La mer ouvre des chemins que les puissants ont voulu fermer. Depuis Barcelone appareille la Flottille Mondiale Sumud, flottille de la persistance, de la constance, de la résistance. Une cinquantaine de bateaux qui ne transportent pas de bombes mais des vivres, qui n’embarquent pas de soldats mais des médecins, des artistes et des militants, qui ne tirent pas de missiles mais lancent le mot basta. La Méditerranée les accueille comme un frère et comme un juge. Chaque vague qui frappe les coques rappelle que dans ce voyage on ne lutte pas pour le pouvoir, on lutte pour la dignité. Gaza devient un aimant qui attire le regard du monde entier.
Sumud signifie fermeté en arabe
C’est le mot que les Palestiniens ont transformé en mode de vie, la persistance de continuer à semer, à élever et à aimer au milieu du dépouillement. Ce mot vogue aujourd’hui sur chaque drapeau de la flottille, sur chaque visage qui a choisi de quitter sa maison pour faire partie de cette traversée. La mission a commencé avec environ 200 personnes de 44 pays à bord de 30 bateaux partis de Barcelone, avec la promesse que d’autres embarcations venant de Tunisie et d’Italie se joindraient jusqu’à atteindre près de 500 personnes et plus de 50 navires. La moyenne d’âge s’étend des jeunes comme Greta Thunberg, âgée de 22 ans, aux militants de plus de 70 ans. Il y a des médecins, des avocats, des professeurs, des journalistes et des bénévoles qui savent qu’ils ne voyagent pas en tourisme solidaire, mais qu’ils partent affronter un blocus. Environ six sur dix sont des femmes, beaucoup d’hommes complètent la traversée, il y a quelques familles avec enfants, et un nombre significatif de médecins qui connaissent de près ce que signifie travailler dans des hôpitaux sous les bombardements.
Chaque lever de soleil en haute mer confirme que l’espoir continue de vivre
L’itinéraire se dessine avec l’incertitude des vents et la surveillance de drones hostiles. Ils sont partis de Barcelone le 31 août, certains ont fait escale à Minorque à cause des tempêtes, d’autres ont attendu dans des ports italiens et tunisiens. La mer est devenue à la fois refuge et menace, pause et élan. Chaque escale est une page écrite avec du sel et de la peur. Israël a déjà déployé des navires et des manœuvres pour annoncer que l’interception sera sa réponse. Mais chaque jour passé sur l’eau est aussi une victoire, car chaque lever de soleil en haute mer confirme que l’espérance continue de flotter. Leur arrivée à Gaza est prévue pour la mi-septembre, s’ils parviennent à résister aux menaces.
La cargaison est humble et en même temps immense. Médicaments, eau potable, couches, lait en poudre, denrées de base, équipements de dessalement. Chaque caisse pèse plus que l’acier d’un char parce qu’elle porte la vie en son intérieur. Il n’y a pas de contrebande sur ces bateaux, il y a de la justice. Il n’y a pas d’armes, il y a du soulagement. Il n’y a pas de discours, il y a du pain. La mer transporte ces caisses comme si elle savait que ce qui flotte sur elle n’est pas une marchandise, mais une dignité.
Gaza n’est pas seule
Les risques sont réels. Israël a déjà averti que les membres d’équipage pourraient être traités comme des terroristes, emprisonnés ou expulsés. Le souvenir de la flottille Mavi Marmara en 2010 résonne encore comme une plaie ouverte en Méditerranée. La mer n’oublie pas les disparus. Chaque personne qui est montée à bord le savait. Et pourtant ils se sont embarqués, car la plus grande défaite aurait été de rester chez soi à regarder Gaza mourir sur un écran. Le courage ne s’improvise pas, il s’assume, et sur chaque pont il est inscrit comme un journal d’honneur.
Cette flottille ne cherche ni à envahir ni à humilier. Elle veut montrer à Israël que le monde observe, que Gaza n’est pas seule, que la Méditerranée n’est pas la propriété privée d’une armée. Chaque bateau est un miroir qui reflète la barbarie d’un blocus qui condamne un million d’enfants à la faim. La mer, si souvent frontière des empires, devient aujourd’hui le théâtre d’une rébellion pacifique. Il n’y a pas de canons pointés depuis les ponts, seulement des voix qui crient basta.
Le monde réagit à moitié. Les gouvernements se taisent, les chancelleries calculent, les institutions hésitent. Mais les peuples écoutent et accompagnent. Chaque port où accostent les bateaux devient une tribune, chaque quai une place de résistance. L’Europe observe depuis ses plages comme si cela ne la concernait pas, tandis que l’Amérique latine ressent l’écho comme le sien. L’Iran, l’Inde, le Pakistan, la Chine, la Corée, toute l’Afrique savent que ce qui se passera marquera la politique mondiale. La mer multiplie ces voix comme un chœur global.
S’ils arrivent à Gaza, ce ne sera pas seulement de l’aide qu’ils apporteront. Ce sera l’espérance à l’état pur. Ce sera la certitude qu’il est encore possible de naviguer contre le pouvoir, de ramer contre l’injustice, de démontrer que tout n’est pas perdu. Les enfants de Gaza verront des bateaux à l’horizon et sauront que le monde entier ne les a pas oubliés. S’ils n’arrivent pas, s’ils sont interceptés, la victoire sera tout aussi grande. Car la peur d’un pouvoir qui craint davantage des bateaux chargés de pain que des armées entières apparaîtra au grand jour. La Méditerranée ne mesure pas les victoires par des débarquements, elle les mesure par le courage.
L’écho de cette flottille atteint aussi le sud du monde. Il arrive à Petare, à Rocinha, à la Villa 31, à tous les ghettos où la dignité se noie dans la pauvreté. L’Amérique latine reconnaît dans cette traversée le même abandon, la même violence, la même résistance. La mer qui embrasse aujourd’hui les côtes de Gaza parle aussi aux côtes du Pacifique et de l’Atlantique. Ce qui se joue dans ce voyage n’est pas seulement la liberté d’un peuple, c’est la dignité de tous les peuples.
Chaque embarcation porte à sa proue bien plus que des vivres. Elle porte un hymne au don de soi humain. Elle porte la certitude que la vie d’un enfant vaut plus que le confort d’un adulte. Elle porte le mot Sumud écrit sur chaque vague. Persistance, résistance, constance. La Méditerranée n’est pas seulement de l’eau, elle est mémoire et miroir. Et dans son ressac se répète la même phrase : Gaza n’est pas seule.
La Flottille Mondiale Sumud n’a pas seulement brisé le siège de Gaza. Elle a brisé le siège du silence mondial. Elle n’est pas venue rendre la justice de loin, elle est venue naviguer dans chaque cœur prêt à crier basta. Si elle atteint Gaza, elle aura allumé la torche de l’espérance. Si elle est interceptée, elle aura montré au monde que la barbarie ne craint pas les armées, elle craint la dignité. La Méditerranée sera toujours compagne et juge. Et tant qu’il y aura des bateaux qui naviguent contre l’injustice, il y aura de l’espérance pour l’humanité.
Le véritable pouvoir n’est pas dans le blocus, il est dans la mer qui ne se soumet jamais.









