Un jeune journaliste de Bukavu (dont nous ne citons pas le nom pour sa sécurité) raconte la vie sous le M23 (Mouvement du 23 Mars), le mouvement rebelle qui cache l’occupation rwandaise de l’Est de la République Démocratique du Congo, qui s’est étendue de Goma et alentours au Nord-Kivu jusqu’à Bukavu et alentours au Sud-Kivu à partir du mois de février 2025. Une dénonciation des injustices, mais aussi des mots d’espoir.
Vers la fin de l’occupation du M23 ?
A Katana, village du Sud-Kivu, récemment une maman m’a demandé : « Ces gens vont partir quand ? ». Je lui ai répondu que des initiatives sont en cours. Nous attendons encore de voir des signes de paix. Début juillet, on a vu arriver en ville des camions de jeunes congolais formés dans les rangs du M23. L’endoctrinement aura-t-il fait d’eux des rebelles ? Il est difficile de croire qu’un jeune qui connait l’histoire depuis 98 puisse être convaincu qu’ils viennent nous libérer : certains jeunes adhérent au Mouvement par contrainte, d’autres par intérêt, dans l’espoir de l’argent et d’un travail. Des rumeurs disent néanmoins que beaucoup de ces recrues formées, arrivées à Bukavu, auraient fui.
Un défi de l’Accord de Washington c’est la prévision du départ des troupes rwandaises. Dans l’armée rwandaise et donc dans le M23, il y a aussi des Congolais, Tutsi et Hutu, provenant des territoires de Rutshuru et de Masisi, qui ne sont pas si différents de ceux qui viennent directement du Rwanda. Cela compliquera le rapatriement.
Le texte de l’Accord cite plusieurs fois les rebelles rwandais FDLR, et le M23 seulement là où l’on parle des pourparlers de Doha : le Rwanda a donc validé sa thèse d’être au Congo pour se défendre des FDLR. Il y a aussi une faiblesse du gouvernement congolais, qui a envoyé aux pourparlers des experts qui ne connaissent pas la situation que nous vivons.
La semaine passée 7.000 militaires congolais sont arrivés à Uvira depuis Kalemie. Ils seraient déployés dans la Plaine de la Ruzizi. Est-ce que les FARDC se préparent à reprendre les villes occupées ? La situation est confuse.
La vie sous l’emprise du M23
L’insécurité est toujours grande. Il y a quelques jours, on a ramassé deux corps en ville, une balle dans la tête, le mode opératoire typique des M23. Dans la nuit d’avant-hier on a vandalisé le bureau de la Société civile de Walungu. Hier on a tué le vice-président du cadre de concertation de la Société civile de Kabare.
La fouille des maisons à la recherche des armes, devrait se faire en présence du chef d’avenue, mais maintenant une dizaine de militaires du M23 entre à l’imprévue et fouille partout. Nos enfants sont traumatisés. Fréquents sont les cas de cambriolage, d’attaque à main armée et d’autres cas d’insécurité dont on ne connait pas les auteurs. Des maladies font rage en ville de Bukavu et dans les environs, comme le choléra à Luhihi, la rougeole à Shabunda…
L’économie sur le plan général ne marche pas : les banques demeurent fermées, ce qui a frappé surtout les entrepreneurs, les fonctionnaires et les agents des ONG, beaucoup desquelles ont fermé. L’Etat congolais paie les fonctionnaires à travers l’e-money, mais il faut payer un haut pourcentage qui varie entre 4 et 10%. Certains recourent à de petits points de service bancaire, mais en payant plus des frais bancaires. Le taux de change n’est pas stable. Le petit citoyen, lui, est normalement moins affecté par la fermeture des banques : avec son petit capital de quelques dizaines de dollars qu’il possédait à l’arrivée du M23, il continue à aller au Rwanda acheter les marchandises (légumes, fruits, viandes, tubercules, …) à revendre.
