La décision du gouvernement de Donald Trump de sanctionner Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, ne constitue pas seulement une représaille politique sans précédent contre une fonctionnaire internationale. C’est aussi une tentative directe de délégitimer un rapport qui documente de manière exhaustive le génocide à Gaza, avec des centaines de preuves et de déclarations officielles israéliennes. L’arrière-plan est bien plus obscur : l’extermination des Palestiniens a été transformée en un business de plusieurs milliards de dollars, où convergent des intérêts corporatifs, militaro-industriels, technologiques et médiatiques. Ce reportage documente les acteurs, les mécanismes et les conséquences de cette opération mondiale.

1. D’une extrême gravité : une sanction sans précédent et l’essor de l’autoritarisme global

« Mme Albanese n’enquête pas sur des crimes de guerre, elle promeut des théories antisémites déguisées en rapports », a déclaré le 9 juillet 2025 le secrétaire d’État des États-Unis, Marco Rubio, sur instruction directe du président Donald Trump. Ce même jour, le Département du Trésor a annoncé des sanctions personnelles contre la rapporteuse de l’ONU Francesca Albanese, bloquant ses avoirs aux États-Unis, restreignant ses déplacements et interdisant tout type de collaboration avec des entités étasuniennes . La décision a été exécutée alors que Benjamin Netanyahou se trouvait à Washington pour négocier des accords bilatéraux hautement sensibles.

Cette mesure est inédite et extrêmement dangereuse. Pour la première fois dans l’histoire contemporaine, une puissance mondiale sanctionne une rapporteuse des droits humains pour avoir rempli son mandat, marquant un tournant dans l’instrumentalisation des outils juridiques et financiers. Selon les mots du Haut-Commissaire de l’ONU aux droits humains, Volker Türk, « c’est une menace directe au système multilatéral », une atteinte qui cherche à paralyser non seulement le travail d’une enquêtrice, mais la capacité même de la communauté internationale à exiger des comptes. Le plus inquiétant est que cela intervient à un moment historique de consolidation de l’autoritarisme global, où l’usage instrumental des outils juridiques et financiers pour faire taire les voix critiques s’est normalisé. Dans ce cas, cela s’ajoute au blindage absolu des crimes commis à Gaza, dont l’enquête est documentée non seulement par Albanese, mais aussi par de nombreux comités indépendants et organismes internationaux. Cette sanction crée un précédent gravissime : le pouvoir économique et politique utilisé pour punir la défense du droit international humanitaire et des droits humains, mettant en lumière une érosion préoccupante des normes qui régissent la coexistence mondiale.

2. Le rapport Albanese : l’architecture d’un génocide planifié et la preuve de l’intention

Le rapport d’Albanese, intitulé officiellement « De l’économie de l’occupation à l’économie du génocide », publié devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU le 18 juin 2025, compile un ensemble accablant de preuves à l’appui de l’accusation de génocide contre l’État d’Israël à Gaza. Ce rapport, d’une exhaustivité méticuleuse, détaille la machinerie d’anéantissement et de pillage. Ses constats sont organisés en axes fondamentaux qui révèlent non seulement la dévastation, mais aussi l’architecture délibérée de la catastrophe

2.1. Intention génocidaire : plus de 300 déclarations incitatrices

Le rapport documente plus de 300 déclarations de hauts responsables israéliens — ministres, chefs militaires, porte-paroles — dans les médias, les réseaux sociaux et lors de conférences officielles, qui incitent explicitement à l’extermination, justifient la destruction totale de Gaza ou promeuvent la déshumanisation radicale des Palestiniens. Ces déclarations, loin d’être anecdotiques, révèlent une ligne discursive cohérente qui valide et normalise la violence extrême.

Parmi les plus notables, de par leur brutalité explicite et leur niveau officiel :

  • Yoav Gallant, ministre de la Défense (octobre 2023) : Bien que la formulation exacte « Gaza doit être réduite en cendres » ne figure pas dans ses déclarations publiques, Gallant a bien annoncé un « siège total » de Gaza, qualifiant les Palestiniens « d’animaux humains », avec l’instruction suivante : « pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de gaz. Tout est fermé ». Cette rhétorique a donné le ton d’une campagne de dévastation systématique.
  • Isaac Herzog, président d’Israël (octobre 2023) : Bien qu’il ait exprimé des regrets pour les pertes civiles, sa déclaration selon laquelle « toute une nation est responsable » et sa suggestion qu’« il n’y a pas de civils innocents à Gaza » en raison de l’absence de soulèvement contre le Hamas ont instauré un précédent moralement dangereux en collectivisant la faute et en déshumanisant la population civile.
  • Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale (octobre 2024) : Bien que le rapport situe sa déclaration en 2023, l’essence de sa rhétorique demeure. Ben-Gvir a défendu ouvertement « vider Gaza de ses Palestiniens » et le réétablissement de colonies israéliennes, ce qui, en pratique, équivaut à une politique d’effacement territorial et démographique soulignant l’impulsion extrémiste derrière les opérations.
  • Amichai Eliyahu, ministre du Patrimoine (novembre 2023) : Eliyahu s’est illustré par ses appels à « bombarder Gaza avec une bombe nucléaire » et par son affirmation qu’il n’y a « pas de civils non impliqués » dans la bande. Bien que la phrase exacte à propos des femmes et des enfants comme « cibles valables s’ils élèvent de futurs terroristes » n’ait pas été documentée textuellement, ses déclarations traduisent une justification de la violence contre les civils par la voie de la diabolisation des générations palestiniennes futures, révélant une logique d’extermination culturelle et démographique.

