La guerre contre l’Iran qu’Israël cherchait depuis plus de 20 ans et qu’il a déclenchée par une agression caractérisée le 13 juin s’est arrêtée le 24 juin. Une attaque surprise a pris fin par un cessez-le-feu surprise. Ce n’est qu’une trêve car le projet d’hégémonie américano-israélienne de l’Asie de l’ouest (Moyen Orient) demeure. Abattre l’Iran pour réaliser cette hégémonie est toujours au programme car l’indépendance d’un pays de 90 millions constitue un obstacle de taille. En même temps, la conquête de l’Iran serait un coup important porté par les États-Unis à leurs adversaires russe et chinois, par conséquent un gain appréciable dans la guerre mondiale qui ne dit pas encore son nom.
Aux origines de la guerre entre Israël et l’Iran
L’ambition israélienne, dont Nétanyahu et les fanatiques et bellicistes qui l’entourent sont l’expression, est de dominer l’Asie occidentale par la force brute. Mettre 400 millions de musulmans sous la botte de 7 millions de juifs est une application contemporaine de la colonisation de peuplement par laquelle une minorité de « blancs » subjuguent une population d’« indigènes ». À cette fin, toute résistance « autochtone » doit être éliminée. Pendant plus de 20 ans, depuis le temps de Bush II, les États-Unis ont essayé de constituer, sous leur égide, une coalition anti-iranienne composée d’Israël et de pays arabes soumis à eux. C’est l’objectif des accords d’« Abraham » qu’ils promouvaient à la veille de l’opération palestinienne du 7 octobre 2023. Celle-ci lui a donné un coup d’arrêt. Israël y a vu l’occasion de déclencher des guerres contre tous ses voisins, avec la caution politique des pays occidentaux, leur financement et les armes qu’ils lui fournissaient. Leur appui lui était assuré puisque, face aux atrocités, à un nettoyage ethnique et à un génocide en temps réel en Palestine, ils se montraient solidaires d’Israël, seul pays au monde à qui tous les crimes seraient permis.
Le désir israélien le plus ardant était d’entraîner les États-Unis dans une guerre contre l’Iran, au plus grand bénéfice d’Israël et de ses ambitions régionales. Plusieurs facteurs rendaient possible la réalisation de ce rêve. Il faut certes mentionner la réélection de Trump, redevable à ses bailleurs de fonds sionistes (l’héritière Myriam Adelson a versé 100$ millions à sa campagne électorale) et soutenu par les évangélistes chrétiens sionistes à la vision eschatologique. Mais à cela s’ajoutent aussi le financement des membres du Sénat et de la Chambre des représentants, de même que la pénétration sioniste dans les plus hautes sphères de l’État et l’imprégnation des médias. Trump a donné des gages en prenant l’argent, ce qui le mettait dans un étau car son électorat exigeait la fin des guerres sans fin dans le bourbier moyen-oriental (« un président de paix »), tandis qu’Israël réclamait une intervention militaire directe des États-Unis à ses côtés.
Tout comme le mensonge des armes de destruction massives a été le prétexte pour agresser l’Irak en 2003, le programme nucléaire iranien sert de paravent pour menacer ce pays depuis plus de 20 ans. Dans les deux cas, le but est géopolitique, soit de terrasser deux pays coupables d’être indépendants, en se servant d’épouvantails et de poudre aux yeux pour dévoyer le grand public. L’accord de 2015 avait réglé le litige en permettant un enrichissement de l’uranium à 3,67%, assez pour une utilisation à des fins civiles et loin des 90% nécessaires pour un usage militaire. Mais cela ne convenait pas à Israël et Trump avait déchiré cet accord en 2018. Les « sanctions » occidentales pesaient toujours sur l’économie iranienne. L’Iran a alors enrichi à 60% afin de se donner un levier pour de futures négociations visant le retrait de ces « sanctions ».
Rétrospective sur la guerre de juin 2025
Ces négociations étaient en cours et une séance était prévue pour le 15 juin lorsque, avec une perfidie assumée et normalisée, Israël agressa l’Iran le 13 juin avec la participation des États-Unis (planification, renseignements satellitaires, ravitaillement en vol). Des militaires américains actionnèrent en Israël les batteries de défense anti-aérienne THAAD. Quant aux dirigeants occidentaux, ils justifièrent l’agression en récitant le sempiternel « Israël a le droit de se défendre ». Plus candide, le chancelier Merz dit qu’« Israël fait le sale boulot pour nous ». Tout cela à la veille d’une conférence de l’ONU pour la relance de l’option d’un État palestinien.