Il n’y a plus d’accès à la Plaine de la Ruzizi, dont venaient le riz, le manioc, les poissons secs… Beaucoup de camions entrent en ville de Bukavu par le Rwanda, en provenance de Tanzanie. Ceux qui gagnent beaucoup en cette situation ce sont les grands commerçants qui collaborent avec le M23, tandis que les petits citoyens, surtaxés, sont vraiment affectés. Il est très difficile de voyager à l’étranger : le Burundi refuse les documents de migration donnés par les rebelles et on est obligé de passer par le Rwanda, aller à Kasindi, au niveau de Butembo, acheter un document délivré par les autorités congolaises et avec cela entrer en RD Congo.
A Bukavu, la REGIDESO n’est plus à mesure d’acheter elle-même des intrants pour la purification de l’eau : selon un communiqué du Syndicat des agents de cette entreprise, le M23 prendrait le 50% des recettes. Malgré le désaccord des agents, récemment le M23 a nommé à la SNEL un sous-directeur, poste qui n’a jamais existé. Le vice-gouverneur, choisi par le M23, a nommé un comité de gestion à l’ISTM, l’Institut des Techniques Médicales, ce qui n’est pas dans ses attributions, et les étudiants ont protesté.
L’information muselée
Les conditions de l’information s’assombrissent. La société civile ne peut pas parler, les médias sont muselés. Certains ont décidé de travailler avec les M23, d’autres ont pris les distances et abandonné la lutte. La chasse à l’homme est plus mentale : on est dans la peur mentale, on craint de faire ce qui est à faire, mais au moins, en tant que défenseurs des droits humains, on garde la documentation de tout ce qui se passe au pays et dans la zone occupée.
Il n’y a pas deux semaines, les autorités du M23 ont réuni les responsables des médias traditionnels et les fournisseurs d‘internet et leur ont donné les lignes de conduite : il faut donner une bonne image des M23 comme libérateurs et donner beaucoup d’attention à ce qui se passe à Minembwe où on tue des Banyamulenges. Il est aussi interdit au journaliste de parler de ce qui se passe ailleurs en RDC.
On est parfois obligé d’observer sans rien faire et cela crée un sentiment de frustration et de fatigue. Quand ils nous voient, ils savent néanmoins que nous ne sommes pas d’accord avec eux. Ils ont dit aux petits commerçants de Katana, en exigeant des taxes illégales : « Nous savons que vous ne nous aimez pas, vous aimez vos frères Wazalendo, alors vous devez payer nos taxes ».
Des règlements des comptes et de la solidarité
Beaucoup de gens se sont entretués pour de petits conflits, avec des armes qui ont été jetées un peu partout (par les militaires en fuite, ndt)… Le chantre congolais Idengo, tué bout portant à Goma, avait chanté : « Ils nous envahissent, parce que nous avons manqué d’amour et d’union ». Le M23 ne saurait pas être fort sans des complices congolais. Beaucoup ont profité de cette situation de non-état pour s’entraccuser et gagner de l’argent. Ils donnent de l’argent de corruption au M23 pour faire du mal, pour faire passer une cause sans justice. C’est ainsi qu’à Bukavu se multiplient les chantiers. Le 16 février dernier, jour de son arrivé, le M23 s’est emparé de six voitures land-cruiser du projet PICAGEL : quelqu’un qui vient du Masisi ou du Rwanda pouvait-il connaitre ce dépôt ?
D’autre part, cette guerre a montré une certaine solidarité entre nous, les gens essaient de se mettre ensemble pour s’échauffer le cœur et s’appuyer mutuellement. Par exemple, le bailleur d’une maison a dit à son locataire de ne pas se soucier pour le paiement du loyer et de passer chez lui, ainsi que sa famille, chaque fois qu’il manquerait à manger. Des femmes vendent des poissons en les transportant sur la tête. Elles connaissent des maisons qui sont leurs clients depuis longtemps. Elles disent : tu peux prendre cela, l’argent tu me le donneras après. Il y a ces petits gestes de solidarité.
Dans notre communauté de base on cotise chaque semaine pour les malades. De jeunes journalistes qui aident les orphelinats parce qu’il y a beaucoup d’orphelinats qui sont actuellement en difficulté car les bailleurs ne donnent plus. Certaines écoles et Universités ont accepté que les parents paient d’une manière échelonnée les taxes requises, tant que le M23 n’a pas imposé de taxes.