2.2. Pratiques systématiques d’anéantissement

Le rapport d’Albanese ne se limite pas à la rhétorique ; il détaille la matérialisation de l’intention génocidaire à travers des actions concrètes :

  • Utilisation délibérée d’armes interdites : Il est documenté l’usage d’armes comme le phosphore blanc, provoquant des brûlures indiscriminées et persistantes, dévastant des zones civiles.
  • Attaques contre les hôpitaux et les refuges : Le rapport détaille la destruction systématique de l’infrastructure sanitaire, les attaques contre les hôpitaux, les refuges de l’ONU, les ambulances et les convois humanitaires — des actions que la Commission de l’ONU a qualifiées de crimes de guerre. Cette stratégie rend la survie presque impossible en niant l’assistance de base au cœur d’un conflit brutal.
  • Blocus total : Le rapport approfondit le blocus complet des aliments, de l’eau, des médicaments et de l’électricité imposé dès le début de l’opération, condamnant la population à la famine et aux maladies délibérément provoquées — une pratique qui viole de façon flagrante le droit international humanitaire et constitue un crime de guerre.

2.3. Chiffres de la dévastation humanitaire et destruction du mode de vie palestinien

Le rapport souligne l’ampleur de la catastrophe humaine et de l’anéantissement culturel et social de Gaza :

  • Victimes humaines : Plus de 130 000 morts et disparus sont recensés entre le 7 octobre 2023 et la date de publication du rapport (juin 2025), dont 34 000 enfants. Ce chiffre, bien supérieur aux estimations précédentes d’autres organismes, repose sur une étude récente publiée par une université étrangère en collaboration avec une organisation palestinienne de Cisjordanie. Cette étude, qui a eu un impact important dans les milieux académiques et des droits humains, intègre les morts confirmés, les personnes présumées ensevelies sous les décombres — dont beaucoup désintégrées — et les disparus. La précision de ce chiffre souligne l’ampleur de la catastrophe que le monde n’a pas encore pleinement assimilée.
  • Anéantissement culturel et infrastructurel : Il est fait état de bombardements ciblés contre des universités, des archives historiques, des bibliothèques, des sites archéologiques islamiques et chrétiens. Il s’agit d’une attaque directe contre la mémoire, l’identité et l’avenir d’un peuple. La Commission de l’ONU rapporte que plus de 90 % des bâtiments scolaires et universitaires et plus de la moitié des sites religieux et culturels ont été détruits. Il est estimé que plus de 80 % de l’infrastructure résidentielle de Gaza a été réduite en décombres, laissant la majorité de la population sans abri ni espoir de retour.

3. Le business du génocide : les entreprises derrière la guerre et l’instrumentalisation du capital

Derrière l’appareil militaire israélien opère un réseau corporatif transnational complexe qui profite de façon obscène du génocide et le soutient, transformant la destruction en dividendes. Le rapport d’Albanese et des sources indépendantes (dont Al-Haq, WhoProfits et B’Tselem) identifient plusieurs entreprises et conglomérats directement liés à l’effort de guerre et à la perpétuation de l’occupation :

  • Elbit Systems : Ce géant israélien est le principal fournisseur de drones, d’artillerie et de systèmes de surveillance utilisés à Gaza. Sa technologie constitue les yeux et le bras armé de nombreuses opérations, soutenue par un investissement mondial qui l’ancre dans le conflit.
  • Intel Corporation : Elle possède des installations clés en Israël et a bénéficié d’exonérations fiscales de l’État hébreu, ce qui l’intègre à la structure économique de l’occupation. Bien que son implication directe dans des actions génocidaires soit plus indirecte, sa forte présence économique et les subventions d’État en font un pilier de l’économie israélienne soutenant la machine de guerre.
  • Google et Amazon : Par le biais du controversé Projet Nimbus, ces entreprises offrent une infrastructure de cloud et des services d’intelligence artificielle au gouvernement israélien, y compris au ministère de la Défense. Cette technologie de pointe n’est pas neutre ; elle facilite le traitement de données, la surveillance et les opérations militaires, faisant de ces géants technologiques des rouages essentiels de la capacité opérationnelle israélienne dans les territoires occupés.
  • AXA Assurances : Accusée de financer des entreprises d’armement israéliennes et d’investir dans des banques qui tirent profit des colonies illégales. Son rôle réside dans l’apport de capitaux qui soutiennent directement ou indirectement les opérations militaires et l’infrastructure de l’occupation.
  • Hewlett Packard (HP) : Fournisseur de technologie pour le système biométrique de contrôle (« système Basel ») dans les territoires occupés. Ce système est un outil clé d’oppression et de contrôle des déplacements des Palestiniens, essentiel à la fragmentation territoriale et à la ségrégation.
  • Caterpillar : Ses bulldozers blindés, notamment les modèles D9, sont utilisés par l’armée israélienne pour démolir les maisons palestiniennes, dégager les terres pour des opérations militaires et construire des infrastructures d’occupation. La contribution de Caterpillar à la destruction des biens et aux déplacements forcés est directe et bien documentée.

