Qui ne contrôle pas son énergie n’a pas de patrie, il a un territoire.

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Le monde de l’énergie et le nouveau colonialisme

L’énergie ne se résume pas à l’électricité, ni au pétrole, ni aux turbines qui tournent au gré du vent. L’énergie, c’est le pouvoir, c’est l’indépendance ou la vassalité, c’est la guerre ou le développement. Et ce à quoi nous assistons aujourd’hui, à l’échelle planétaire, n’est pas une transition propre vers un monde vert, mais une reconfiguration brutale du pouvoir mondial. Sous le langage poli de la décarbonation se cache une course au contrôle des sources, des minéraux, des voies d’approvisionnement et des technologies.

Qui contrôle l’énergie contrôle le monde. Qu’il s’agisse de charbon, de pétrole, de gaz, de lithium ou d’uranium, ou d’énergies renouvelables ou fossiles, peu importe. Ce qui compte, c’est qui tient le commutateur. Et aujourd’hui, ce commutateur n’est plus là où il était. Les États-Unis ne contrôlent plus tout, l’Europe en dépend de plus en plus, la Chine le codifie, la Russie l’utilise comme une arme, et le Sud, comme toujours, y renonce.

Pendant des siècles, les empires se sont bâtis avec des mines, des esclaves et des navires. Aujourd’hui, ils sont bâtis avec des câbles de cuivre, des réacteurs nucléaires, de l’hydrogène vert et des batteries au lithium. Mais la situation n’a guère changé. L’Afrique continue d’exporter de l’énergie brute, l’Amérique du Sud continue de fournir de l’énergie brute, l’Océanie continue de creuser pour d’autres ressources, et l’Antarctique attend, figée, d’être partagée.

Le nouveau colonialisme ne s’accompagne ni de croix ni de fusils ; il s’accompagne de contrats, de brevets, de subventions et d’accords de libre-échange. Il parle anglais, parfois chinois, se présente comme un « investissement », mais fonctionne comme une dépossession. Car il ne suffit pas d’avoir de l’énergie ; il faut la contrôler, la transformer, en décider. Et cela, au cours de ce siècle, ce sera la souveraineté ou rien.

Une brève histoire de l’énergie mondiale

Le premier acte de puissance humaine fut d’allumer une flamme. Il n’y eut ni discours ni traité, seulement du feu. L’énergie, avant les mots, était la souveraineté. Depuis le Néolithique, l’humanité vit de sa capacité à dominer une source d’énergie, à la développer, à la distribuer et (enfin) à la transformer en hégémonie. D’abord le bois de chauffage, puis le charbon de bois. Grâce à lui, on cuisinait, on fondait les métaux et on construisait les premières villes. Mais le capitalisme n’existait pas encore ; l’énergie n’était pas encore une marchandise.

La révolution industrielle changea tout. Le charbon cessa d’être domestique pour devenir impérial. L’Angleterre fonda son empire sur des mines profondes, des cheminées, des locomotives et des usines. Les villes se remplirent de fumée, les poumons de suie, mais les caisses de l’Europe grossirent. La machine à vapeur fut plus décisive que n’importe quel roi.

Puis vint le pétrole, le grand liquide noir du XXe siècle. Avec lui, les armées se déplacèrent, les gratte-ciel s’élevèrent et la mondialisation s’intensifia. Chaque coup d’État au Moyen-Orient, chaque invasion en Amérique latine, chaque guerre déguisée en démocratie s’accompagnait d’un oléoduc ou d’un contrat d’extraction. Puis, lorsque le pétrole a commencé à montrer son coût écologique, l’uranium est arrivé, la promesse atomique, l’énergie infinie, disait-on. Jusqu’à ce que les noms de Tchernobyl, Fukushima, Three Mile Island se fassent entendre.

Les barrages étaient l’autre face de la médaille : ils étaient synonymes de contrôle de l’eau, de déplacements de populations, d’inondation de forêts entières. Les grandes centrales hydroélectriques promettaient la modernisation, mais ne faisaient souvent que consolider les inégalités. Là où l’énergie était produite, l’électricité ne l’atteignait pas.