L’attaque surprise de type Pearl Harbor ou Barbarossa était censée assommer l’Iran, le démoraliser, y semer le chaos et provoquer l’effondrement de l’État. Nétanyahu ne cachait pas son espoir de « libyanniser » l’Iran. L’assassinat de hauts gradés militaires et de scientifiques (« décapitation ») associait la criminalité de droit commun et la guerre. Assassiner des opposants est depuis longtemps une pratique israélienne courante. De tout temps, elle fait partie des illusions typiques de colonisateurs qui veulent croire que les mouvements qui leur résistent ne sont pas authentiques et ne dépendent que de quelques individus. Pourtant, ni l’OLP, ni le Hamas, ni le Hezbollah, ni les Gardiens de la révolution iraniens ne se sont débandés du fait de la mort de leurs dirigeants. Ils les ont simplement remplacés. L’Iran fait la même chose le 13 juin 2025.
Le sort de la guerre de 12 jours est joué dès les premières 24 heures car l’Iran n’a pas croulé. Sa riposte débute dès la soirée par une volée de missiles. Et les missiles n’ont pas cessé de pleuvoir pendant 12 jours, les salves devenant plus fortes. Les stocks iraniens étaient considérables et leur gamme large. Les tirs étaient précis et des dommages importants ont été causés à des installations stratégiques. Grande a été la surprise d’Israël. Comme la Russie en 2022, l’Iran était supposé être faible. Pour la première fois de son histoire, Israël subissait la guerre à domicile, lui qui est habitué à la faire impunément chez les autres en profitant du privilège de l’attaquant et de meilleures armes. Le système de défense aérien, vanté aux nues comme le meilleur au monde, s’est avéré n’être qu’une passoire, même pour les missiles anciens. Il fut assez facilement traversé par les projectiles iraniens groupés, de plus en plus modernes et de grande vitesse car hypersoniques. Le taux d’interception était faible et le stock de missiles intercepteurs diminuait rapidement.
Manifestement les hypothèses de départ d’Israël étaient erronées. Il s’est surestimé et a sous-estimé l’Iran. Au bout de 2 ou 3 jours, l’Iran change l’allure du conflit de la blitzkrieg prévue par Israël en une guerre d’usure et de durée qu’Israël ne pouvait pas gagner. À ce rythme, les destructions en Israël deviendraient insupportables. Quant au regime change évoqué par Trump et Nétanyahu (avec le fils du chah s’affichant en arrière-plan, comme le pantin Chalabi pour l’Irak en 2003), il disparut dans les brumes car la population ne pouvait que défendre son pays, ce qui est naturel. Le fantasme reste tenace chez les dirigeants occidentaux que les populations bombardées seraient enclines à accueillir favorablement ceux qui les tuent. Toutes les cartes étant mauvaises pour Israël, les appels à une intervention étasunienne pour mener une guerre commune et le sortir de la mauvaise passe dans laquelle il s’était placé par son agression devinrent de plus en plus insistants.
Lui-même piégé par ses engagements contradictoires, Trump tergiverse, d’autant plus que l’Iran se montre coriace. Il est entre l’enclume de la pression du lobby sioniste et le marteau des conséquences désastreuses qu’aurait une intervention pour les États-Unis et pour sa présidence. Il lui faut mettre fin à cette aventure israélo-américaine qui a mal tourné. Il trouve la porte de sortie dans la mise de côté des rêveries sur un changement de régime et la limitation au prétexte nucléaire. Un bombardement unique et spectaculaire, mais seulement pour la forme, comme celui qu’il a effectué en 2018 dans un contexte comparable contre la Syrie, est la formule théâtrale choisie. Pendant des jours les médias font savoir que les B2 jetteront leurs bombes pénétrantes le weekend du 21-22 juin. Évidemment l’Iran déplace les centrifuges et l’uranium (400 kg, dit-on). Aucune trace de radiation n’est détectée, ce qui confirme que les sites avaient été vidés. Ensuite l’Iran tire 6 missiles sur la base aérienne d’al-Udeid au Qatar après avoir prévenu les États-Unis pour qu’ils retirent leur personnel. Une chorégraphie conjointe pour mener au cessez-le-feu.
Saltimbanque de métier, mélangeant réel et téléréalité, Trump fanfaronne selon son habitude alléguant un triomphe extraordinaire et l’éradication du programme iranien. Mais il prévoit des négociations sur ce même programme … qui aurait été éliminé. Le surprenant cessez-le-feu est annoncé abruptement par Trump qui n’a pas encore fini de se féliciter pour le bombardement. Il est clair que c’est lui qui veut cet arrêt unilatéral des combats, mais qu’Israël aussi en a grand besoin. L’Iran accepte en dernier. Il a le moins à gagner, le cours de la guerre lui étant devenu favorable après l’absorption du choc initial. L’Iran a peut-être été menacé.
Qu’adviendra-t-il maintenant ?