On avait tué quelqu’un et son corps gisait sur un escalier public vers Pageco ; la vision était insupportable. Une maman qui passait a pris son pagne et l’a couvert. Quand quelqu’un a un deuil, ou est malade à l’hôpital, les gens rendent visite et aident, comme auparavant.
Signes de résilience
La joie et la fête n’ont pas disparu. Des gens qui ne comprennent pas pensent qu’on serait en connivence avec les rebelles, mais c’est une forme de résistance. Dans les marchés pirates sur les trottoirs de la ville, les mamans ne sont pas parties : on y trouve toujours des habits, des tomates, de la viande… Le Vice-gouverneur leur avait donné 72 h pour qu’elles quittent ; les militaires sont même venus avec des armes, ils amenaient avec eux deux ou trois mamans, mais quelques minutes après, elles revenaient et réoccupaient les places.
Les mamans voient cet endroit comme favorable à la vente, surtout en ce temps de crise, et d’ailleurs elles ne pourraient pas payer une place au marché. Alors, les M23 sont revenus avec des fouets et ont tabassé tous ceux qu’ils rencontraient. Les mamans ont beaucoup perdu, mais une heure après, d’autres sont venues vendre au même endroit. Les M23 sont-ils fatigués ou préparent-ils une opération plus dramatique ? Ces femmes n’ont pas d’autre source pour nourrir leur famille.
La grande majorité des gens ne sont pas d’accord avec cette occupation et bien qu’on soit dans une situation d’impuissance, ils manifestent leur mécontentement, même dans les bus, sur les places et dans les réseaux sociaux : c’est déjà un remède, une forme de résilience. Difficile de contrôler !
Un jour, au niveau de la Place de l’Indépendance, un jeune M23 avait fait descendre les passagers d’un bus mal stationné et voulait arrêter le chauffer. Une femme a réagi : « Tu sais, tout cela va se terminer ». L’homme a dit : « Dis-moi ce que tu me feras après. Je vais appeler les gens de la sûreté et tu t’expliqueras devant eux ». La majorité des gens alentour soutenait la femme. Certains ont demandé pardon pour elle et l’homme a été obligé d’accepter et la maman est partie.
Les jeunes, l’espoir
Il y a de l’espoir, pas seulement pour le Kivu, mais pour tous les pays de la sous-région et aussi pour le Rwanda, surtout pour les jeunes rwandais. Je suis congolais, mais j’ai beaucoup d’amis rwandais, Hutu et Tutsi. En tant qu’économiste, j’ai eu des consultants chez eux. L’avenir de la sous-région passe par la jeunesse, si nous prenons conscience de notre rôle pour le changement du système mis en place par nos dirigeants, et c’est possible de travailler ensemble.
Je dis aux jeunes rwandais : « Vous n’avez pas beaucoup d’espace pour faire l’agriculture, nous en avons. Venez chez nous, vous avez la technologie, nous l’espace… Travaillons à abandonner les divisions politiques, que nos dirigeants comprennent que trente ans, c’est suffisant !». Mobutu a régné 32 ans, Kagame est à la 30ème année d’occupation de la RD Congo. Bientôt cela va se terminer. On espère entrer dans une nouvelle phase d’une sous-région réconciliée, pas par plaisir mais parce qu’aussi la justice a été rendue.
Faisons de la justice un des piliers pour une réconciliation d’abord entre nous tous Congolais, car parmi nous il y a beaucoup de traitres ; entre rwandophones et non rwandophones ; que ceux qui ont fait des torts à d’autres en répondent devant la justice ; réconciliation entre tous les peuples de la sous-région, entre les Tutsi et les Hutu du Rwanda, les Tutsi et les Hutu du Burundi. Nous devrions apprendre de nos erreurs : nous sommes tous victimes parce qu’on a mis des gens au pouvoir qui ne sont pas préparés et qui n’ont pas un savoir-faire utile pour la communauté.
Je pense que l’avenir pour le Sud-Kivu, la RD Congo et la sous-région sera meilleur, mais il faut une jeunesse consciente, des politiciens conscients, une volonté de faire autrement. On peut faire du Congo un grand pays pour les générations futures, un moteur de développement de toute l’Afrique, et c’est possible.
(Témoignage du 7 juillet 2025, revu le 14 août 2025)