Le XXIe siècle a marqué la grande transition, non pas comme solution, mais comme un marché. Les énergies « vertes » sont contrôlées par les mêmes acteurs. Le lithium a remplacé le pétrole, mais les contrats restent coloniaux. Les matrices énergétiques définissent aujourd’hui si un pays sera libre ou subordonné, s’il sera producteur ou servile, car la matrice n’a pas changé, la couleur du pillage a changé.

Afrique. Le continent illuminé de l’extérieur

L’Afrique brûle, non pas à cause de sa population, mais à cause de son énergie. Le continent le plus ensoleillé de la planète, avec ses immenses fleuves, ses déserts à perte de vue et ses sous-sols gorgés de pétrole, de gaz, d’uranium, de charbon et de soleil, reste une terre sombre. Non pas par manque de ressources, mais à cause d’un pillage excessif.

Le Nigeria pompe des millions de barils par jour, l’Angola exporte du pétrole brut vers la Chine et l’Europe, la Libye a été paralysée non pas par sa dictature, mais par son pétrole. L’Algérie est une puissance gazière qui chauffe la moitié de l’Europe, tandis que sa propre population souffre de coupures de courant. Le Mozambique, récemment découvert, est devenu le nouvel objet de convoitise des plus grandes compagnies gazières mondiales, et l’uranium du Niger alimente les centrales nucléaires françaises, bien que plus de 80 % de la population nigérienne n’ait pas accès à l’électricité.

La République démocratique du Congo possède l’une des plus grandes capacités hydroélectriques au monde, le fleuve Congo rugissant comme une turbine naturelle, mais son énergie ne suffit toujours pas à électrifier les villages, à éclairer les écoles ou à refroidir les vaccins. Elle est exportée, privatisée et cédée.

Pendant ce temps, le soleil africain, inépuisable et omniprésent, n’est pas encore devenu une énergie souveraine. Les grandes entreprises énergétiques européennes et chinoises ont commencé à installer des centrales solaires géantes… mais pour exporter de l’électricité vers l’Europe via des câbles sous-marins. L’Afrique reste éclairée, mais de l’extérieur.

70 % des sources d’énergie africaines sont contrôlées par des entreprises étrangères. Shell, TotalEnergies, ENI, Sinopec. Les acronymes changent, mais le modèle reste le même. C’est toujours le même : la ressource circule, la richesse non. L’énergie est extraite, mais pas redistribuée. Le kilowatt africain fait le tour du monde, tandis que des millions d’Africains cuisinent au bois.

Ce n’est pas un problème technique, c’est une structure de pouvoir. C’est un continent qui ne définit pas sa matrice énergétique, il s’y soumet. L’Afrique produit et exporte, mais consomme à peine 3 % de l’énergie mondiale. Le même continent qui électrifie le Nord se meurt dans l’ombre. L’Afrique illumine le monde, mais meurt dans l’obscurité.

L’Amérique du Sud, abondance sans autonomie

L’Amérique du Sud devrait être une puissance énergétique mondiale. Elle possède du pétrole au Venezuela, au Brésil, en Colombie et en Équateur, du gaz en Bolivie et en Argentine, du cuivre au Chili et au Pérou, du soleil sur l’Altiplano, du vent en Patagonie, de l’eau en Amazonie et dans les fleuves qui sillonnent le continent comme des artères liquides. Pourtant, elle continue de dépendre des investissements étrangers, des exportations brutes et de la promesse éternelle de « s’industrialiser un jour ».

Le Venezuela, qui possède les plus grandes réserves de pétrole au monde, a été sanctionné et encerclé jusqu’à l’asphyxie de son industrie. Le Brésil promeut sa transition énergétique avec de grands barrages et des biocarburants, mais Petrobras subit des pressions politiques et la tentation de la privatisation. La Bolivie rêvait d’un système gazier et d’hydrocarbures populaire et communautaire, mais le coup d’État a interrompu cette voie. L’Argentine, prise entre le gaz de Vaca Muerta et le Fonds monétaire international, oscille entre souveraineté et servitude.

