertissements de côté, j’ai le sentiment que nous allons finir par passer de l’autre côté de cette transition mondiale. J’espère qu’elle se déroulera de la manière la plus harmonieuse et surtout la moins violente possible.
Dans mon prochain article, je me concentrerai sur le pouvoir des « relais médiatiques » qui nous influencent tous sans le savoir (et dans de très rares cas en le sachant) et avec lesquels nous créons ainsi nos opinions sur la « réalité ».
Notes :
1) https://foreignpolicy.com/2024/07/04/brics-southeast-asia-thailand-malaysia-russia-china/
2) https://www.bbc.com/news/articles/cr7582l4015o
3) https://time.com/6695261/ukraine-forever-war-danger/
4) https://eurasiamagazine.com/putin-russias-economy-surpasses-japan-germany
5) https://www.cigionline.org/articles/americas-unipolar-moment-is-over-what-comes-next-is-unclear/
6) https://www.ft.com/content/5a1a5d17-d37b-4242-8241-d81daa7467fc
7) http://www.asjournal.org/65-2018/the-rise-and-demise-of-american-unipolarism-neoconservatism-and-us-foreign-policy-1989-2009/
8) https://www.forbes.com/sites/saradorn/2024/11/14/trumps-cabinet-here-are-his-picks-for-key-roles-rfk-jr-doug-burgum-matt-gaetz-and-more/
9) https://www.pressenza.com/2023/03/meet-the-faces-of-death/
Article traduit par Aimé Benois & Olivier Sezibera