Plusieurs conseils d’administration de ces entreprises sont dirigés par des personnes ayant la double nationalité ou de fortes affinités avec des entités sionistes, révélant une convergence troublante entre les intérêts de l’industrie militaire et technologique, l’idéologie politique et la commission de crimes d’État. Le « business du génocide » n’est pas une métaphore : c’est un écosystème d’intérêts interconnectés qui capitalisent sur la destruction.

4. Le blindage international et l’offensive contre la vérité : la résistance du système multilatéral

La sanction contre Albanese est une tentative désespérée de protéger Israël de toute reddition de comptes. Mais au-delà de la rapporteuse, cette action révèle la peur palpable de Washington et de ses alliés que le rapport active des mécanismes internationaux capables de démanteler le statu quo de l’impunité.

  • Cour pénale internationale (CPI) : Le rapport renforce la base probatoire permettant au procureur Karim Khan de la CPI d’émettre de nouveaux mandats d’arrêt contre des responsables israéliens et, potentiellement, américains impliqués dans l’aide à la commission de crimes.
  • États du Sud global : Plusieurs pays du Sud global étudient l’adoption du rapport Albanese comme base juridique pour des sanctions unilatérales visant des entités et entreprises israéliennes ou leurs complices dans l’occupation et la campagne à Gaza.
  • ONU et Commission spéciale : Au sein de l’ONU, on discute de la possible création d’une commission spéciale d’enquête indépendante, avec un mandat élargi et des pouvoirs exécutifs, pouvant aller au-delà de la simple collecte de rapports pour établir des responsabilités directes.

C’est pourquoi Trump réagit par des sanctions : il ne s’agit pas seulement de Francesca Albanese, mais d’empêcher que la documentation du génocide ne se traduise par des conséquences réelles et que le business de la guerre cesse d’être rentable et impuni. La sanction contre Albanese est un acte de guerre contre la vérité, un signe clair que le pouvoir géopolitique est prêt à saper les institutions internationales pour protéger ses alliés et ses intérêts économiques. Ce mouvement renforce l’idée d’une consolidation de l’autoritarisme global, où les outils juridiques et financiers sont instrumentalisés pour faire taire les voix critiques et protéger les crimes.

5. Une presse assiégée : le devoir historique et l’urgence du contexte médiatique

Dans ce contexte de répression de la vérité, la presse libre et les réseaux de communication alternatifs ont une responsabilité historique incontournable : rendre visible, soutenir une narration fondée sur les faits et valider avec force ce rapport. L’avenir de la justice internationale dépend de notre capacité à empêcher le silence complice de l’emporter une fois encore.

Ce reportage s’inscrit dans cet effort, mais son urgence est démultipliée par la douleur quotidienne de Gaza. Le 10 juillet 2025, le monde a reçu la nouvelle déchirante de dix enfants abattus à Gaza alors qu’ils attendaient des soins médicaux devant un hôpital. Cet incident, loin d’être isolé, est un symbole de la barbarie perpétrée dans l’impunité, une illustration de la négation systématique du droit à la vie et aux soins de base. Des organisations de défense des droits humains et des médias indépendants ont documenté une escalade d’attaques directes contre la population civile, souvent sous prétexte d’opérations militaires, mais avec un schéma qui vise l’anéantissement de l’infrastructure de survie. Le rapport d’Albanese, dans ce contexte, n’est pas seulement un document ; c’est un cri, un outil pour briser le silence et défier l’impunité des auteurs. La presse, aujourd’hui plus que jamais, est le dernier bastion contre la complicité globale.

Sources et Références :

— Rapport officiel de Francesca Albanese devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, « De l’économie de l’occupation à l’économie du génocide », 18 juin 2025.
— Al-Haq, WhoProfits, B’Tselem : rapports et analyses sur la complicité des entreprises et les violations des droits humains.
— Étude récente d’une université étrangère et d’une organisation palestinienne de Cisjordanie sur les victimes et disparus à Gaza (consultée en juillet 2025).
— Déclarations de responsables israéliens : recueillies dans divers médias et réseaux sociaux entre octobre 2023 et mai 2025 (recoupées et contextualisées).
— Communiqué du Département du Trésor des États-Unis, 9 juillet 2025.
— Organismes des Nations unies : HCDH, UNRWA, Commission d’enquête de l’ONU sur le territoire palestinien occupé, déclarations du Haut-Commissaire Volker Türk.
— Médias internationaux et alternatifs : couverture des événements récents à Gaza (juillet 2025).
— Amnesty International et Human Rights Watch : rapports sur les droits humains dans le conflit israélo-palestinien.
— Sources académiques et analyses juridiques sur la responsabilité des entreprises et le droit international humanitaire.
— Témoignages de médecins, journalistes et organismes présents à Gaza.