Le Chili et le Pérou extraient le cuivre, essentiel à tout réseau électrique du monde moderne, mais ils le vendent brut, non transformé, sans véritable prix ni contrôle du marché. Quant au lithium (ce « nouveau pétrole »), il est livré sous contrat avec des entreprises chinoises, australiennes et américaines, avec une capacité locale de traitement ou de stockage minimale. Les parcs éoliens et solaires sont souvent également aux mains de capitaux étrangers. Le vent souffle, mais il n’appartient à personne.

Le paradoxe est brutal : un continent disposant de toutes les sources d’énergie possibles, mais sans énergie. Les réseaux électriques restent fragiles, les industries restent dépendantes des combustibles fossiles, et les peuples autochtones (qui ont habité ces terres avec respect pendant des millénaires) sont déplacés au nom du progrès.

L’histoire se répète ainsi, comme à l’époque coloniale : l’extraction est pour les autres. Comme au XXe siècle, l’industrialisation est lointaine. Comme toujours, elle est planifiée de l’extérieur.

L’Amérique du Sud a tout sauf le contrôle de son énergie. Et si elle ne se réveille pas, elle redeviendra une colonie.

L’Amérique du Nord, le pillage des entreprises et la fausse transition

Les États-Unis consomment plus d’énergie que tout autre pays de la planète, à l’exception de la Chine. Mais leurs réserves diminuent.

Non pas parce qu’elles sont épuisées, mais parce qu’elles sont hypothéquées par une logique de consommation insatiable et un modèle économique qui privilégie la domination mondiale au détriment de la durabilité nationale. Le pays qui a mené l’ère pétrolière pousse désormais le monde vers une transition énergétique qui lui permettra de rester au sommet, même au prix de la vérité.

Lithium, gaz de schiste, fracturation hydraulique, terres rares, appropriation des eaux souterraines : tout cela fait partie du même écosystème de pouvoir. Les États-Unis ne cherchent pas seulement de l’énergie ; ils cherchent à la contrôler. Le gaz de schiste leur a offert un répit, mais il a aussi contaminé des milliers de kilomètres d’aquifères. La fracturation hydraulique a dévasté des régions entières du Texas, des Dakotas et de la Pennsylvanie. La Maison-Blanche parle d’énergie propre tandis que les communautés autochtones de Standing Rock et des Appalaches dénoncent la dévastation. Pendant ce temps, le mix énergétique reste inchangé : 60 % d’énergies fossiles, 20 % de nucléaire et à peine 20 % d’énergies véritablement renouvelables.

Le Canada, sous son image de pays vert et socialement responsable, cache un modèle extractiviste féroce. Des entreprises comme Barrick Gold, Teck Resources, Cameco et Nutrien opèrent en Amérique latine, en Afrique et en Asie, avec des pratiques qui seraient illégales sur leur propre territoire. L’exploitation des sables bitumineux en Alberta a laissé une plaie écologique de la taille de pays entiers, et la prétendue neutralité énergétique du Canada est financée par des hydrocarbures polluants exportés dans le monde entier.

Ces deux pays, sous couvert de « transition », déploient un nouveau colonialisme énergétique. Mais non pas au nom du pétrole, mais du lithium, du cuivre et de l’hydrogène. L’ennemi n’est plus le communisme, mais la dépendance technologique à la Chine. Ils n’envahissent plus l’Irak, ils sanctionnent la Bolivie.

Ils n’extraient pas pour vivre, ils extraient pour dominer. Et dans cette équation, l’énergie reste une arme.

L’Europe et la dépendance déguisée en transition

L’Europe se vante de son efficacité énergétique, de ses politiques vertes, de ses éoliennes et de ses villes intelligentes. Mais sous cet étalage de modernité se cache une vérité dérangeante : elle manque de ressources pour pérenniser son modèle, et elle le sait.

