C’est ce que confirme le jugement rendu par la Cour d’assises de Vicence le 26 juin 2005. Les peines d’emprisonnement infligées aux onze accusés vont de 2 ans et 8 mois à 17 ans et demi, les dommages-intérêts s’élèvent à plus de 75 millions d’euros, dont 58 millions reviennent au ministère de l’Environnement. (1)

Ce jugement fait date. Il mérite l’adjectif « historique » pour au moins trois raisons (entre autres).

1. Du principe « pollueur-payeur » au principe « polluer est un délit, polluer est interdit »

Il rompt en effet avec le célèbre (et peu sensé) principe « pollueur-payeur » qui a guidé pendant des décennies le traitement des ravages infligés à l’environnement (accidents pétroliers…), aux éléments fondamentaux du monde naturel (mortalité des poissons, dégradation des sols, pollution de l’air urbain…), aux écosystèmes de la Terre (déforestation, …) et, par conséquent, à la santé des êtres humains. Je signale que le principe « pollueur-payeur » est encore en 2025 le principe directeur appliqué par la Commission européenne de l’UE dans son récent document politique « La stratégie européenne pour la résilience dans le domaine de l’eau ». (2)

Le jugement établit que la pollution est un délit. Elle a donc condamné en première instance onze dirigeants de Miteni pour « empoisonnement volontaire de l’eau, pollution environnementale et catastrophe innommée » à la suite du rejet de substances chimiques nocives, en particulier les PFAS. Pour la Cour d’assises, « polluer est interdit », c’est-à-dire « personne ne peut polluer », même en payant ! Si cela se produit, on enfreint la loi, on est hors la loi. Aucune somme d’argent ne peut donner l’immunité.

Le saut civilisationnel est considérable. La primauté de la loi et de la justice sur tout autre principe est clairement reconnue. Ce jugement signifie, pour la millionième fois, que les intérêts économiques ne doivent pas prévaloir sur le droit et que personne n’est au-dessus de la loi.

2. La lutte sérieuse et cohérente contre le désastre écologique mondial a besoin de justice et non de déréglementation

Il n’y a pas de « société », encore moins dans un monde comme le nôtre où le droit, la loi, ne sont plus respectés, délibérément et explicitement, en particulier par les dirigeants des pays les plus « développés » et les plus puissants du monde, les États-Unis en tête.

L’absence ou la faiblesse des règles visant à promouvoir et à défendre les droits et les responsabilités collectives pour la justice dénote un net déclin de la société juste et responsable des biens communs essentiels à la vie de tous. La justiciabilité elle-même est essentielle. Le principe de justiciabilité repose sur le postulat qu’il n’y a pas d’impunité absolue. Celle-ci peut exister dans des conditions exceptionnelles strictes, établies par la Constitution et non modifiables.

L’aspect de la réparation financière est justifié mais secondaire. D’autant plus que, le plus souvent, les dommages écologiques et les effets dramatiques sur les êtres humains ne sont pas réparables. La bonne justiciabilité est avant tout préventive et doit être une fonction publique, collective, fondée sur des règles contraignantes et transparentes.

La Commission européenne a donc tort lorsqu’elle accepte, dans son document sur la résilience et l’eau, de réduire considérablement la réglementation et l’évaluation par des tiers, publique, des impacts polluants des activités industrielles, agricoles et tertiaires. (3)

Dans le cas de la lutte contre la catastrophe écologique, y compris la lutte contre la crise mondiale de l’eau, la justiciabilité est un principe/instrument d’une grande valeur sociétale, éthique, politique et culturelle, en particulier à l’ère de l’anthropocène. (4)

Nos sociétés garantissent que 80 % des principaux changements systémiques de la nature (de plus en plus « artificielle ») sont dus aux actions des humains. La nature n’est guère en cause en tant que cause, ce qui signifie qu’on ne peut pas penser pouvoir agir correctement et efficacement dans un système dépourvu de justiciabilité. Pensons, par exemple, aux risques et aux problèmes graves liés au non-respect du Traité international sur l’interdiction des armes nucléaires. (5) Le jugement de Vicence montre que ce raisonnement s’applique également de manière absolue à l’empoisonnement des eaux de la planète dû à l’utilisation consciente de substances chimiques toxiques.

Le message qui doit être adressé à la Commission européenne et aux dirigeants des deux autres grandes institutions européennes (le Parlement européen et le Conseil européen) qui ont exprimé leur soutien à la « stratégie européenne pour la résilience et l’eau » est qu’il ne peut être autorisé de continuer à polluer l’environnement de la Terre avec des substances toxiques .Il est au contraire du devoir des pouvoirs publics d’interdire immédiatement les émissions de gaz à effet de serre ainsi que tous les produits chimiques toxiques pour la santé des générations présentes et futures.