Le cessez-le-feu n’est qu’un temps d’arrêt après une bataille. Les États-Unis et Israël ont échoué cette fois-ci, ce qui est une nouveauté dans l’histoire des interventions impérialistes dans la région. Mais le projet hégémonique est toujours opérant et toutes les causes du conflit restent en place. La guerre de 12 jours aura été un moment de vérification des capacités des combattants et les évaluations seront faites. Chacune des parties va se préparer pour les affrontements à venir. Israël va se réapprovisionner en missiles intercepteurs et s’efforcer de boucher les trous béants de sa défense aérienne. L’Iran s’affairera à corriger les failles de sa sécurité interne afin de mettre hors d’état de nuire les agents étrangers infiltrés et démanteler les cellules dormantes qui se livrent au terrorisme et aux assassinats. Il sera contraint de renforcer sa défense aérienne, laquelle a été étonnamment inefficace (cyberattaques paralysantes ? sabotage physique ?). Dans cette guerre aérienne, les défenses des deux belligérants ont été poreuses.
L’Iran est au cœur de l’Eurasie et il constitue une pièce majeure dans le conflit mondial entre les États-Unis et ceux qui leur tiennent tête. Abattre l’Iran c’est viser la sécurité de la Russie par le sud – un substitut à l’échec de la stratégie ukrainienne – en plus de couper l’accès ferroviaire aux ports iraniens du Golfe, permettant le commerce avec Bombay. C’est aussi couper la route de la soie chinoise dont l’Iran est un point de passage clé. C’est aussi menacer l’approvisionnement en pétrole et en gaz de la Chine. Ni la Russie ni la Chine ne sauraient permettre le basculement de l’Iran dans le camp étasunien. L’échec rapide du projet de changement de régime au début de la guerre de 12 jours a évité à Moscou et à Beijing d’avoir à prendre des décisions de grande importance. Mais les affrontements à venir entre les États-Unis/Israël et l’Iran remettront à nouveau le sujet de leur rôle sur la table. L’Iran avait décliné une alliance militaire avec la Russie et opté pour un partenariat stratégique signé le 17 janvier 2025. Pourra-t-il continuer à se priver d’une alliance militaire, ne serait-ce que comme moyen de dissuasion contre une nouvelle agression ? L’Iran mettra-t-il fin à sa participation à l’AIEA, dont la partialité est évidente et dont les inspections alimentent Israël de renseignements sur les installations et les scientifiques à assassiner ? L’agression à grande échelle le forcera-t-il à développer l’arme nucléaire pour se mettre à l’abri d’une récidive ?
Pour la Russie et la Chine, les implications de la guerre de 12 jours sont directes. Quelle est la fiabilité de leurs défenses aériennes et, en particulier, du système russe S-400 que l’Iran possédait depuis le mois d’août 2024 ? Peuvent-elles prévenir une campagne de « décapitation » de leur leadership ? Kiev a plus d’une fois ciblé Poutine. La question concerne le monde entier car des assassinats seraient les préambules à des attaques généralisées et provoqueraient des répliques nucléaires.
La guerre des 12 jours est une partie intégrante du conflit mondial en cours, [1] dans lequel l’Occident attaque et le monde non occidental se défend. Stratégiquement sur la défensive, l’Occident est tactiquement à l’offensive en vue de semer le désordre chez les autres, perturber le cours de l’histoire et perpétuer son hégémonie. À l’image d’Israël en Asie de l’ouest, l’Occident donne les coups, le reste du monde se limite à les encaisser, les parer ou les déjouer. On l’a vu après le 7 octobre 2023 : seul Israël s’acharnait à provoquer une guerre régionale, alors que l’Iran, la Syrie et le Hezbollah essayaient de l’éviter. Ce statu quo est dangereux car, n’ayant pas d’entraves sinon l’échec, l’Occident sera de plus en plus téméraire, aventureux et désespéré, à mesure que l’hégémonie lui échappe. Répétitivement, l’arrogance et les habitudes de domination acquises pendant des siècles lui font faire de mauvais calculs. En attendant que les populations occidentales se rendent compte de la vraie situation et arrêtent la main des incendiaires qui les dirigent, la paix mondiale dépend de la sagesse, de la prudence, de la patience, du stoïcisme, du sens des responsabilités et de la capacité de riposte des pays que l’Occident veut détruire. À quel moment acculera-t-il la Russie et la Chine dans leurs derniers retranchements, les obligeant à contre-attaquer, voire à passer à l’offensive ? La guerre en Ukraine est un aperçu préliminaire de ce fatal enchaînement.
[1] Samir Saul, Michel Seymour, Le conflit mondial du XXIe siècle, Paris, L’Harmattan, 2025.