Le continent le plus industrialisé du XIXe siècle est aujourd’hui l’un des plus dépendants. Il importe plus de 85 % de son énergie primaire, et le paradoxe est brutal : sans mines, sans lithium, sans soleil abondant, sans vent suffisant, l’Europe tente de mener la transition énergétique mondiale, mais elle le fait avec des ressources étrangères. Avec le gaz russe (en l’absence de sanctions), l’uranium du Niger, l’hydrogène marocain, le lithium bolivien et le cuivre chilien.

L’Allemagne, la France et le Royaume-Uni ont certes opté pour les énergies renouvelables, mais ils ont aussi réactivé des centrales à charbon lorsque le gaz se faisait rare. Ils ont subventionné les voitures électriques tout en négociant des minerais avec les dictatures africaines. Et ils ont promu une « souveraineté verte » qui, en pratique, reste liée aux liens du Moyen-Orient, de la Russie et de l’Amérique du Sud.

L’énergie nucléaire, quant à elle, divise le continent. La France défend ses réacteurs comme un pilier de son système énergétique ; l’Allemagne les a fermés et le regrette aujourd’hui. La Pologne veut construire les siens, tandis que l’Italie hésite entre la fission et le solaire. Mais tous s’accordent sur un point : personne ne veut dépendre de Moscou, même s’ils ne peuvent pas non plus l’éviter.

Le discours européen est celui de l’« autonomie énergétique ». La réalité prouve le contraire : contrats avec le Qatar, centrales flottantes dans la Baltique, lithium acheté à des prix exorbitants. La « souveraineté » énergétique européenne est, en réalité, une chorégraphie diplomatique.

L’Europe vend des turbines, mais elle ne peut pas chauffer ses hivers sans la Russie, et c’est là toute l’ironie : elle exporte sa conscience écologique, mais importe les minéraux qui la nourrissent des pays qu’elle a autrefois colonisés. La transition énergétique européenne n’est pas une libération, c’est un tournant. Elle a changé de source, mais pas de dépendance.

Russie et Asie centrale : des réserves inquiétantes

Ce n’est pas un hasard si l’Europe tremble à chaque fois que Moscou ferme une vanne. Ni si les États-Unis font pression pour bloquer tous les pipelines traversant l’Ukraine ou la Turquie. La véritable puissance de la Russie ne réside pas dans ses réservoirs, mais dans ses pipelines, ses réserves souterraines, ses gisements gelés qui approvisionnent la moitié de la planète en gaz, pétrole, charbon et uranium.

La Russie est la deuxième source mondiale de réserves de gaz naturel, l’un des plus grands producteurs de pétrole brut et l’un des rares pays à maîtriser l’ensemble du cycle nucléaire. À cela s’ajoute sa capacité d’exportation, avec plus de 50 000 kilomètres de gazoducs reliant la Sibérie à l’Europe et à l’Asie. Son énergie ne se contente pas de chauffer les foyers, elle tempère aussi les décisions politiques.

L’Asie centrale est son arrière-garde stratégique. Le Kazakhstan possède 12 % de l’uranium mondial et est membre de l’OPEP+. L’Ouzbékistan fournit du gaz, du pétrole et des routes. Et toute la région forme un corridor énergétique aussi pertinent que silencieux, de plus en plus convoité par la Chine et surveillé de plus en plus par l’Occident.

La puissance énergétique russe ne repose pas sur des discours, mais sur des infrastructures. Sur des oléoducs qui traversent la moitié du continent. Sur des accords bilatéraux qui contournent les sanctions. Sur des centrales nucléaires construites par Rosatom en Égypte, en Turquie, en Hongrie et au Bangladesh. Tandis que d’autres pays exportent des minéraux, la Russie exporte son influence.

Les sanctions étasuniennes et européennes n’ont pas affaibli cette puissance ; elles l’ont réorientée. Aujourd’hui, la Russie vend plus de gaz à la Chine qu’à l’Europe. Elle a créé son propre système de paiement de l’énergie et consolidé sa place au sein de l’OPEP+, s’alignant sur l’Arabie saoudite pour jouer un jeu d’échecs sur les prix qui défie le dollar et le libre marché.