Les énormes sacrifices imposés et subis par les êtres humains les plus faibles, les plus fragiles et les plus pauvres au cours des dernières décennies sur l’autel de la croissance économique, de la compétitivité et de l’enrichissement d’une minorité doivent cesser.

3. Endettement et justiciabilité. Aujourd’hui, les véritables débiteurs sont les pays à l’origine du désastre écologique mondial

Les dirigeants européens ne peuvent plus prétendre ignorer que les pays européens, même s’ils occupent la deuxième place derrière les États-Unis et la Chine (voir les données sur l’empreinte écologique), (6) sont les principaux pollueurs de la planète et responsables de l’empoisonnement des eaux. Nous sommes donc parmi les premiers responsables de l’obligation de cesser de polluer et de reconnaître que le problème de la dette internationale n’est pas tant celui de l’endettement monétaire des pays appauvris, dits « en développement », envers les pays enrichis et développés du « Nord » du monde.

Ce qui compte, ce qui est fondamental, c’est l’endettement non seulement financier accumulé par les pays du « Nord » envers les pays du « Sud » au cours du long processus de prédation des ressources de la planète, en particulier des grandes ressources naturelles et humaines de l’Afrique, de l’Amérique latine et de l’Asie. La prédation a enrichi le « Nord » mais a appauvri, par rapport au « Nord », les populations du « Sud », laissant leurs terres et leurs eaux dans un état grave de déséquilibre et de dégradation.

Les dominants du « Nord » sont même parvenus en 2022 à faire accepter par la COP-15 -Biodiversité de l’ONU à Montréal , y compris donc les pays du « Sud » , que la solution la meilleure et la plus efficace pour assainir les 30 % les plus dégradés du monde consiste à confier cette tâche à une nouvelle catégorie d’entreprises cotées en bourse, les Natural Capital Corporations (NCC), et de créer « le marché des crédits biodiversité » sur le modèle raté du « marché des crédits carbone » de 1993.(7) Il est vrai qu’il n’y a pas de limites à l’hypocrisie souriante.

En ce qui concerne l’injustice du « Nord », les dirigeants européens feraient bien de revoir « La stratégie européenne de résilience dans le domaine de l’eau » après avoir lu le texte commun des Églises catholiques du Sud (Amérique latine et Caraïbes, Afrique, Asie) approuvé ce 1er juillet (et qui sera présenté à la COP30 qui se tiendra à Belém, au Brésil, en novembre prochain). Si nous devons parler de leadership, il est urgent de devenir les « leaders » d’une nouvelle société à l’économie écologique, juste et solidaire.

PS Je tiens à rendre hommage au grand courage des « Mamme No Pfas », une association créée par quelques mères de la province de Vicence et de Vérone, que j’ai eu l’honneur de connaître et, avec d’autres, de soutenir en tant qu’Association du Monastère du Bien Commun à Sezano (Vérone). Un courage généreux et tenace qui a guidé leur mobilisation ces dernières années, non seulement en tant que mères défendant la santé de leurs enfants dont le sang s’est révélé contaminé par les PFAS, mais aussi celle de tous les enfants et adultes dans un esprit d’amour et de solidarité pour la vie, droit universel et bien commun mondial.

 

Notes

(1) https://epiprev.it/notizie/pfas-la-sentenza-della-corte-d-assise-di-vicenza-riconosce-il-reato-di-disastro-ambientale-doloso-e-avvelenamento-delle-acque

(2) https://environment.ec.europa.eu/publications/european-water-resilience-strategy_en?prefLang=fr .

(3) Ibidem. Voir la section relative à l’Omnibus.

(4) L’Anthropocène définit l’ère géologique qui a débuté avec la révolution industrielle, au cours de laquelle l’homme a eu et continue d’avoir un impact décisif sur l’écosystème. Plus simplement, l’ère des humains qui « dominent » la nature, même dans le mal.

(5) Cf. Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, approuvé par l’ONU en 2017 et ratifié par 73 États, qui est donc entré en vigueur en tant que loi internationale en janvier 2021

(6) Voir https://www.footprintnetwork.org/our-work/countries/

(7) Cf. https://www.pressenza.com/fr/2023/05/la-financiarisation-de-la-vie-de-leau-a-lensemble-de-la-nature/ de Riccardo Petrella

(8) https://encuentroysolidaridad.net/wp-content/uploads/2025/07/Las-Iglesias-del-Sur-Global-con-motivo-de-la-COP30.pdf  Présentation du document « Un llamado por la justicia climática y la casa común : conversión ecológica, transformación y resistencia a las falsas soluciones », voir en particulier la section 6. « Qui détruit la Terre et qui propose de fausses solutions » (pp. 21-23)