Car au XXIe siècle, l’énergie n’a pas besoin de permis, de passeports ou de traités. L’énergie n’a pas besoin de visas, seulement de pipelines, et tant que ces pipelines continueront de circuler, la Russie continuera d’exercer son influence. Non pas par des applaudissements diplomatiques, mais par le thermostat mondial.

La Chine. L’usine qui transforme tout en énergie

La Chine ne se contente pas de produire des choses, elle produit de l’électricité. Énergie, géopolitiquement, technologiquement. Elle n’a pas besoin de posséder toutes les matières premières ; il lui suffit de savoir les transformer mieux que quiconque.

Le géant asiatique est aujourd’hui le premier consommateur d’énergie au monde, mais aussi le premier producteur. Il produit plus de 70 % du charbon qu’il consomme, exploite plus de 1 100 centrales hydroélectriques, domine le monde en termes de capacité installée d’énergie solaire et éolienne, contrôle 60 % du raffinage mondial du lithium et fabrique 75 % des batteries lithium-ion de la planète. À cela s’ajoute un programme nucléaire ambitieux : plus de 50 réacteurs en service et au moins 20 en construction, utilisant sa propre technologie.

Il ne possède pas tout le lithium, mais il possède toutes les fonderies. Il n’extrait pas d’uranium en grandes quantités, mais construit et exploite des réacteurs en série. Il n’est pas riche en pétrole, mais dispose de réserves stratégiques et d’accords avec l’Iran, la Russie et l’Afrique. Au lieu de dépendre d’une seule ressource, ils diversifient leurs sources et, surtout, créent de la valeur.

Alors que l’Occident stagne dans les débats idéologiques sur la transition énergétique, la Chine la poursuit comme une stratégie nationale. Ses entreprises, souvent publiques ou à participation publique, dominent non seulement le marché intérieur, mais achètent également des centrales électriques, des mines et des réseaux en Asie, en Afrique, en Europe et en Amérique latine. Ses infrastructures ne se résument pas à l’acier et aux câbles ; elles constituent une politique étrangère.

CATL, BYD, State Grid, China Three Gorges, Sinopec et CNNC sont des noms techniques, mais ils constituent aussi l’épine dorsale du nouvel ordre énergétique. Depuis 2015, la Chine exporte des centrales électriques complètes, des trains électriques, des systèmes solaires et des systèmes de stockage d’énergie. Elle ne vend pas des ressources, mais le système dans son ensemble.

Et le plus inquiétant pour ses concurrents est qu’ils font tout cela sans avoir besoin d’occuper militairement le moindre territoire. La Chine ne dépend pas du monde ; le monde dépend de son énergie. Et dans cet équilibre inversé, une nouvelle hégémonie émerge, sans bombes, mais avec des volts.

Inde et Asie du Sud-Est : une croissance tirée par le charbon et le soleil

L’Inde brûle du charbon pour alimenter sa croissance, mais se tourne vers le soleil avec espoir. C’est le paradoxe d’un pays qui a besoin d’énergie pour survivre, mais qui souhaite également mener la transition. Plus de 70 % de son électricité provient encore du charbon, bien qu’il soit le quatrième pays doté de la plus grande capacité solaire installée au monde. Ce n’est pas faute d’intention, mais bien par urgence. Le besoin d’énergie dépasse toute politique climatique.

La demande est vertigineuse. 1,4 milliard de personnes, et des dizaines de millions d’autres sortent de la pauvreté chaque année, ont besoin d’éclairage, de réfrigération et de transports. Les énergies renouvelables progressent, mais pas au rythme actuel. Parallèlement, l’Inde investit dans des réacteurs nucléaires, des barrages, le biogaz et des parcs solaires au Rajasthan, au Gujarat et au Tamil Nadu. Mais le charbon continue de régner parce qu’il est bon marché, parce qu’il est déjà présent et parce qu’il fonctionne.

L’Indonésie, les Philippines, le Vietnam, le Laos et le Cambodge reproduisent le même schéma : croissance désordonnée, investissements étrangers et destruction environnementale. L’énergie provient de mines à ciel ouvert, de barrages qui inondent la jungle et de centrales à charbon financées par le Japon, la Corée ou la Chine. La matrice énergétique de l’Asie du Sud-Est n’est pas entre leurs mains ; elle est entre leurs mains.

Alors que l’Occident parle de transition énergétique, dans cette partie du monde, le mot clé est « accès ». Des millions de personnes cuisinent encore au bois, des milliers meurent par manque de ventilation. Les fermes solaires installées en Asie du Sud alimentent des usines textiles pour l’Europe, et non des foyers modestes. C’est toujours la même histoire : produire de l’énergie pour les autres, mais pas pour soi-même.

Et pourtant, les discours abondent. Il y a des conférences sur le climat à Jakarta, des engagements à la COP, des discours à Davos, mais il n’y a ni câbles, ni transformateurs, ni souveraineté.

Des millions de pauvres illuminent les rêves des riches, et la fumée du charbon est le prix qu’ils paient pour ne pas être laissés dans l’ignorance.

L’Océanie et l’énergie à l’exportation, mais pas pour tous

L’Australie est une superpuissance énergétique, mais elle agit comme une colonie d’exportation. Elle produit du charbon, du gaz naturel liquéfié, du lithium, de l’uranium, de l’hydrogène vert et même de l’énergie solaire à l’échelle industrielle, mais pas pour sa population. Son modèle énergétique n’est pas conçu pour garantir l’accès, mais plutôt pour soutenir les contrats d’exportation avec le Japon, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde et l’Europe.

Le pays est le deuxième exportateur de charbon thermique de la planète, le premier exportateur de gaz naturel liquéfié depuis des années et un acteur majeur du lithium raffiné. Mais ces chiffres ne se traduisent pas par un bien-être équitable. Les communautés aborigènes vivant dans des zones minières comme le Pilbara, le Queensland et le Territoire du Nord n’ont ni électricité stable ni accès garanti à l’eau potable. Le pillage se déroule au grand jour et avec des subventions de l’État.

Les entreprises font la loi. BHP, Rio Tinto, Fortescue, Woodside et Origin Energy façonnent la politique énergétique australienne. Elles décident de ce qui est extrait, de son prix de vente et de ce qui n’est pas discuté. Et tandis que le discours officiel parle de « transition énergétique » et de « leadership climatique », le pays continue d’investir dans de nouveaux projets d’énergies fossiles.

Pire encore, l’Australie a transformé ses territoires en zones de sacrifice industriel. Les champs solaires du désert ne sont pas reliés à des villages isolés ; ils sont conçus pour alimenter des plateformes d’exportation. Son mégaprojet Sun Cable visait à acheminer l’électricité solaire via un câble sous-marin de 5 000 km jusqu’à Singapour, et non jusqu’aux foyers d’Alice Springs.

La Nouvelle-Zélande est une autre histoire ; bien que sa production énergétique soit plus faible, elle a privilégié la production hydroélectrique, géothermique et éolienne locale. Plus de 90 % de son électricité provient de sources propres. Elle n’a pas vendu l’âme de son paysage à des sociétés minières ou gazières ; elle a moins besoin, elle vit avec moins, mais elle vit mieux.

L’Australie ne fournit pas d’énergie, elle est source d’activité économique, et lorsque le désert brille par ses panneaux solaires, ce n’est pas pour chauffer les maisons, mais pour améliorer ses finances.

Antarctique et Arctique : l’énergie gelée du futur

La dernière frontière énergétique de la planète ne se trouve pas sous terre, mais sous la glace. L’Antarctique et l’Arctique recèlent tous deux des réserves potentielles de pétrole, de gaz naturel, d’uranium et de minéraux stratégiques encore inexploités, mais déjà disputés.

En Arctique, la fonte des glaces causée par le changement climatique a ouvert de nouvelles voies de navigation et mis à jour des gisements auparavant inaccessibles. La Russie, la Norvège, les États-Unis, le Canada et le Danemark se disputent le contrôle des plateaux continentaux et des passages nordiques. Moscou a déployé des brise-glaces nucléaires et des bases militaires, tandis que Washington a renforcé sa présence navale. L’Arctique se refroidit sur les cartes, mais se réchauffe dans les traités.

L’estimation est brutale : plus de 20 % du pétrole et du gaz non découverts dans le monde se trouvent dans cette zone. Mais on y trouve aussi du lithium, des terres rares et de l’eau douce. L’énergie du XXIe siècle est déjà en jeu, mais avec des règles du XIXe siècle.

En Antarctique, le Traité de 1959 interdit l’exploitation des ressources, mais il ne l’interdit pas pour toujours. L’année 2048 est cruciale : de nombreux pays se préparent déjà à renégocier cet accord. La Chine a installé des bases scientifiques qui semblent relever de la logistique. Le Royaume-Uni, le Chili, l’Argentine, l’Australie et les États-Unis revendiquent des zones de chevauchement, le tout sous couvert de rhétorique scientifique et de protection de l’environnement. Mais chacun sait que le véritable intérêt se cache sous la glace.

Ces deux régions recèlent ce que le monde est en train de perdre : des réserves intactes, des écosystèmes intacts et une énergie inexploitée. Le problème n’est pas de savoir si ces ressources seront exploitées, mais de savoir quand et qui y parviendra le premier.

« La glace est la prochaine mine. Et quand elle fondra, ce sera la guerre.» Car l’ambition mondiale ne se fige pas ; elle se déguise en science tout en s’aiguisant.

Énergie et souveraineté ou soumission totale

L’avenir ne se discute plus lors de sommets ; il se négocie en mégawatts. Il ne se décide plus dans les parlements ; il se signe dans des contrats énergétiques. Elle ne se définit pas par des idéaux ; elle se mesure par la capacité installée et le contrôle territorial. En ce siècle, la souveraineté n’est plus un concept juridique : c’est une équation énergétique.

Qui produit ? Qui contrôle ? Qui consomme ? Telle est la nouvelle division du monde. Non pas entre démocraties et dictatures, ni entre gauche et droite, mais entre pays qui produisent de l’énergie de manière indépendante et ceux qui l’importent endettés. Entre ceux qui gèrent leurs ressources et ceux qui vendent leur matrice énergétique en échange de financements extérieurs.

La prétendue « transition énergétique » est devenue un défilé de promesses vertes sans véritable contenu politique. De nombreux pays annoncent la fin du charbon, mais dépendent des importations de gaz liquéfié. Ils célèbrent les parcs solaires, mais leurs panneaux proviennent de Chine. Ils parlent d’indépendance, mais signent des accords avec les mêmes multinationales qui leur vendaient hier du pétrole et aujourd’hui des batteries.

Pendant ce temps, les gens continuent de payer avec des coupures de courant, des factures impayées, des territoires sacrifiés, des barrages qui inondent les communautés, des gisements de lithium qui assèchent d’anciens lagons, des lois de concession rédigées par des cabinets d’avocats internationaux. Tout cela pour alimenter une matrice qui n’appartient pas à ceux qui l’habitent.

Car l’enjeu n’est pas seulement la manière dont nous produisons de l’énergie, mais aussi pour qui et dans quelles conditions.

Il n’y a pas de transition sans justice, pas d’avenir sans souveraineté, pas de développement sans véritable contrôle du kilowatt. Le reste n’est que du marketing déguisé en politique, de belles paroles influencées par quelqu’un d’autre.

« Le XXIe siècle sera électrique, solaire, vert ou nucléaire. Mais s’il n’est pas souverain, ce sera de l’esclavage caché. Il ne s’agit pas seulement d’un débat énergétique, mais d’un débat politique. Quiconque contrôlera l’hydrogène vert dans les 20 prochaines années contrôlera l’industrie, les transports, l’alimentation, le commerce mondial ; il contrôlera l’avenir.

Et l’avenir n’est pas attendu, il est contesté. »

 

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